Le Pass Culture sous étroite surveillance du Sénat

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L’engagement majeur d’Emmanuel Macron en matière de culture s’apprête à prendre forme. L’arrivée d’une première version du Pass Culture est confirmée pour la rentrée 2018. Un projet qui suscite d’ores-et-déjà des réticences de la part des parlementaires comme de certains professionnels.

Contrairement aux crédits afférents à l’audiovisuel public ou encore aux dispositifs d’aide pour la musique et le spectacle, le vote du Pass Culture dans le cadre des crédits de la mission Culture a été une épreuve au Sénat. Les incertitudes exprimées fin novembre en Commission Culture du Sénat ont été réaffirmées en séance. L’intérêt du concept du Pass Culture fait l’unanimité, tant par les acteurs politiques que les professionnels. Mais les réserves sont nombreuses, notamment sur le financement. Soulignant que le coût du Pass Culture estimé à 140 millions sur plusieurs années, la sénatrice Sonia de la Provôté s’est étonnée du fait que « le triennal ne prévoit une augmentation que de 50 millions d’euros sur l’ensemble de la mission », déduisant que « le Pass ne pourra être financé que par redéploiement de crédits. Il est donc utile d’identifier l’orientation de ces déploiements, pour identifier quelle politique ferait l’objet de ce choix ». Même appréhension du côté du groupe Les Républicains, le sénateur Jean-Raymond Hugonet ayant déclaré que « Les contours du Pass Culture sont flous. Le périmètre de 140 millions d’euros n’est pas calé », au point de s’interroger sur un coût qui éventuellement « pourrait se chiffrer à plusieurs centaines de millions d’euros ». Parallèlement au financement, l’autre source réticences des sénateurs se porte sur le contenu de l’offre du Pass Culture. Au point qu’un amendement proposant de différer la mise en chantier du projet, en reportant les crédits (5 millions d’euros) affectés dans le PLF2018 au patrimoine ait été déposé par Pierre Ouzoulias. « Vous avez demandé une mission à l’inspection des affaires culturelles qui rendra un rapport fin 2018. Il nous semble prématuré d’engager des crédits alors que nous n’avons pas pensé et réfléchi à des objectifs » a tranché le sénateur. Mais l’amendement, après un avis défavorable de la Commission des finances et du Gouvernement, n’a pas été adopté par le Sénat.

Diversité de l’offre

Pluralité, diversité, éducation et proximité sont parmi les impératifs souhaités par les parlementaires mais aussi les professionnels tous secteurs confondus malgré l’absence de déclaration à propos du Pass Culture depuis sa mise en chantier. Les réserves émises par certains sénateurs et certaines sénatrices pourraient y faire écho. « Construire un dispositif qui permette d’allier la liberté de choix des jeunes avec la promotion de la diversité culturelle » est un principe impératif majeur du point de vue de Sylvie Robert. En octroyant un crédit de 500 euros aux jeunes atteignant la majorité, le pass Culture produira assurément des effets sur la consommation des biens culturels. D’où les appréhensions qu’une partie importante de cette valeur ne soit captée par les leaders français des marchés la musique enregistrée, du spectacle ou encore de la VOD entre autres. « Il ne faut pas que le Pass Culture devienne le vecteur privilégiée d’une offre standardisée, donnant accès à une culture calquée sur les goûts et appétences habituels des jeunes » a mis en garde Sonia de la Provôté. Confirmant une évidence, bien que ni les parlementaires ni les professionnels en régions ne se soient risqués à l’exprimer clairement. Les pouvoirs publics s’intéressent d’ailleurs aux phénomènes de concentration dans le spectacle et la musique. Les parlementaires s’accordent donc à dire que le Pass Culture, au-delà de permettre l’accès aux biens culturels, doit permettre aux jeunes de diversifier leurs pratiques culturelles d’après les interventions en séance au Sénat. Et les plateformes américaines sont d’ores-et-déjà dans la collimateur des parlementaires. « Nous refusons de donner un blanc-seing à un passeport qui ne permettrait pas la diversité et créerait un effet d’aubaine pour les GAFA » s’est exclamée Sylvie Robert. « Les acteurs de la culture s’inquiètent que cela ne génère un effet d’aubaine pour les géants du numérique qui ne financent pas la culture (Netflix, Amazon) » a prévenu Jean-Raymond Hugonet. Des interrogations auxquelles Françoise Nyssen n’a pu apporter des garanties.

Co-construction

Le chemin de fer du Pass Culture n’est pas défini. Le « laboratoire ouvert » qui se tiendra le 18 décembre permettra d’en faire émerger les premiers contours. Et pour cause, la Ministre de la Culture préfère opter pour une « méthode de co-construction, la meilleure pour aboutir à un outil en phase avec les usages ». Devant les sénateurs de la Commission des affaires culturelles et de la Commission des finances, Françoise Nyssen a aussi confirmé que la préservation culturelle serait au centre du projet. « La réflexion sur le périmètre, la mise en œuvre et le financement est en cours et se poursuit tout au long des prochains mois. Nous avons créé une start-up d’Etat pour concevoir le Pass Culture et construire l’outil dans les prochains mois, en concertation avec les parties prenantes (partenaires potentiels publics et privés, les jeunes, collectivités territoriales…) » a précisé la Ministre. Et le Sénat, s’il a accordé sa confiance au Gouvernement a d’ores-et-déjà fait savoir qu’il serait particulièrement attentif au contenu du Pass Culture.

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