Vers une évaluation du crédit d’impôt phonographique par les pouvoirs publics

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La prorogation du crédit d’impôt dédié à la production phonographique était particulièrement attendue, l’échéance de dispositif ayant précédemment été fixée au 31 décembre 2018. Mais le PLFR2017 prend finalement à revers la profession. Et pour cause, le Parlement a envoyé un message explicite aux producteurs de la musique enregistrée. Et plus globalement à l’ensemble des bénéficiaires des crédits d’impôt au sein des industries de la Culture.

L’année 2018 sera celle de la mise à l’épreuve du crédit d’impôt phonographique. La prolongation du dispositif a finalement été ramenée à un an au lieu des trois ans plébiscités par les producteurs du SNEP et de l’UPFI. Une orientation assumée par les Parlementaires mais qui, en réalité, était prévisible. La pertinence des crédits d’impôt liés aux secteurs de la Culture avait fait l’objet d’interrogations en Commission et en séance. Bien que le Sénat ait opté pour une prorogation du crédit d’impôt phonographique de trois années supplémentaires dans un premier temps, la Commission des finances de l’Assemblée Nationale a insisté pour revenir au projet de loi de finances rectificative 2017 de départ. « Nous sommes dans une logique où nous avons souhaité faire un bilan des crédits d’impôt culture notamment, pour évaluer leur efficacité. Et ainsi avoir des démarches pérennes et d’autres pour ceux qui n’ont pas prouvé leur efficacité. Je tiens à ce que l’on ait une évaluation sous forme d’un rapport coûts / avantages très précis avec le nombre de bénéficiaires et la qualité des bénéficiaires » a tranché Joël Giraud, rapporteur général. La volonté de la Commission des finances est claire. Il s’agit de conditionner la prolongation des dispositifs en fonction de leurs effets vertueux, et ce dans le projet de loi finances 2019. Ce qui sous-entend que ceux qui n’auront pas prouvé leur pertinence du point de vue des pouvoirs publics pourront éventuellement ne pas être reconduits. Le coût pour l’Etat des crédits d’impôt est évidemment à la source des interrogations de la Commission des finances. Son rapporteur général, Joël Giraud, a fait part de son souhait de comprendre « pourquoi tous ces crédits d’impôt ont été assez inflationnistes au niveau du coût », d’autant que pour Christine Pirès-Beaune, « ils ont tout simplement flambé ces dernières années » au vu de « l’évolution des crédits d’impôt culturels dans le rapport ‘remboursements et dégrèvements’ ».

Commission Culture et Commission des Finances en désaccord

La Commission Culture de l’Assemblée Nationale n’est pas parvenue à faire pencher la balance parlementaire du côté des intérêts des producteurs phonographiques. Les députés Bruno Studer, Aurore Bergé et Gabriel Attal n’ont pourtant pas manqué de rappeler les besoins de la filière de la musique enregistrée en matière de soutien. « Le crédit d’impôt est vertueux pour l’Etat : 1 euros investi permet de gagner 3 euros en recettes fiscales et sociales. Ce serait un signal vertueux et positif donné à ce secteur » a fait valoir Aurore Bergé. De son côté, Bruno Studer, Président de la Commission Culture a assuré que « le chiffre d’affaires de la musique enregistré a diminué d’environ 70% en quinze ans. Il faudra effectivement évaluer les impacts de ce crédit d’impôt, pour autant il est déjà budgetisé pour 2018 et 2019. C’est une filière suffisamment fragilisée pour qu’on lui donne la visibilité  nécessaire au vu de la durée nécessaire au lancement de projets ». Les Parlementaires s’accordent sur la nécessité d’évaluer les effets des crédits d’impôt. C’est également la volonté du Gouvernement d’après les récentes déclarations de Françoise Nyssen. Mais si la Commission des Finances souhaite que cette évaluation soit menée avant de les proroger ou d’en élargir le champ à d’autres filières comme le théâtre, la Commission Culture souhaitait accorder une visibilité de trois ans aux producteurs. Pour les membres de cette dernière, proroger le crédit d’impôt phonographique de trois ans pour permettre à la profession d’investir à moyen terme n’entrave pas l’évaluation du dispositif dès 2018. « S’il y a une évaluation l’an prochain elle peut porter sur l’ensemble des dispositifs y compris ceux qui auront été prorogés. Et si des décisions doivent être prises, elles le seront dans les prochains projets de loi de finances » a estimé Gabriel Attal.

Un état des lieux fin juin 2018

Dans un souci de cohérence, la Commission des Finances n’a pas souhaité aller au-delà d’une année supplémentaire pour le crédit d’impôt dédié à l’édition phonographique. « Il n’y a rien contre ce secteur, nous avons un problème de cohérence et de suivi d’un certain nombre de crédits d’impôt. La Commission des finances a vu qu’il y avait 100 milliards de dépenses fiscales […] nous avons donc un travail considérable à mener sur des dispositifs qui avaient peut être toute leur valeur à un moment donné et qui aujourd’hui sont parfois difficiles à comprendre, dont l’impact est difficile à suivre et dont l’efficacité budgetaire est parfois douteuse. Pour l’industrie phonographique, il vaut mieux que nous évaluons le dispositif, que nous prouvions qu’il est efficace, et que nous puissions le sécuriser potentiellement bien au-delà de 2021 » a déclaré Amélie de Monchalin pour justifier son soutien au rapporteur général de la Commission des Finances. Le Gouvernement avait pour sa part, par la voix de son Ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin, émis un avis de sagesse. De quoi conforter les membres de la Commission des Finances dans leur position. « Il faut faire un état des lieux en prenant en compte l’ensemble des bénéficiaires, le coût, les impacts, les conséquences… S’engager sur trois ans alors qu’on a constaté la faiblesse du dispositif comme l’ont constaté nos collègues ne serait pas raisonnable » a martelé Véronique Lauwagie. L’adoption de l’amendement de Joël Giraud visant ramener à une année la prorogation du crédit d’impôt phonographique a donc acté la mise à l’épreuve prochaine du dispositif. Une évaluation qui devrait aboutir d’ici la fin du premier semestre 2018. D’ici-là, « c’est avec détermination et confiance que les producteurs de musique démontreront, dans les prochains mois, la pleine utilité de cet outil fiscal pour continuer à stimuler la diversité musicale et le rayonnement de nos artistes, en France et à l’international » ont fait savoir les producteurs réunis au sein du Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP), de l’Union des Producteurs Français Indépendants (UPFI) et de la Fédération des Labels Indépendants (FELIN). Les trois syndicats ont donc moins de six mois pour démontrer les effets vertueux du crédit d’impôt phonographique. Un compte à rebours qui court évidemment également pour les producteurs de spectacle et pour l’industrie du cinéma. Tous les crédits d’impôt liés aux industries de la Culture étant dans le collimateur du Parlement et du Gouvernement.

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