Streaming : une accélération de la croissance mondiale combinée à des disparités entre les marchés

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Le streaming joue un double rôle sur le marché de la musique enregistrée à l’échelle internationale. Véritable relais de croissance pour les principaux marchés au point d’enrayer l’impact de la chute des ventes physiques, il sert en parallèle de rampe de lancement aux marchés en développement. Des tendances qui rendent enthousiastes les acteurs de l’industrie quant aux perspectives de développement pour les années à venir, non sans mettre en évidence les difficultés de certains marchés à gagner en maturité pour s’inscrire dans la même dynamique.

Une période de croissance pérenne a démarré pour le marché mondial de la musique enregistrée. 2018 est la plus forte année de progression de la consommation de musique depuis le début des collectes de données à l’échelle mondiale par l’IFPI. La croissance s’est intensifiée en progressant de 9,7%, atteignant 19,1 milliards de dollars d’après le bilan annuel de l’International Federation of the Phonographic Industry, l’organisation qui représente les intérêts de l’industrie musicale au niveau international. En moins de dix ans, la configuration du marché de la musique s’est totalement inversée. Alors qu’en 2010 le numérique ne rapportait que 4,3 milliards de dollars tandis que le physique portait le marché en générant 9 milliards de dollars, en 2018, le streaming a rapporté 8,9 milliards de dollars et a creusé l’écart avec le physique (4,7MLD$). En hausse de 34%, le streaming représente maintenant 47% du marché mondial de la musique enregistrée. 2019 sera assurément l’année de la bascule du marché global vers le streaming qui représentera alors plus de la moitié du chiffre d’affaires. Les courbes des abonnements payants aux plateformes de streaming et des revenus associés sont les premiers indicateurs qui attestent du caractère pérenne de la croissance du marché mondial. Le streaming payant s’impose progressivement dans un certain nombre de pays comme étant le mode de consommation privilégié. Et pour cause, avec une part de 37%, les abonnements payants rapportent près de quatre fois plus de revenus que le streaming financé par la publicité. 255 millions d’abonnés payants aux plateformes ont été recensés par l’IFPI à la fin de l’année 2018, soit 80 millions de plus en un an. La consommation de la musique en ligne augmente certes avec la pénétration du streaming dans les foyers mais elle converge aussi avec la popularité de la musique et des artistes sur les réseaux sociaux. Plus ces plateformes gagnent en utilisateurs, plus les artistes sont suivis et plus ils sont écoutés. Les artistes de rayonnement international sont également parmi les plus populaires sur les réseaux sociaux Instagram, Facebook et Twitter entre autres. C’est le cas du canadien Drake, du groupe coréen BTS, du britannique Ed Sheeran ou encore des américaines Ariana Grande et Lady Gaga, tous dans le classement des dix artistes les plus vendeurs en 2018. La force de frappe de YouTube, des réseaux sociaux et maintenant des playlists de Spotify et Apple Music permet aux artistes de décupler leurs audiences. Les têtes d’affiche anglo-saxonnes ont évidemment été les premières à en tirer profit. Mais le streaming permet désormais à des marchés longtemps à la traine d’entrer dans une véritable ère de croissance et de s’exporter au point de faire concurrence aux principaux marchés mondiaux historiques.

L’Asie, 2ème marché de la musique enregistrée au monde

Le streaming redistribue les cartes entre les différents marchés du monde. La continuité de son essor en Asie et en Amérique Latine leur a permis de s’imposer sur la scène mondiale face aux marchés nord-américains et européens. En 2018, l’Asie est devenue le 2ème marché mondial avec une croissance de 11,7% impulsée par la progression de 30% du streaming. Outre le Japon (+3,4%) qui s’est conforté au 2ème rang derrière les États-Unis, la Chine s’est distinguée en passant de la dixième à la septième place du classement mondial, devançant l’Australie, le Canada et le Brésil. Le titre ‘Be apart’ de la chanteuse chinoise Tia Ray s’est classé 7ème des meilleures ventes au monde avec un équivalent de 10,9 millions de ventes. La Corée du sud reste le sixième marché malgré la montée en puissance de la Chine, du fait d’une croissance considérable de 17,9% portée notamment par les succès en série du groupe BTS avec deux albums parmi les dix meilleures ventes mondiales. De l’autre côté du globe, l’Amérique Latine a réalisé la plus forte progression en 2018 en termes de revenus, portée par la dynamique du Brésil dont les revenus ont augmenté de 15,5% sous l’effet du streaming, mais également par celle du Mexique (+14,7%). Les musiques latines sont parmi celles à qui l’accès décuplé aux publics permis par les plateformes de streaming bénéficie le plus. Le Brésil comptant plus de 200 millions d’habitants et le Mexique plus de 130 millions, le streaming a permis de créer de la valeur sur les marchés intérieurs de ces pays lourdement impactés par la consommation illicite de la musique et par un faible consentement à payer. Mais aussi de s’exporter auprès sur les marchés américains et européens notamment. L’artiste colombien J Balvin, qui a commencé par conquérir l’Amérique Latine pour ensuite émerger en Amérique du nord puis en Europe et devenir en moins de trois ans un artiste de rayonnement planétaire, illustre bien la capacité des musiques latines à s’internationaliser acquise durant ces dernières années.

L’Europe face à un plafond de verre

Le marché européen se heurte quant à lui à un plafond de verre. Alors que l’Asie, l’Amérique Latine et l’Amérique du nord affichent des taux de croissance à deux chiffres, le chiffre d’affaires de la musique enregistrée en Europe a stagné en 2018 (+0,1%). Les disparités entre les principaux marchés européens expliquent cette contraction. Il faut dire que l’adoption du streaming varie avec de forts taux de pénétration en Suède et un rythme plus lent en Allemagne et en France notamment. Le fait le plus marquant de ce coup d’arrêt est la baisse substantielle du marché allemand (-9,9%), qui a perdu sa deuxième place au classement mondial au profit du Royaume-Uni (+3,1%). La bascule vers le streaming s’opère à un rythme plus lent en Allemagne, bien que le pays compte plus de 10 millions d’abonnés payants soit deux fois plus qu’en France. Les pays nordiques, où la pénétration du streaming est bien plus importante, ont tout de même enregistré une augmentation modeste de leurs chiffres d’affaires avec +2,8% pour la Suède et +1,7% pour la Norvège. Les recettes des abonnements aux plateformes de streaming ont malgré tout progressé de 29,2% en Europe mais n’ont pas suffi à booster la croissance. Et les productions européennes ne s’exportent pas suffisamment, du fait d’une concurrence renforcée ces dernières années avec les musiques latines et maintenant asiatiques en plus de l’offensive constante de la musique anglo-saxonne. L’Europe se doit de gagner en attractivité pour conquérir les marchés hors de ses frontières. Le développement du marché africain est à cet effet surveillé de près notamment par la France qui fera certainement face à d’autres acteurs étrangers dès que la montée en puissance de ce marché se préfigurera. D’ici-là, la mise en place d’un cadre réglementaire adéquat pour une meilleure rentabilité de la musique sur les plateformes reste la priorité absolue de l’industrie musicale sur le marché européen pour garantir la croissance du marché de la musique enregistrée.

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