Pierre-Henri Deballon – Weezevent : « Notre mission est d’innover pour apporter des solutions aux nouvelles problématiques du secteur du spectacle »

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Pierre-Henri Deballon, co-fondateur et Président de Weezevent

La billetterie est une problématique commune et permanente pour l’ensemble des producteurs, diffuseurs et organisateurs de festivals. La hausse de la fréquentation des spectacles a beau être au beau fixe, elle s’accompagne d’une concurrence toujours plus forte. Les professionnels sont en quête de rentabilité pour leurs évènements, un objectif indissociable de la fidélisation et du renouvellement des publics. Le digital offre de véritables perspectives de croissance pour le secteur en matière de billetterie. Producteurs, diffuseurs et organisateurs de festival se doivent d’intégrer, de maitriser et de s’aligner sur les nouvelles pratiques. Weezevent émerge par les nouveaux partenaires à forte valeur ajoutée en matière de la billetterie mais pas seulement. Focus sur son activité et son positionnement avec Pierre-Henri Deballon, co-fondateur et Président.

CULTUREBIZ : Comment Weezevent se distingue dans l’environnement très concurrentiel de la billetterie ?

Pierre-Henri Deballon : Notre approche est d’être un logiciel et non un distributeur, c’est-à-dire que nous apportons une solution de billetterie et non pas de l’audience supplémentaire aux producteurs et organisateurs. Nous ne sommes pas en opposition avec les distributeurs, nous faisons simplement deux métiers différents. Le nôtre est d’équiper les organisateurs de spectacles d’un outil pour leurs sites et réseaux sociaux afin de convertir des fans en clients. Nous offrons des solutions technologiques, notre mission est donc d’investir sur ses outils et d’innover avec des solutions qui répondent aux nouvelles problématiques, notamment celles du secteur du spectacle. La billetterie est notre cœur de métier mais il y a aussi d’autres domaines comme le CRM (Client Relationship Management) ou le cashless, qui sont complètement connectés.

Les organisateurs de spectacles et notamment ceux des festivals ont la capacité de s’auto-distribuer. Nous valorisons cette approche depuis le début et renforçons notre message parce qu’il y a des pratiques problématiques comme les campagnes adwords menées par certains « points de vente habituels » qui détournent une « audience naturelle » des événements. ll commence à y avoir une prise en compte des organisateurs que c’est une économie complexe et qu’ils ne peuvent pas se priver de ventes qu’ils génèrent eux-mêmes.

Quels sont les chiffres et les tendances qui illustrent la dynamique de croissance de Weezevent ?

Nous sommes sur une croissance de 40% de notre chiffre d’affaires, ce qui est très positif. Weezevent compte pas loin de 80 salariés. La société est par ailleurs profitable depuis 4 ans, ce qui montre qu’elle est pérenne, et pas sur un modèle à risque qui pourrait poser des problèmes parce que nous hébergeons beaucoup de données. Cela nous permet de recruter plus de monde et de se développer à l’international. 150 000 organisateurs ont utilisé Weezevent depuis notre lancement et nous avons plus de 20 000 comptes qui ont généré du chiffre d’affaires en 2018. Le secteur du spectacle représente 50% de nos utilisateurs.

La 2ème tendance est notre positionnement à l’étranger avec des bureaux à Lausanne, Madrid, Londres et Montréal. Le gros focus que nous faisons à l’international est sur le cashless. En France, nous travaillons à une solution la plus ergonomique possible sur le placement numéroté à destination des salles et des arénas.

C’est bon pour l’économie française quand on exporte mais au-delà de ça, ce qu’on va développer dans d’autres pays et les nouvelles pratiques que nous allons observer et acquérir sur d’autres marchés sont des choses intéressantes que l’on va pouvoir appliquer aussi en France.

« Nous investissons beaucoup en développement et en hardware pour les nouvelles fonctionnalités sur le CRM  et le cashless »

Les objectifs adossés au lancement de vos solutions sur des marchés comme le Royaume-Uni ou l’Espagne ont-ils été atteints ? Quels sont les principaux défis à l’étranger ?

Quand nous sommes arrivés sur le marché il y a dix ans avec la billetterie, on était innovant parce que c’était une solution self-service et que c’était simple à utiliser. Aujourd’hui il y a des solutions similaires dans de nombreux pays. Certains pays sont aussi des marchés extrêmement concurrentiels. Au Royaume-Uni, la plupart des organisateurs passent par des réseaux de distribution parce qu’aucun logiciel n’a su convaincre de sa valeur ajoutée. Il y a aussi beaucoup de concurrence et il faut beaucoup de moyens financiers parce que les contrats sont achetés. Et dans un certain nombre de cas il faut payer un an de billets à un organisateur pour décrocher le contrat. Cependant, les modèles sont plus rentables avec des commissions de 15 à 20% pour les distributeurs. Il y a aussi d’autres pratiques avec des exclusivités et peu d’interfaçage entre les acteurs, à l’inverse dans les autres pays, puisqu’ils sont tous en concurrence.

En revanche, nous sommes très innovants avec le cashless mais il y a tout un travail d’évangélisation pour en démontrer l’intérêt aux organisateurs. La France a la particularité d’être en avance sur le paiement dématérialisé. Il y a aussi des barrières culturelles, mais pour autant nous avons des avantages technologiques que nous devons faire valoir et pour cela nous recrutons ceux qui ont les capacités de le faire. Nous avons notamment débauché un Responsable de billetterie chez un gros organisateur de festival aux Royaume-Uni et avons aussi recruté la Directrice commerciale de l’un des plus gros acteurs du marché ibérique. Nous allons chercher des professionnels qui ont une connaissance du marché, un réseau de clients et nous adaptons nos produits à ces marchés.

Pouvez-vous résumer les principaux investissements faits pour poursuivre la montée en gamme de vos services ?

Sur un total de 80 salariés, la moitié compose l’équipe Produits pour développer de nouvelles fonctions et s’assurer que le moteur Weezevent continue de tourner. Au quotidien, la moitié des dépenses que nous faisons portent sur la maintenance. Nous avons notamment retravaillé toute l’architecture serveur pour assurer de grosses mises en vente. Pour le Hellfest par exemple, nous avons vendu tous les contingents de billets en quelques minutes donc il faut des structures solides. Les problématiques de sécurité sont également au cœur de nos priorités avec des investissements réguliers faits pour assurer la fiabilité de notre plateforme. Dans la mesure où nous collaborons avec l’Élysée, nous avons dû faire des tests avec des hackers pour vérifier que le système ne peut pas être compromis. Enfin, nous investissons beaucoup en développement et en hardware pour les nouvelles fonctionnalités sur le CRM (Client Relationship Management) et le cashless pour lequel nous possédons environ 4 000 appareils pour équiper les différents sites de nos partenaires.

L’un des enjeux du moment sur le marché de la billetterie porte sur la désintermédiarisation, c’est-à-dire le fait pour les producteurs et organisateurs de spectacles de privilégier la vente en direct et non plus la mise en vente exclusivement auprès des distributeurs traditionnels. Quelle est votre analyse concernant les tendances liées à ce sujet ?

Les organisateurs se contentaient effectivement de vendre les billets de leurs spectacles via les réseaux de billetterie. Aujourd’hui ils se sont rendus compte qu’ils devraient s’auto-distribuer. Le règlement RGPD contribue aussi à faire que les organisateurs prennent conscience qu’ils ne possèdent aucune donnée relative à leurs clients. Dans le sillage des tendances actuelles, il y a aussi beaucoup de startups qui proposent des services innovants. Maintenant on remarque en France que les organisateurs ont recours à un seul réseau de billetterie et non plus trois, et qu’ils sont équipés d’un logiciel en plus. Ils s’intéressent aussi à différentes solutions pour l’optimisation et le remplissage de leurs jauges. Mais le marché n’est pas encore mature pour que l’on parle de CRM et encore moins d’intelligence artificielle. Il y a des choses plus basiques comme de l’envoi de mails, de sms, qui paraissent simples mais ce ne sont pas des réflexes ; il y a encore du travail.

« Les festivals sont équipés d’un logiciel de billetterie mais les producteurs sont souvent contraints de travailler exclusivement avec des distributeurs »

On peut s’interroger quant à l’efficience de l’utilisation des solutions de billetterie et du recours au ‘Client Relationship Management’ qui consiste à exploiter les données, compte tenu du savoir-faire et du temps nécessaires. Le secteur est composé de petites structures pas toujours adaptées à la mise en place et la gestion d’une billetterie autonome. En quoi les solutions proposées par Weezevent répondent à cette problématique ?

Il y a deux choses, la première est la dichotomie entre les festivals et les producteurs de spectacles. Sur les festivals, la problématique de maitrise de la billetterie est plus facile parce qu’ils maitrisent leur lieu et ne sont pas dans une structure comme une salle qui a déjà son logiciel propre. Les festivals sont pour la majorité équipés d’un logiciel de billetterie. En revanche, de mon point de vue les producteurs travaillent exclusivement avec des distributeurs depuis des années et y sont contraints pour un certain nombre. Et pour les producteurs il y a aussi la problématique du placement numéroté. Aujourd’hui il n’y a pas de solution comme la nôtre qui permette simplement de gérer un site avec du placement et c’est pour cette raison que nous travaillons dessus.

Concernant les datas, je dirais simplement qu’il y a quelques années les organisateurs disaient que la billetterie était un métier complexe et qu’ils ne pourraient pas la gérer en interne. Nous en sommes au même point aujourd’hui avec les données. Les organisateurs sont tout de même de plus en plus enclins à gérer leurs données. La barrière qui se pose porte sur les ressources pour le faire. C’est une des raisons pour lesquelles je ne vois pas vraiment le marché switcher mais plutôt rester sur des choses simples. Faire du CRM implique des gens avec des qualifications différentes de celles qu’on a l’habitude/impression de voir dans ce type de structures où est davantage valorisée la connaissance secteur que les connaissances techniques.

Weezevent souhaite faire en sorte que les organisateurs puissent organiser leur base de données. Tout l’enjeu est que l’outil soit une réponse simple à des problématiques complexes. Avec l’outil de CRM que nous sommes est en train de développer, en quelques clics l’organisateur pourra cibler des gens qui étaient là l’an dernier pour à nouveau les convertir.

Les professionnels du spectacle sont en quête de solutions pour endiguer le marché noir de la billetterie. Est-ce que les solutions de billetterie proposées par Weezevent convergent avec cette orientation ?

En l’occurrence, les outils Weezticket et Weeztarget tels qu’ils ont été conçus ne sont pas une réponse au marché noir. En revanche, bien utilisés ils peuvent apporter un début de réponse. La problématique du marché noir est que quelques mois ou semaines avant le concert des clients revendent les billets au-delà de leur valeur faciale. Une des façons de solder ce problème pourrait être que le billet ne soit émis qu’à la fin, un peu comme le font les compagnies aériennes. On pourrait donc imaginer la même chose avec des billets de concerts ou de festivals émis quelques jours avant les évènements. Et en limitant la période de temps on va d’autant limiter le risque de fraude. Pour contrecarrer la fraude, il vaut mieux organiser soi-même la revente ou la vente de billets, ce qui permet de dire aux publics de ne pas acheter sur le marché noir parce que des billets seront en vente. Notre position est donc de dire aux professionnels que c’est à eux d’être inventifs et intelligents et c’est notre rôle que de les accompagner. Après tout, l’objectif de nos solutions est de permettre de mettre en œuvre des stratégies.

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