Maud Gari – FELIN : « Assouplir le crédit d’impôt permettrait de renforcer beaucoup de structures dans le besoin »

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Maud Gari, Déléguée Générale de la Fédération des Labels Indépendants

Les labels indépendants jouent un rôle essentiel à la diversité dans le paysage de la musique en France. La multiplicité des artistes, des genres, et le développement d’artistes contribuent directement au renouvellement de la scène musicale. Sur les vingt meilleures ventes au premier semestre de l’année 2019, quatre étaient de réelles productions indépendantes (PNL, Lomepal, Heuss l’enfoiré, Jul, M) c’est-à-dire non affiliées à de grands groupes. La production indépendante s’est considérablement renforcée en France ces dernières années. Mais l’on parle essentiellement des principaux labels indépendants (Wagram, Tôt ou tard, Pias, AllPoints) et beaucoup moins des plus modestes tout aussi importants pour la vivacité. Focus sur l’activité, les problématiques et les priorités des labels indépendants rassemblés au sein de la FELIN, Fédération des Labels Indépendants, avec Maud Gari, Déléguée Générale.

CULTUREBIZ : Est-ce que la dynamique de croissance du marché de la musique enregistrée est la même pour les labels indépendants membres de la FELIN avec la prééminence du streaming ?

Maud Gari : Les labels indépendants que nous fédérons sont clairement sur une dynamique différente. La part du streaming progresse dans leurs chiffres d’affaires, mais pas à la même vitesse que les majors et PME parce qu’ils n’ont pas de catalogues massivement streamés ni de back catalogue. Nos adhérents ont des esthétiques de niches, comme le rock indé ou le jazz et sont donc moins touché par l’impact du streaming. Et ils réalisent en moyenne encore 60 à 65% de leur chiffre d’affaires avec les ventes physiques. Il y a cependant des disparités, les catalogues de nos adhérents dont l’activité est centrée sur l’électro ou sur l’urbain sont davantage consommés streaming. A l’inverse, ceux qui font du classique sont aux alentours de 80 % de physique. Le physique apporte aussi la manne financière la plus importante en termes de marge.

Pouvez-vous résumer les principaux enseignements de l’enquête sur les labels indépendants menée en 2018 et publiée en 2019 ?

Sur environ 200 adhérents, la moitié des structures n’ont pas de salariés à temps plein mais continuent de produire. L’emploi est un vrai sujet, et la pérennité est souvent favorisée par le crédit d’impôt. Parmi nos adhérents, ceux qui ont le plus de salariés sont justement ceux qui en bénéficient. Or il faut produire un minimum de 50% de titres interprétés en français. Les structures qui ont fait le choix éditorial, de produire des titres interprétés en anglais (ou dans d’autres langues) sont aussi de petits labels produisant en France, paient des salaires et cotisations en France, devraient aussi être éligibles. Or, n’oublions pas, comme les majors, les indépendants ont vu leur marché divisé par de en 15 ans ! Nous avons donc constitué un plaidoyer pour que les plus petites structures puissent bénéficier du crédit d’impôt qui a de réels effets. C’est un vrai levier, mais il faudrait qu’il soit adapté aux catalogues modernes. Les labels font notamment de la musique en anglais pour que les artistes soient plus visibles à l’international. Assouplir et moderniser ce critère pourrait permettre de renforcer beaucoup de structures dans le besoin. Nous estimons qu’une centaine de labels pourrait bénéficier du crédit d’impôt si le dispositif était élargi.

Comment se portent les activités de vos adhérents sur le plan financier ?

Nous estimons que le chiffre d’affaires des labels indépendants membres de la FELIN oscille entre 50 000 et 400 000 euros. Les modèles sont très variés parmi nos TPE contrairement aux majors et aux PME qui ont des structures financières bien plus lisibles.

Nos adhérents sont répartis sur l’ensemble du territoire, et le soutien des collectivités varie d’une région à une autre. En Nouvelle Aquitaine, le Conseil Régional est très pro entreprises de la musique et grâce aux aides, les labels peuvent se structurer alors qu’en Rhône Alpes, Occitanie ou même en Île-de-France il n’y a pas ou peu d’aides fléchées pour les labels en dehors du crédit d’impôt et des aides des organismes de gestion collective et autres organisations. Les politiques culturelles régionales ont un vrai impact sur la santé des labels et comment ils sont structurés sur leur territoire. Les contrats de filière qui sont déployés dans plusieurs régions peuvent s’avérer être un formidable levier de développement de ces structures.

Quelles sont les problématiques spécifiques rencontrées par vos adhérents dans le domaine du financement ?

Le coût de production d’un album est d’environ 30 000 euros pour les labels membres de la FELIN. Or les recettes propres peuvent parfois plafonner à 10 000 euros ce qui implique un énorme hiatus de 20 000 euros. Les structures doivent s’adapter. Certaines sont rompues à l’exercice des aides, d’autres s’en sortent et génèrent des recettes supplémentaires avec l’édition, ou la synchronisation. Mais l’équation reste très compliquée pour pleins de producteurs et d’artistes. La diversification est une méthode employée par pas mal de structures qui, parce que la musique enregistrée est plus ou moins déficitaire, font de la production de spectacles, du management ou de l’édition, pour équilibrer leur activité.

Nous discutons constamment avec tous les acteurs pour leur fournir des informations sur le fonctionnement de nos labels indépendants. Les relations avec les banques sont mauvaises, elles ne prêtent pas aux petits labels indépendants. Et très peu de labels ont recours à l’IFCIC, la plupart n’a pas connaissance du dispositif. Nous échangeons régulièrement avec les équipes de l’IFCIC, mais il faut dire que l’établissement est surtout adapté aux labels qui sont les plus structurés avec une comptabilité analytique, et en mesure de fournir beaucoup de documents et de garanties. Le FONPEPS est un outil très utile pour les TPE, mais il reste un problème de trésorerie puisque le délai peut aller jusqu’à huit mois entre le dépôt et le versement de l’aide.

Nous mettons plutôt notre énergie pour trouver des moyens d’augmenter les recettes propres. Le user centric en est un, et augmenter la valeur du stream nous parait être le plus urgent.

Est-ce que vous comprenez les réticences des majors sur le sujet de la bascule vers le modèle dit « user centric » tel que proposé par Deezer ?

La valeur du stream reste insuffisante et c’est le réel enjeu sur le streaming de notre point de vue. Les TPE bénéficient à peine de la croissance générée par le streaming sur le marché. La FELIN est favorable à ce que le système du user centric soit adopté puis généralisé parce qu’il est juste. A partir du moment où l’on écoute un ou plusieurs artistes en particulier, il est normal que les revenus de l’abonnement associés reviennent à ces artistes et leur ayant-droit – et uniquement à eux. Mais le user centric augmenterait substantiellement les revenus des labels indépendants TPE. Nous en avons discuté avec le SNEP, et c’est un sujet complexe mais nous souhaitons que le sujet soit clairement abordé dans le secteur.

La FELIN se démarque au sein de la filière musicale pour faire de la question de l’égalité F/H une priorité avec notamment le programme de mentoring MEWEM. Quelles ont été les principales étapes franchies en la matière, et quelles sont vos orientations et vos attentes vis-à-vis des autres organisations ?

Lors de notre enquête auprès des adhérents, nous nous sommes aperçus que moins de 10% des structures avaient été créées par des femmes. Notre mission étant d’aider l’entrepreneuriat, aider l’entrepreneuriat féminin nous a paru évident. En 2016, nous avons étudié le marché allemand et nous sommes rendu compte que nos voisins faisaient du mentorat pour les femmes depuis 2015. Nous nous donc formés auprès de nos homologues allemands et avons développé un programme adapté au secteur français. Nous avons ensuite présenté le dossier à la DGMIC qui réfléchissait sur les questions de parité. Et ils ont immédiatement, et avec enthousiasme, accepté de nous suivre en finançant une partie du programme pour permettre son lancement. Nous avons aussi obtenu un financement européen en étant associé à l’Allemagne. Lors de la première année du programme de mentorat en France durant cinq mois qui nous a permis d’accompagner douze jeunes entrepreneures, nous avons eu la confirmation que c’est un super levier de développement. Les femmes n’accèdent pas à des postes à responsabilité par manque de réseau et de modèles de réussite. La 2ème session aura lieu en 2020, avec également un programme au niveau européen en collaboration avec six autres pays. Un budget de 40 000 euros avait été dédié au 1er programme en 2019, et ce sera bien plus pour le projet européen. L’enjeu de la parité, de l’entrepreneuriat féminin est crucial car nous sommes persuadés que c’est aussi une dynamique positive qui peut aider le secteur et y compris les hommes. Les discours ne suffisent pas. Il faut agir pour impulser, casser les a priori et les barrières, dynamiser les envies et faire que ça marche et c’est le but de notre programme. Et le Centre National de la Musique doit s’emparer de cette question.

 

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