Rémunération équitable: la riposte des artistes-interprètes

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La 16ème édition des Rencontres Européennes des Artistes a comme prévu été marquée par les débats d’ordre juridique et politique. L’Adami et la Spedidam ont évidemment martelé leurs positions vis-à-vis de plusieurs projets de directives de Bruxelles. Et surtout elles ont fait part de leurs attentes d’évolutions des articles qui les concernent, en présence de l’eurodéputée Constance Le Grip. Un timing on ne peut plus opportun.

Le mois d’avril s’annonce décisif pour la place des artistes-interprètes européens dans la chaîne de valeur de la musique en ligne. Le projet de réforme du droit d’auteur de la Commission Européenne est au centre des discussions à Bruxelles. Les organismes de gestion collective des artistes-interprètes plaident donc sans discontinuer en faveur d’un droit de percevoir, auprès des plateformes, une rémunération proportionnelle à l’exploitation des enregistrements. Ce qui pour l’heure n’est pas à l’ordre du jour du chapitre « juste rémunération des auteurs, interprètes et exécutants » du projet de réforme du droit d’auteur de la Commission Européenne. Les artistes-interprètes estiment que si le projet était adopté en l’état, ils seraient bannis de la chaîne de valeur sur le long terme, et ce juste à l’aube d’une bascule du marché de la musique enregistrée. Dès lors, le numérique générera au moins 50% des revenus du marché, dont environ les 2/3 seront réalisés sur le streaming. L’organisation AEPO Artis, qui rassemble entre autres la Spedidam et l’Adami, est donc aux manœuvres pour court-circuiter cette mécanique à contre-courant des intérêts de ses membres, dans l’espoir d’entrevoir un partage de la valeur.

Renforcement, consolidation, responsabilité

Les artistes-interprètes ne sont pas seuls malgré que leur lobbying soit de moindre mesure comparé à celui opéré à Bruxelles par les plateformes notamment. Un certain nombre de discussions ont eu lieu avec certains acteurs de premier plan amenés à peser, et des propositions de part et d’autres ont été formulées. L’objectif est clairement d’alourdir le plateau de la création sur la balance du marché unique numérique. Les représentants des artistes-interprètes en France que sont la Spedidam et l’Adami comptent quelques alliés pour ce faire, dont la députée européenne Constance Le Grip. Lors du débat interrogeant sur l’impact du projet de directive de Bruxelles sur le droit d’auteur en Europe, l’eurodéputée s’est exprimée quant aux objectifs et positions qui sont les siens pour les industries de la Culture. D’après Constance Le Grip « la modernisation de la législation à l’heure numérique doit se faire à l’aune du renforcement du droit d’auteur, de la consolidation des droits des artistes-interprètes et de la responsabilisation des plateformes ». Des propositions visant à amender le projet de directive du droit d’auteur, en faveur du droit d’auteur et des droits voisins, ont été mises sur la table. L’eurodéputée était en Commission des Affaires Juridiques ce mercredi. Au moins un projet d’amendement visant à garantir une rémunération équitable pour les artistes-interprètes sur l’exploitation des œuvres a été déposé. Le projet de la Commission des Affaires Juridiques, jonction du rapport de Therese Comodini et des projets d’amendement des députés, sera soumis au vote à la mi-avril.

Consumérisme

L’épreuve s’avère très difficile pour les artistes-interprètes. Les projets d’amendements déposés par les députés européens alliés du droit d’auteur et des droits voisins pourraient vraisemblablement être modifiés ou se heurter à des oppositions. « Si nous n’arrivons pas à obtenir ce droit à rémunération équitable pour les artistes-interprètes sur les services à la demande, il y aura un assèchement de la création » a prévenu Bruno Boutleux, Directeur Général de l’Adami. Il faut dire que les réticences sont nombreuses à Bruxelles vis-à-vis de leurs demandes afférentes à la rémunération équitable pour l’utilisation des œuvres sur les plateformes. Mais les artistes-interprètes persistent et signent, considérant la proposition de réforme du droit de la Commission Européenne comme une « escroquerie intellectuelle », au même titre que l’a été, selon eux, la loi LCAP. A vrai dire, il ne s’agit pas tout à fait de prises de position contre les créateurs. Mais bien d’orientations dans l’intérêt des consommateurs. Il faut dire que l’Union Européenne est particulièrement hétéroclite en matière d’industries de la Culture. Les pays qui sont les principaux producteurs des œuvres et contenus culturels et alimentent l’offre dans l’Union Européenne sont évidemment plus soucieux de préserver les intérêts des ayants-droit. Et a contrario, les pays qui en importent davantage qu’ils n’en produisent et n’en exportent sont ceux qui appellent de leurs vœux un marché unique numérique facilitant l’accès des contenus culturels européens. C’est ce qu’a expliqué la députée européenne Constance Le Grip : « Les pays  qui sont avant tout consommateurs des contenus culturels sont plus enclins à avoir cette approche consumériste de la culture ». Un angle de vue pragmatique de la réalité et de la complexité qui entourent Bruxelles sur les questions de droit d’auteur et de droits voisins concernant la musique entre autres. C’est dans un tel contexte que les organismes de gestion collective réaffirment haut et fort la nécessité que leurs pouvoirs soient consolidés voire étendus. « Il y a deux options pour que les créateurs soient défendus, les sociétés de gestion collective ou de puissants syndicats. Il faut que la gestion collective soit rendue obligatoire » a déclaré Pascal Rogard, Directeur Général de la SACD. C’est pourtant l’inverse qui prévaut. La Cour de Cassation a considéré, dans un arrêt rendu le 15 mars dernier, que les artistes-interprètes demeurent libres de céder ou non leurs droits dans les contrats signés avec les producteurs de phonogrammes.

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