Vers un nouveau quinquennat de discordances pour la filière musicale

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Malgré une feuille de route claire et cohérente avec des propositions concrètes et pertinentes, la cohésion de la filière de la musique a volé en éclats. Fragmentée, entre autres, par les positions des artistes-interprètes en décalage avec les orientations du restant de la filière, que Marc Schwartz était parvenu à réunir autour d’un accord il y a dix-huit mois. Le débat autour des enjeux pour la musique sur le marché numérique à Musicora a préfiguré le retour à l’offensive programmé des acteurs de la filière dès lors que le nouveau paysage politique sera défini.

Comme ses trois derniers prédécesseurs Audrey Azoulay, Fleur Pellerin et Aurélie Filippetti, le ou la Ministre de la Culture sera confronté à l’impossible mission de faire converger les intérêts et positionnements contraires au sein même de la filière musicale. C’est un message clair qui a été adressé à Marc Schwartz, Conseiller Culture d’Emmanuel Macron, lors du débat de France Musique à Musicora. Sébastien Chenu, qui devait représenter Marine Le Pen mais avait décliné l’invitation, n’y était pas pour l’entendre. Après un quinquennat qualifié de rendez-vous manqué avec la musique et de largement décevant, les attentes de la filière musicale pour le quinquennat à venir ne sont pas des moindres. Les créateurs et ayants-droit s’accordent sur la priorité du partage de la valeur. Alors même que le dossier avait été relégué au second plan des propositions de Tous Pour La Musique au profit de l’éducation artistique et de l’offre en régions, il fait de nouveau émerger les discordances majeures au sein de la filière.

Rémunération des artistes-interprètes

La rémunération des artistes-interprètes pour l’exploitation en ligne et la correction du transfert de valeur entre plateformes et ayants-droit en sont les volets principaux. Lors du débat organisé par France à Musicora, la Spedidam a par la voix de son Directeur des affaires juridiques réitéré que, dans un contexte de retour à la croissance du marché de la musique enregistrée, « La vraie problématique est l’absence de rémunération au profit des artistes-interprètes pour l’exploitation des enregistrements. La question est également qu’une partie de la somme payée par l’utilisateur revienne aux artistes-interprètes ». Interpellant de manière explicite Marc Schwartz, dix-huit mois après l’accord signé avec l’ensemble de la filière excepté la Spedidam et l’Adami. « Nous sommes en désaccord avec la position de Marc Schwartz qui a abouti à l’accord. Nous y étions opposés et y sommes toujours. La position de Marc Schwartz et des signataires a abouti à les renvoyer vers une convention collective qui prévoit qu’ils cèdent leurs droits pour toutes les exploitations. Ce que nous demandons à l’échelle française et européenne est la capacité d’aller, par la gestion collective, collecter directement auprès des plateformes » a insisté Xavier Blanc. Ce qui  n’est pour l’heure pas à l’ordre du jour en cas de victoire d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle, et ce ne devrait donc non plus être une directive des éventuels élus « En marche » aux législatives. Et pour cause, Marc Schwartz persiste par l’argument selon lequel la voie de la négociation reste majoritaire. « La mesure plébiscitée par les artistes de l’Adami est celle visant à favoriser la négociation encadrée entre les ayants-droit, producteurs et diffuseurs, que nous proposons, et à laquelle la Spedidam s’oppose. L’accord a été signé par une vingtaine d’organisations représentatives de la musique, sauf la Spedidam et l’Adami. Et le Parlement a voté une loi [La loi LCAP] qui valide cet accord et a prévu une rémunération minimale en l’échange de l’exploitation » a rappelé Marc Schwartz. Il faut dire que d’après un sondage Ifop pour l’Adami publié en mars, 74% des artistes se sont déclarés favorables à la proposition d’Emmanuel Macron visant à « défendre résolument les droits d’auteur, défendre les artistes et éditeurs de contenus européens par la négociation encadrée sur leur rémunération ». Concernant la rémunération des artistes-interprètes, ils étaient également 68% à être d’accord avec la « démarche de dialogue entre artistes et producteurs » proposée par Benoît Hamon. Mais en parallèle, 60% des interrogés étaient aussi pour une « porter une offensive européenne en vue d’une taxation des activités des GAFA pour permettre une juste rémunération », une proposition de Benoît Hamon assez rapproche de la volonté de la Spédidam d’avoir la capacité d’aller collecter une rémunération pour les artistes-interprètes auprès des plateformes pour l’exploitation des œuvres.

Rééquilibre des distorsions du marché

Emmanuel Macron veut défendre les piliers de l’exception culturelle française. Lors de son intervention à Musicora, Marc Schwartz n’a pas manqué de rappeler l’engagement du candidat en faveur du droit d’auteur. A l’échelle nationale, la lutte pour la défense de la création se ferait notamment par le développement de l’offre légale combiné à une offensive à l’égard des sites et plateformes de piratage. « Le droit d’auteur est un des piliers de la Culture française. Si on est favorable au droit d’auteur, on ne peut pas se satisfaire des dispositifs existants en matière de piratage » a déclaré Marc Schwartz, qui n’a toutefois pas précisé d’éventuelles mesures. Sur le développement de l’offre légale, il s’est en revanche montré particulièrement optimiste, soulignant que « le panier moyen d’un acheteur de musique était de 50 euros par an et avec le streaming on passe à 120 euros ». Marc Schwartz a d’ailleurs confirmé que des abonnements streaming seront inclus dans les offres du « Pass Culture » de 500 euros qu’Emmanuel Macron veut mettre en place pour les jeunes. La volonté d’Emmanuel Macron d’aller plus loin que la politique menée durant le dernier quinquennat prévaut également dans la Culture. Les ambitions affichées pour le financement de la création ne sont pas des moindres. D’après Marc Schwartz, « Les plateformes qui sont quasiment toutes nord-américaines à l’exception de Spotify, ont la capacité de localiser leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices où elles veulent. Avec Emmanuel Macron, nous avons l’objectif de rétablir l’équité en matière fiscale, pour rééquilibrer cette distorsion de concurrence. Il faut aller au-delà de la taxe YouTube. Plusieurs voies sont possibles, notamment celle d’instaurer une taxe au niveau européen ». Un discours qui, forcément, ne laisse pas insensible une filière musicale en quête de nouveaux financements pour assurer sa pérennité, et qui appelle de ses vœux l’harmonisation fiscale vis-à-vis des plateformes. Avec en guise de priorités la préservation du droit d’auteur, l’harmonisation fiscale, le partage de la valeur ou encore l’export, la filière de la musique réclame de véritables engagements. Ce à quoi Marc Schwartz évite jusqu’à présent de s’aventurer. Y compris concernant le projet de Centre National de la Musique, arguant qu’une prise de position n’est pas encore intervenue du fait des multiples problématiques engendrée en termes de financement de la musique, et que des « réponses différentes » sont apportées par Emmanuel Macron qui devraient « améliorer la transparence et la fluidité de la valeur ».

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