Plan de relance: la stratégie du Gouvernement pour le secteur de la musique

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Après le temps de l’urgence, s’annonce maintenant celui de reprise et la relance. Critiqué pour sa gestion de crise, depuis les premières mesures défendues par Franck Riester jusqu’au retard à l’allumage de Roselyne Bachelot sur les spectacles de plus de 5000 personnes et sur les mesures de distanciation, le Gouvernement réagit et dévoile les grands axes de sa stratégie pour accompagner la reprise de l’économie de la musique. Avec, et c’est le moins que l’on puisse en dire, des mesures et des moyens à la hauteur des conséquences de la crise sur le secteur.

Jamais le secteur de la musique n’a bénéficié d’un tel soutien financier. La filière musicale a été entendue et prise en considération. La venue du Premier Ministre Jean Castex fin août au Ministère de la Culture pour rencontrer les acteurs du spectacle marque un virage important dans la politique culturelle de Gouvernement. Le Premier Ministre n’a pas manqué de faire part aux professionnels que la dimension économique de leur secteur a été prise en compte par le Gouvernement, déclarant que « l’effort consenti se devait d’être massif, à la hauteur des difficultés, à la hauteur de l’importance économique et sociale du secteur du spectacle vivant en France ». Après un premier effort lors la dotation budgétaire de 50 millions d’euros au Centre National de la Musique pour sa première année, suivi d’une première série de mesures spécifiques au début de la crise, la rentrée synonyme de reprise pour l’économie est l’occasion pour le Gouvernement de présenter et de mettre en œuvre sa stratégie pour relancer le secteur. Avec des mesures et des chiffres conséquents, historiques, mais relatifs quant aux exigences du contexte actuel.

210 millions d’euros pour la musique

Sur les 2 milliards d’euros dédiés à la Culture dans le plan de relance du Gouvernement (100 milliards d’euros au total) dévoilé le 3 septembre par Jean Castex, 442 millions d’euros sont dédiés au spectacle vivant dans son ensemble. Dans le détail, 210 millions d’euros seront affectés au secteur de la musique, 200 millions d’euros pour le spectacle subventionné et 12 millions d’euros pour l’emploi et les artistes et auteurs du spectacle vivant. Le Centre National de la Musique disposera ainsi de 200 millions d’euros de crédits pour divers dispositifs d’aides et de soutien, et de 10 millions d’euros pour achever son implantation et poursuivre sa montée en gamme. A ce propos, la ventilation des budgets fera l’objet d’une concertation avec les professionnels réunis au sein du conseil professionnel du Centre National de la Musique qui démarre le 4 septembre. Les moyens attribués sont dans l’ordre de grandeur des enjeux, alors que le secteur de la musique était déjà en proie à de nombreux défis avant la crise (partage de la valeur, concurrence, billetterie, données), qui se retrouvent décuplés dans le contexte actuel. « Le secteur avait évalué ses besoins à hauteur de 300 millions d’euros. Nous saluons donc l’effort et l’engagement fort du gouvernement, qui permettra aux entreprises de spectacles partout en France de réduire les risques de faillite et d’amorcer la reprise » a commenté le PRODISS. L’occasion de rappeler que d’après une étude EY pour le PRODISS, premier employeur du secteur du spectacle privé, 1 entreprise sur 2 menacée de faillite en 2021, et que selon le SNEP, le marché de la musique enregistrée devrait se contracter en 2020 avec une baisse du chiffre d’affaire annuel pouvant aller jusqu’à 20%.

Inciter les investissements avec le renforcement des crédits d’impôts et un mécanisme de compensation des pertes

Prenant en compte les indicateurs relatifs à l’impact de la crise sanitaire et économique sur le secteur de la musique, le Gouvernement a en parallèle annoncé plusieurs autres mesures importantes, apportant la visibilité nécessaire pour la reprise et la relance du secteur de la musique. Car il faut le dire, la reprise est synonyme de dépenses de la part des entreprises, et donc de recettes pour l’État en taxes, impôts, charges sociales, etc. Un des objectifs majeurs du Gouvernement pour acter la reprise du secteur de la musique est d’inciter les entreprises à réinvestir. Deux mesures fortes du plan de relance vont en ce sens : le renforcement des crédits d’impôts et la compensation des pertes de billetterie liées aux contraintes sanitaires. Pérenniser les crédits d’impôts des secteurs culturels et notamment de la musique enregistrée et du spectacle aurait évidemment un effet incitatif sur les investissements des producteurs. Le crédit d’impôt dédié à la production phonographique et le crédit d’impôt spectacle vivant ont donc été prolongés jusqu’en 2024, avec en prime un assouplissement du crédit d’impôt dédié au live. L’UPFI, syndicat des principaux labels indépendants, salue une « mesure structurante pour l’ensemble de la chaine de valeur, une visibilité bienvenue qui permet aux entreprises de production d’initier des investissements fragilisés par la baisse de leurs revenus ». Même réaction du côté du SNEP, qui fédère entre autres les trois majors : « c’est plus de sécurité, plus de visibilité pour encourager les investissements des producteurs phonographiques au profit des jeunes talents francophones dans un contexte économique particulièrement dégradé ». L’autre mesure phare poursuivant le même objectif d’accompagner les entreprises du spectacle dans leur phase de reprise, consiste en la mise en place d’un mécanisme de compensation à destination des exploitants de salles de spectacle, doté de 100 millions d’euros, à compter du 1er septembre 2020. Le Centre National de la Musique, qui perçoit la taxe affectée sur les spectacles de variété (31,9 millions d’euros en 2018), précise que le dispositif sera orienté sur la compensation des pertes de billetterie liées aux mesures de distanciation. Les entreprises du secteur les plus en difficulté pourront bénéficié du dispositif relatif l’activité partielle prolongé jusqu’au 31 décembre 2020.

Le Gouvernement dans une position inconfortable sur la distanciation physique et les jauges de +5000 spectateurs

Trois priorités concentrent les efforts du Gouvernement à l’égard du secteur du spectacle vivant : la reprise d’activité en adaptant les mesures sanitaires en vigueur, le soutien par un plan de relance massif des entreprises privées, des établissements subventionnés et des artistes-auteurs, ainsi que le rétablissement de la confiance du public et son retour en salles. A propos de la confiance et du retour du public dans les salles de concerts et les festivals dans le contexte actuel, les mesures sanitaires sont de par de leur fonction clivantes pour les publics. Les plus restrictives (distanciation, masques, contrôles à l’entrée, etc.) pourraient rassurer une partie du public comme les plus âgés et l’inciter à revenir en salles, tout comme elles pourraient être considérées comme trop contraignantes par une autre partie du public notamment les plus jeunes. La question de l’interdiction des spectacles de plus de 5 000 personnes soulève les mêmes problématiques. L’évolution des indicateurs relatifs à la crise sanitaire rend difficile les prises de décision quant aux mesures sanitaires pour les concerts et festivals. D’où la position inconfortable de la nouvelle Ministre de la Culture, Ministre de la Santé entre 2007 et 2010, qui a tardé à répondre aux demandes des syndicats de producteurs, de salles et de festivals de lever la distanciation physique entre les spectateurs et l’interdiction des évènements de plus de 5 000 personnes. Mais dans un souci de convergence avec la volonté politique qui consiste à impulser la relance économique, d’équité entre les secteurs, et face à l’incompréhension des professionnels, la Ministre de la Culture a brièvement annoncé, le 28 août, la suppression de la distanciation physique entre les spectateurs, qui rendait impossible la reprise des concerts en configuration « debout » faute de rentabilité suffisante entre autres, ainsi que le port du masque obligatoire pour les spectateurs. Un allègement dont sont pour l’heure exclues les zones de circulation actives du virus (ZCA), à savoir l’Île-de-France, la Gironde (Bordeaux), la Sarthe (Le Mans), le Rhône (Lyon), et plusieurs départements du sud dont la Haute-Garonne (Toulouse), les Bouches du Rhône (Marseille) et les Alpes Maritimes (Nice). Les syndicats de producteurs, de salles et de festivals ont fait savoir être dans l’attente d’une clarification pour les spectacles à jauges dites « debout ». Le Gouvernement pourrait avoir à trancher sur l’exclusion du champ des spectacles concernés par la distanciation physique ceux configuration « debout ». La Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac) « s’inquiète du maintien de la distanciation physique dans les salles en zones rouges, contrainte qui ne pèse que sur le secteur culturel ». « Nous attendons à présent de connaître les modalités du mécanisme de compensation qui bénéficiera notamment aux entreprises du secteur situées en zones rouges, où la distanciation reste d’actualité et se cumulera avec le port du masque », précise Jean-Yves Mirski, Président de la Fesac. Pour l’heure, les spectacles de plus de 5 000 personnes restent interdits jusqu’au 30 octobre. Autre dilemme pour le Gouvernement, qui en interdisant les spectacles à fortes jauges bride la reprise du secteur mais prend des précautions pour contenir la pandémie, mais qui en les autorisant verra sa responsabilité engagée en cas de seconde vague. Jusqu’à ce que les équilibres soient trouvés en convergence avec la trajectoire de la crise sanitaire. Une chose est sûre, les annonces relatives au plan de relance du Gouvernement pour la musique actent la reprise de l’économie du secteur.

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