Rémunération des artistes-interprètes : les candidats à la présidentielle sur la retenue

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Au sein de la filière de la Musique, le premier « classico » de l’année a eu lieu à distance entre le Snep et la Spedidam ce mardi. Le retour de la croissance pour le secteur de la musique enregistrée, impulsé par la progression du streaming notamment, conforte le positionnement des artistes-interprètes. Ils s’estiment toujours lésés par la loi d’un marché digital dont les revenus ne cessent de croître. A quelques semaines de la présidentielle, et des législatives, la Spedidam a consacré son colloque annuel à la rémunération des artistes-interprètes.

Le projet de réforme sur le droit d’auteur de la Commission Européenne n’a pas apporté de solutions concrètes aux besoins des artistes-interprètes. Parmi les priorités des 36 organisations européennes d’AEPO Artis émerge en tête le droit à rémunération garantie auprès des plateformes de streaming et de téléchargement, qui soit proportionnel à l’exploitation des œuvres. Mais l’axe ne s’inscrit pas dans la stratégie numérique élaborée par Bruxelles. La Commission Européenne revendique pourtant vouloir mettre en place des dispositifs pour « une juste rémunération des auteurs, interprètes et exécutants ». Mais ses intentions et propositions ne coïncident pas avec les attentes et positions des artistes-interprètes.

Propositions placebos

La Spedidam a introduit ses Rencontres pour la Culture en faisant part de sa position à ce propos. Pour rappel, dans le chapitre 3 dudit projet, la Commission Européenne a inscrit une disposition visant à ce que les producteurs fassent part aux artistes-interprètes de l’exploitation faite des enregistrements. Cependant cette obligation de transparence ne serait pas applicable dans le cas où, le plan administratif, elle serait encombrante pour les producteurs. Au-delà de cette exception, selon le Directeur des affaires juridiques et internationales de la Spedidam, « il ne s’agit pas d’un problème de transparence dans les contrats mais bien d’un rapport de force entre producteurs et artistes-interprètes qui  entrave la possibilité pour ce dernier de négocier ». D’autant que dans la pratique, il est prévu la restriction de la mise en œuvre de cette mesure si la contribution de l’artiste-interprète est minimale. Or la participation des artistes-interprètes sur les œuvres s’opère, par définition, en arrière-plan des artistes principaux. « Autant dire que cette disposition ne s’appliquera pas souvent pour les artistes-interprètes ! » s’est exclamé Xavier Blanc. L’autre intention de la Commission Européenne concernant les artistes-interprètes est que dans le cas de figure d’une rémunération sous-évaluée par rapport à l’exploitation des enregistrements, une renégociation ait lieu avec le producteur. La mesure est intéressante sur le papier. D’emblée nuancée par Xavier Blanc : « là-encore, les artistes-interprètes ne peuvent pas ouvrir de conflits à propos de leur rémunération. A vrai dire, ces dispositifs ne sont donc pas susceptibles de bénéficier aux artistes-interprètes qui n’ont pas de poids dans les négociations, outre ceux avec une certaine notoriété ». Des propositions placebo, en somme.

« Mettre à jour le Code de la Propriété Intellectuelle »

La Spedidam n’est plus dans l’optique de négocier. La SPRD représente 35 000 artistes-interprètes et reverse des droits à 100 000 d’entre eux. Mais la force du nombre n’a pas été une force de frappe ces dernières années. Le constat est sans appel, la Spedidam n’a pas eu les armes pour faire valoir et revaloriser les droits des artistes-interprètes. Et la loi ‘Liberté de création’ l’a encore démontré. A l’échelle européenne, les propositions de la Commission ne sont pas jugées pertinentes. Elles ne réguleront pas les pratiques contractuelles entre producteurs et artistes-interprètes, un rééquilibre que ces derniers jugent essentiel pour leur juste rémunération. De leur côté, les producteurs du Snep ont lors de la présentation des chiffres du marché qualifiées de « passéistes » les revendications des artistes-interprètes liées à la rémunération sur le digital. Malgré tout, la Spedidam persiste à vouloir défendre ses intérêts, à contre-courant de ceux des producteurs, quitte à être on ne peut plus isolée dans la filière. A l’aube de la présidentielle, elle s’attèle à sensibiliser les équipes des candidats se réclamant attentifs à la Culture. Dans l’optique de voir s’inscrire la question de la rémunération des artistes-interprètes dans les programmes et a minima que les candidats se penchent sur le dossier. La Spedidam a donc présenté ses priorités pour le prochain quinquennat à l’occasion de son colloque annuel. L’objectif annoncé – non des moindres – est de « mettre à jour le code de la propriété intellectuelle pour permettre aux artistes-interprètes de bénéficier de leurs droits ». Pour ce faire, la Spedidam réclame le droit à percevoir une rémunération pour les artistes-interprètes, proportionnelle à l’utilisation des enregistrements et ce auprès des plateformes à la demande. Il faut dire que jusqu’à présent, les artistes-interprètes cèdent les droits d’exploitation aux producteurs en contrepartie d’une rémunération forfaitaire uniquement. D’autre part la SPRD demande à ce que les webradios dédiées à un seul artiste-interprète / auteur / compositeur, entre autres, soient incluses dans l’élargissement de la rémunération couvrant désormais le webcasting. Et en parallèle, elle appelle de ses vœux une loi obligeant les producteurs et les diffuseurs à communiquer toutes les informations nécessaires à l’identification des artistes-interprètes. D’après son gérant Guillaume Damerval, « Quand une radio diffuse des enregistrements dans une journée, ce sont des dizaines d’artistes interprètes qui ont participés et auxquels nous pouvons avoir à répartir des droits Pour répartir, nous avons besoin des informations concernant les artistes-interprètes et pas seulement celui de l’artiste principal. Et elles sont détenues par les sociétés des producteurs. Ce serait une garantie pour les artistes-interprètes d’être rémunérés à hauteur de la contribution de leur travail. »

Renvoi à la concertation

Les politiques présents, qu’ils soient parlementaires ou représentants de candidats, ne se sont pas risqués à garantir à la Spedidam des mesures visant à appliquer leurs propositions. Les échanges durant les Rencontres pour la Culture se sont souvent écartés de la question de la rémunération des artistes-interprètes, malgré un cadre législatif et des enjeux posés clairement par Xavier Blanc. La sénatrice et Vice-Présidente de la Commission Culture, Colette Mélot, s’est limitée à rappeler combien « il est nécessaire de rester vigilant quant à la protection des titulaires de droit et du modèle économique fragile de la création » et à annoncer avoir déposé « un projet de résolution européenne en ce sens ». Le porte-parole de François Fillon, David Lisnard, a quant à lui émis de sérieuses réserves sur les propositions de la Spedidam visant à obtenir un droit à rémunération auprès des plateformes. Dans le camp du candidat, l’on estime qu’ « Il ne s’agit pas de prendre des dispositions qui affaibliraient la reprise de l’industrie de la création. Sur la question fondamentale de garantie aux artistes interprètes une rémunération auprès des plateformes, on a besoin de comprendre les répercussions de l’introduction d’une telle disposition dans le code de la priorité sur le reste de la chaine de valeur ». François Fillon serait toutefois favorable à une obligation inscrite dans la loi pour que les informations nécessaires à la gestion des droits des artistes-interprètes soient communiquées par les producteurs et diffuseurs. Mais les intentions de la droite de légiférer en matière de rémunération des artistes-interprètes sont relativement limitées. Une convergence avec la gauche au vu des propos de Michel Pouzol, porte-parole de Benoît Hamon. Ce dernier souhaite que les discussions entre producteurs et artistes-interprètes avancent, et a fait savoir que « le législateur doit aider pour arriver à une maison commune de la musique. Il va falloir en discuter, quitte à ce que le législateur joue le rôle de médiateur à un moment donné ». Ce scénario, identique au quinquennat qui s’achève, est redouté par la Spedidam et l’Adami qui accusent plus de 20 ans d’échecs pour faire valoir leurs droits face aux autres maillons de la chaine de valeur. Artistes-interprètes et producteurs devraient être renvoyés à la concertation en cas d’une victoire de la droite ou de la gauche aux prochaines élections. Avec les résultats que l’on connaît.

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