Marché unique numérique : Mariya Gabriel attentive aux intérêts de la création

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Depuis un certain moment, la Commission Européenne s’applique à redonner confiance aux acteurs des industries culturelles et créatives vis-à-vis de ses intentions pour rendre effectif le marché unique numérique. Avec plus ou moins de succès. Les réticences sont encore nombreuses sur le projet de réforme du droit d’auteur et sur la directive SMA entre autres, actuellement en discussions, de même que sur le règlement de la portabilité qui entrera en application cette année. Mariya Gabriel, Commissaire Européenne à l’économie et à la société numériques a tout de même prononcé un discours important au Parlement Européen qui semble marquer un tournant majeur dans l’approche de la Commission Européenne.

Culture et numérique ne sont pas des écosystèmes antinomiques. C’est ce qu’est venue affirmer Mariya Gabriel avec des propos rassembleurs devant les acteurs de la culture réunis à l’initiative de la Coalition européenne pour la diversité culturelle à Bruxelles le 24 janvier. « Ce qui nous unit c’est une cause : la diversité culturelle et la place de la culture. En associant culture et numérique, cet évènement est une occasion de prouver que le numérique n’est pas source de pessimisme mais d’optimisme. Le numérique est le principal moyen dont nous disposons pour créer, promouvoir nos cultures » a déclaré la Commissaire Européenne en introduction de la conférence dédiée au soutien de la diversité culturelle à l’ère numérique. Sur la lignée de son prédécesseur Günther Oettinger, elle a sans surprise confirmé que les opportunités offertes par le numérique pour l’exposition et la promotion des œuvres et contenus, ainsi que l’accès facilité au marché pour les consommateurs étaient les principaux objectifs de sa politique. Mais la Commission Européenne l’assure à chaque fois qu’elle en a l’occasion, que ce soit lors d’intervention de la DG CONNECT ou de la DG EAC, le fait d’en faciliter l’accès des œuvres et contenus ne fragilisera l’écosystème de la création ou la diversité.

La feuille de route de la Commission Européenne

Mariya Gabriel a détaillé la feuille de route de la stratégie de la Commission Européenne baptisée « Digital for Culture ». La « garantie d’un accès plus large à la culture », la « promotion et la valorisation du patrimoine », l’évolution de la « production et la distribution » à destination du numérique, la « valorisation des talents et compétences », l’ « accès aux financements » et la « coopération internationale » en sont les fondements. Et au-delà d’émettre des souhaits, la Commission Européenne s’apprête à mettre en place des initiatives pour déployer cette stratégie dès 2018. Il s’agit de profiter « de cette année européenne du patrimoine culturel pour rendre l’offre plus visible » a fait savoir Mariya Gabriel. Pour promouvoir et valoriser le patrimoine, un répertoire des films européens en ligne permettant d’avoir des données sur la disponibilité et l’exploitation à l’échelle européenne devrait être crée. L’outil réservé aux professionnels (exploitants, distributeurs, plateformes) dans un premier temps sera opérationnel avant la fin de l’année. Parmi les propositions encore à l’étude au sein de la DG CONNECT, l’encouragement de modèles innovants de distribution, une semaine du film européen à destination des établissements scolaires, l’expérimentation de nouveaux types de narration, la mise en place de nouveaux programmes de mentorat, ou encore la création d’un dispositif financier pour favoriser le développement de projets à grande échelle.

Conciliation des intérêts

Les directives et règlements en chantiers à Bruxelles sont considérés par la Commissaire Européenne à l’économie et à la société numériques comme le socle d’« un travail fait pour motiver et pour récompenser la création ». Evidemment, les décideurs et professionnels des industries de la Culture ne sont pas tous de cet avis. Dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel, que la territorialité des droits ressorte fragilisée au point que soit remis en question le modèle de financement des œuvres et contenus reste une inquiétude. Les acteurs de l’industrie musicale restent quant à eux en attente de réponses concrète pour endiguer les distorsions du marché sources du transfert de valeur. Les représentants des auteurs et des artistes-interprètes sont aussi parmi les plus sceptiques quant au fait que la directive sur le droit d’auteur permettra une « plus juste rémunération des créateurs » sans leur octroyer une rémunération proportionnelle à l’exploitation des œuvres. Ces derniers s’attèlent à défendre leurs intérêts auprès du Parlement Européen et du Conseil de l’Europe. Mariya Gabriel n’a pas fait de commentaire sur ces points, mais elle s’est montrée à l’écoute des préoccupations respectives : « Le droit d’auteur doit continuer d’être un outil approprié pour motiver la création. En reconnaissant la création et les investissements dans cette création, le droit d’auteur contribue à la diversité culturelle. C’est dans l’intérêt de tous ». Une marque d’intérêt vis-à-vis des acteurs des industries culturelles et créatives qui ne lui fait pas perdre de vue les objectifs de la stratégie numérique de la Commission Européenne. « Les usages évoluent sans cesse, l’accès aux données joue un rôle de plus en plus important, de nouveaux acteurs distribuent des contenus. Nous avons à quel point tous ces projets de réformes sont complexes et importants, mais l’objectif est de permettre aux industries culturelles de toucher de nouvelles audiences, de s’adapter aux réalités de l’ère numérique et de profiter pleinement du marché unique numérique » a insisté la Commissaire.

Principe du pays d’origine pour la directive SMA

Le projet de directive SMA tient une place prépondérante parmi les différents textes. « Adapter la réglementation à un nouvel environnement dans un contexte où les jeunes consommateurs migrent de la télévision traditionnelle vers le monde en ligne » en est l’objectif premier d’après Mariya Gabriel. Outre le quota de présences d’œuvres européennes sur les plateformes VOD fixé à 30% par le Conseil de l’Europe en mai 2017, la possibilité pour les Etats membres d’imposer des obligations de financement aux plateformes est un des effets majeurs attendus de la directive SMA. La Commissaire Européenne a réaffirmé que « le principe du pays d’origine devrait rester la pierre angulaire de la directive. C’est ce principe qui fait du marché unique numérique une réalité et il convient de le maintenir ». Reste à savoir si cette disposition pourrait entraver la mise en place d’obligations pour les plateformes à financer la création, si elles s’avèrent soumises à la juridiction du pays d’origine et non à celle du pays de destination. Un point de vigilance parmi tant d’autres pour les acteurs de la Culture.

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