Marie Sabot – We Love Green : « La mission culturelle des festivals est mal perçue par les pouvoirs publics et doit reprendre une place centrale »

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Marie Sabot, Directrice Générale du festival We Love Green

La hausse de la fréquentation des festivals, de 12% en 2017 selon les dernières données publiées par le Centre National des Variétés en 2018, est à dissocier de leur bonne santé économique et de leur rentabilité. Les festivals restent compliqués à financer, avec, outre le soutien en berne des pouvoirs publics, toujours plus de difficultés pour attirer, convaincre et fidéliser les partenaires privés, sponsors et mécènes. Ces évènements sont pourtant essentiels à la vitalité de la scène musicale francophone, au renouvellement des talents et à l’offre culturelle à destination de tous les publics et ce sur l’ensemble des régions. Qui plus est, les festivals ont de réelles retombées économiques dans les territoires avec un impact sur l’activité des entreprises locales, et pas juste dans le secteur du tourisme.

We Love Green, créé en 2011, est maintenant un acteur incontournable avec 80 000 spectateurs en juin 2019. Écoresponsable et exemplaire en la matière en France, il est en prise directe avec les difficultés rencontrées par beaucoup de festivals pour se financer, être rentable et se développer. Focus sur les spécificités du modèle du festival avec Marie Sabot, sa fondatrice et Directrice, qui aborde également quelques enjeux cruciaux pour le secteur. 

CULTUREBIZ : Quel était le postulat de départ qui vous a conduit à créer un festival écoresponsable et quelles en sont les principales caractéristiques ?

Marie Sabot : L’approche de WE LOVE ART s’est dès le départ différenciée de celles des autres structures classiques de production de spectacles. Nous avons produit des évènements de musiques électroniques dans des lieux atypiques et emblématiques de la capitale. Ces évènements qui ont réuni entre 2 et 10 000 personnes étaient éphémères mais avec une construction évènementielle globale tant sur le son, la lumière et les énergies, que la scénographie etc. Nous avions déjà format proche des festivals, mais ne nous retrouvions pas dans ce qui était proposé à Paris et en région parisienne. Nous avions l’envie de créer un festival « nouvelle génération » dans la programmation comme dans l’expérience. Nous voulions une programmation novatrice qui nous ressemblait, entre l’électro, l’urbain et la pop. Notre équipe est jeune et engagée. Je suis entourée d’une équipe dont beaucoup ont entre 20 et 30 ans et sont en prise directe avec leur génération, et nous voulions donc mettre en place un festival ancré dans l’ère du temps, qui soit écoresponsable, avec le moins d’impact sur l’environnement, et engagé dans la sensibilisation. Notre approche culturelle nous semble être ce vers quoi un festival doit tendre pour trouver écho dans la nouvelle génération.

We Love Green est un festival écoresponsable en matière d’énergie, de gestion des déchets, mais aussi dans la restauration. C’est ancré dans notre organisation. Le festival est alimenté à 100% par des énergies renouvelables, avec des énergies à biocarburant et on est très content de pouvoir travailler avec des prestataires français. Pour la gestion des déchets, nous avons un flux de composts très important, et avons opté pour zéro plastique à usage unique. Les bouteilles d’eau ne sont pas autorisées, et nous avons mis en place 90 robinets accessibles gratuitement en tous points du site. La restauration est un autre aspect important puisque les 60 restaurants sont sélectionnés par un jury avec une charte et nous formons leurs équipes des restaurants avec des workshop et avons aussi une carte de traçabilité. Nous avons aussi mis en place une plateforme de valorisation pour que d’autres évènements, d’autres producteurs, d’autres particuliers puissent proposer des idées. Et nous avons été distingués en tant que festival écoresponsable par l’organisation à but non-lucratif A greener festival dans la catégorie « outstanding », après l’analyse par un assesseur de nos dossiers techniques, nos factures de consommation, les rapports énergiques, les tris de déchets, etc.

Comment est financé le festival et quelles sont les difficultés spécifiques rencontrées du fait de son positionnement ?

We Love Green a un budget de 7 millions d’euros. Les subventions représentent 3,8%. Nous sommes dans la dernière génération de festivals, et disposons donc d’un soutien relativement faible des pouvoirs publics. Nous attirons autant de festivaliers que certains concurrents et avons parfois quatre fois de soutien de la part des pouvoirs publics que d’autres festivals de même taille. Notre festival a une dimension citoyenne, de sensibilisation à la cause écologique, et par conséquent il mériterait d’avoir un soutien au moins égal aux autres festivals de même taille. Le festival a pourtant une mission plurielle, d’inclusion dans le territoire, de retombées pour les prestataires, et elle doit être entendue par les missions pouvoirs publics. Nous compensons le faible apport des subventions avec nos partenaires privés. Mais nous sommes extrêmement vigilants en matière de sponsoring et de mécénat, nous demandons à nos partenaires une forme d’engagement de leur structure qui soit probant et sur le long terme. Les apports des nos partenaires et mécènes représentent 18% de notre budget global. We Love Green est donc financé à 80% de recettes propres. Nous avons une réelle pression sur la billetterie.

Le financement de We Love Green est une équation difficile. Il serait beaucoup plus facile et rentable pour nous d’être moins exigeants vis-à-vis des partenaires, des prestataires, d’avoir la même programmation et d’enlever les programmes de scénographie, de restauration etc. We Love Green est tout à fait attractif pour les marques en tous genres puisque notre fréquentation augmente de quasiment 20% chaque année.

Lors du débat « Les éclaireurs » organisé par E.Leclerc l’été dernier, avec Angelo Gopee (Live Nation France), Jean-Paul Roland (Les Eurockéennes) et Gérard Pont (Printemps de Bourges, Francofolies), vous avez déclaré que le taux de droits d’auteur payé à la Sacem par les festivals (8,8%) est trop élevé comparé à d’autres pays comme l’Angleterre. Les discussions à ce sujet avec la Sacem ont-elles avancé ?

Nous essayons d’échanger avec la Sacem pour leur faire comprendre que WLG n’est pas juste un festival de musique. Nous sommes aussi un festival culinaire, organisons des conférences, avons un espace dédié à la réflexion et l’innovation avec des startups et ONG, etc. Mais pour le moment, la Sacem ne veut pas entendre le cadre pluridisciplinaire de notre festival et nous demande de payer les 8,8% sans la possibilité d’un abattement.

Plus largement, nous sommes en discussions au sein de la profession, et nous souhaitons une réflexion élargie au secteur global sur les festivals et leur modèle économique dans la filière. Les autres pays européens ont eu cette réflexion, notamment au Royaume-Uni, où les sources de revenus des artistes de ces 20 dernières années ont été étudiées. Nos voisins européens ont eu un débat multi-secteurs par rapport au modèle économique des festivals et il en est ressorti que les festivals sont une plateforme de rémunération pour les artistes. Pour le moment, cette discussion n’est pas encore ouverte au sein de la filière.  

Les sociétés Corida et sa maison mère Because ainsi que Sony Music France sont respectivement coproductrice et actionnaire de WLG. Un rachat du festival par un groupe est-il envisageable pour poursuivre le développement du festival dans ce contexte ultra concurrentiel ?

L’arrivée d’un groupe au sein du capital de WE LOVE ART n’est pas à l’ordre du jour. WLG est effectivement un festival qui intéresse… Pour le moment, le festival reste indépendant, nous travaillons sur la programmation avec Because, et Sony Music France est rentré il y a trois ans à un moment où le festival avait besoin d’un 3ème acteur pour continuer de croître. Pour le moment, un rachat n’est ni un projet ni une solution. La solution serait plutôt une collaboration plus profonde avec les pouvoirs publics, pour être moins fragile face à l’explosion des cachets et la concurrence française et internationale. WLG est un outil culturel intéressant pour les territoires et les marques engagées. Ces acteurs peuvent soutenir le festival en tant que plateforme culturelle pour leur engagement.

La politique menée est-elle suffisamment ambitieuse quand on tient compte de la contribution économique des festivals et des concerts ?

La mission des festivals est plurielle, or elle est vue par les pouvoirs comme étant purement commerciale et non culturelle. Les festivals sont peu rentables. Regarder les festivals comme une entreprise commerciale dont les organisateurs se servent pour gagner beaucoup d’argent est déconnecté de la réalité. Les organisateurs de festivals sont des passionnés, des entrepreneurs qui remettent en jeu leur évènement chaque année. Les structures d’organisation de festivals sont fragiles, et les festivals sont indispensables pour la nouvelle génération. Cette mission culturelle est mal perçue par les pouvoirs publics et elle doit reprendre une place centrale pour les débats, dans un contexte économique et écologique très difficile. Je pense qu’il faut faire en de prendre en compte tous les éléments dans l’attribution des aides pour que les festivals ne disparaissent pas. Le risque est que l’on se retrouve dans 5 ou 10 ans avec deux fois moins de festivals, qui seront essentiellement des évènements industriels, avec des artistes mainstream, des marques industrielles, le tout dans une logique consumériste.

Est-ce que la mise en place d’un crédit d’impôt pour les festivals, de réduction de TVA, ou encore un dispositif incitatif avec un bonus de financements publics pour les festivals écoresponsables seraient des solutions ?

Je suis pleinement d’accord sur la nécessité d’inciter à être écoresponsables les festivals pour changer la donne. Mais il faut être vigilant à ne pas pénaliser des festivals qui n’ont pas encore la capacité financière d’être écoresponsables parce que c’est plus couteux. Nous avons déployé énormément d’énergie en la matière, plusieurs personnes y sont dédiées au sein de l’équipe, des festivals ne peuvent pas se permettre ces investissements, et ce serait dommage de les impacter. Le crédit d’impôt serait important mais pour le moment nous ne payons pas d’impôt faute de bénéfice.

 

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