Malika Séguineau – PRODISS : « Un CNM doté de moyens extra-sectoriels permettra de déployer des projets artistiques et la dynamique de nos entreprises »

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Malika Séguineau, Directrice Générale du PRODISS

Le Syndicat national du spectacle vivant musical et de variété poursuit sa montée en gamme pour défendre et faire valoir le live comme une véritable industrie. Toute économie florissante nécessite un cadre réglementaire favorable et un écosystème vertueux pour assurer sa pérennité. Un engagement constant pour le PRODISS qui fédère 350 entreprises dont 90% sont des PME et 40% réalisent moins d’1 million d’euros de chiffre d’affaires. Pour CULTUREBIZ, Malika Séguineau détaille les positions du premier syndicat d’employeurs du secteur concernant le crédit d’impôt dédié au spectacle vivant musical ou de variétés, la circulaire Collomb ainsi que sur la revente illicite de billets. La Directrice Générale du PRODISS en profite pour évoquer les fondements indispensables du futur Centre National de la Musique et pour réaffirmer la place des femmes comme un enjeu.

CULTUREBIZ : Le Centre National de la Musique est-il le symbole d’un nouvel élan pour la structuration du secteur et d’une nouvelle ambition politique en phase avec les économies de la musique live, de la musique enregistrée et de l’édition ?

Malika Séguineau : Je crois que c’est une prise en considération de ce que représente ce secteur aujourd’hui, et du besoin des acteurs de la filière d’être fédérés au sein d’un établissement pour construire des programmes de soutien plus forts, et adaptés aux besoins actuels. [Le ministre est tout à fait conscient du potentiel de notre secteur, et il a l’ambition de construire une véritable politique pour la Musique. Une nouvelle page s’ouvre avec un certain nombre de signaux jugés positifs.

Nous sommes tous d’accord pour dire que nous souhaitons cet établissement pour remettre l’artiste au centre, et que les professionnels travaillent de manière plus transversale. J’aimerais rappeler que la volonté d’organiser le secteur du spectacle vivant musical et de variété est née de la volonté de professionnels, membres du PRODISS qui, en 1986, avaient souhaité mettre en place un fonds de soutien, devenu en 2002 un établissement public, le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV). Nos homologues de la musique enregistrée ont fait de même en créant le Fonds pour la Création Musicale (FCM) et le Bureau Export. Aujourd’hui, il est temps de faire évoluer ces dispositifs et de les rassembler. Le Bureau export constitue un excellent exemple de la capacité de la filière à travailler ensemble : en ouvrant ses dispositifs à l’ensemble de la filière musicale, l’approche des projets artistiques est désormais transversale.

Rationnaliser permet de travailler plus efficacement. La mission d’observation permet quant à elle de valoriser la filière et la rendre lisible au niveau politique, en produisant plus d’études et de ressources. En revanche, il ne peut s’agir de simplement mutualiser l’existant, il faut des financements supplémentaires, et que nous en ayons la garantie rapidement. Tous les rapports l’ont écrit : des pistes tangibles de financements budgétaires et/ou extra sectoriels existent et nous devons y travailler pour convaincre le ministère de l’Économie et des Finances des besoins du secteur. Par exemple je ne comprends pas que l’ensemble des fournisseurs d’accès à l’internet et des plateformes sur lesquelles il y a beaucoup de musique (notamment des captations de concerts) financent seulement le Cinéma.

Un Centre National de la Musique doté de moyens extra-sectoriels pour abonder les programmes existants, et en créer de nouveaux permettra de développer les entreprises et les projets en besoin. Les professionnels ont à cœur que ce projet avance et, le PRODISS travaille notamment en lien étroit avec le SNEP, l’UPFI, et la CSDEM au sein de « l’Alliance des entreprises de la musique ».

« Le CISV a été sacrifié alors qu’il pèse seulement 5% de l’ensemble des crédits d’impôt culture »

La consolidation du crédit d’impôt pour le spectacle vivant musical ou de variétés était sollicitée pour pérenniser le soutien aux entreprises et aux projets. Comment avez-vous vécu les modifications apportées au dispositif par les parlementaires dans du PLF2019 ?

Le bilan est extrêmement dur et les conséquences auraient pu être encore plus dramatiques si le PRODISS n’avait pas commandé une étude d’impact au cabinet EY. Je pense que nous avons su démontrer la pertinence du dispositif qui bénéficie principalement aux petites entreprises, alors même que nous n’avions qu’une seule année pleine d’application. 86% des bénéficiaires du crédit d’impôt réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 5 millions d’euros et captent 65% du dispositif. 62% réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros, tandis que 32% génèrent moins de 250 000 euros. Ces chiffres confirment que le dispositif a aidé là où étaient les besoins, c’est-à-dire pour les entreprises dont le travail principal est le développement artistique : le CISV a accompagné 875 spectacles d’artistes en développement. 3400 dates ont été produites grâce à son existence, sur l’ensemble du territoire. S’y ajoutent les multiples retombées en termes d’emplois (les structures bénéficiaires du CISV ont déclaré avoir augmenté de 10 % leur nombre d’emplois en 2017 grâce à ce dispositif), et de dépenses dans les territoires, des investissements pour des dates supplémentaires des tournées soutenues, et des signatures de nouveaux artistes. Autant d’indicateurs très positifs sur un dispositif très jeune qui a permis de générer pour l’Etat, 38,9 millions de contributions fiscales et sociales supplémentaires.

Le débat parlementaire a été âpre, et nous en sommes sortis avec l’impression d’avoir été sacrifiés alors même que le crédit d’impôt spectacle pèse seulement pour 5% de l’ensemble des CI culture. Quand on observe l’ensemble des crédits d’impôt, nous sommes les seuls à avoir été autant impactés. La décision de sortir l’humour et d’exclure les comédies musicales du périmètre est injustifiable et injustifiée. Nous sommes un important employeur du secteur du spectacle, pourtant, nous avons eu le sentiment qu’on nous reprochait presque de ne pas pouvoir nous prévaloir d’un risque de délocalisation de l’emploi pour justifier d’un soutien au secteur ! Oui, nos équipes sont françaises et travaillent en France, nos tournées ont lieu sur l’ensemble du territoire et s’exportent en Europe et à l’international. Lorsque nous partons à l’étranger, nous emmenons nos artistes et nos équipes, et nous salarions tout le monde.

Outre la sortie des spectacles d’humour du champ du crédit d’impôt, le gouvernement a également décidé de modifier le critère d’éligibilité au dispositif. Auparavant, il fallait, pour déposer un dossier de CISV, que l’artiste n’ait pas effectué plus de 12 000 entrées sur les trois ans antérieurs. Désormais, il faut que l’artiste n’ait pas tourné dans des salles de certaines jauges et qu’il ait fait au moins 4 spectacles dans 3 salles différentes. Les spectacles de comédie musicale se retrouvent de fait exclus du dispositif. La double peine ! Le crédit d’impôt spectacle a donc été réduit à la musique, y compris subventionnée, alors qu’il aurait vocation à être étendu à l’ensemble des entreprises privées du spectacle vivant qui se battent au quotidien pour accompagner des artistes dont le succès n’est jamais garanti. Le bilan est donc lourd pour le secteur et nous avons eu le sentiment de ne pas avoir été pleinement soutenus par notre administration de tutelle.

Aujourd’hui nous sommes engagés dans le projet du CNM, qui aura notamment pour mission de gérer les crédits d’impôt de la filière. L’établissement public sera en mesure de piloter et d’évaluer les dispositifs fiscaux, nous serons donc plus forts pour les faire évoluer.

« Les plateformes de revente de billets profitent du travail des créateurs et des professionnels et ne paient ni taxe, ni TVA, ni droits d’auteur, ni impôt »Les pratiques de la plateforme Viagogo ont été mises en lumière en France avec le lancement de la campagne « Fan pas gogo » et la procédure pénale engagée par le PRODISS. Quel a été l’impact de cette campagne un an plus tard ? En décembre dernier, le Conseil Constitutionnel a confirmé dans une décision les termes de la loi de 2012 interdisant la revente de billets sans l’autorisation du producteur. Quelles sont vos attentes vis-à-vis des prochaines décisions pour contraindre la plateforme à rentrer dans le giron de la réglementation ?[ihc-hide-content ihc_mb_type= »block » ihc_mb_who= »unreg » ihc_mb_template= »3″ ]

L’impact de la campagne est positif : nous avons été submergés dès le lancement par des appels et messages de consommateurs floués, ce qui reflète bien l’étendue de ce fléau. Parmi les témoignages recueillis, il est clair que nombre d’entre eux ont effectué leurs achats sur des plateformes de revente illicite qui se trouvaient en tête de résultats dans les moteurs de recherche.

La campagne est indispensable pour sensibiliser les publics aux pratiques des plateformes illicites. Les consommateurs peuvent ainsi s’appuyer sur des guides à leur disposition, signer une pétition, et échanger avec nous sur les problématiques qu’ils rencontrent. Nous sommes également en lien avec les associations de consommateurs qui s’étonnent de recevoir autant de questions sur ces sites.

Les pratiques de ces plateformes – VIAGOGO est l’une d’entre elles – fort bien référencées sur le principal moteur de recherche, sont un problème majeur en France, et à l’international. Outre l’illégalité de ces pratiques dans l’hexagone en raison de la loi du 12 mars 2012, ce phénomène parasite qui spécule sur le dos des spectateurs nuit à l’image de l’artiste et des professionnels. Le consommateur est quant à lui « perdu » dans cette jungle sur internet, et une fois son billet acheté sur ces sites, il a l’impression d’avoir été trompé, d’avoir payé trop cher…et il ne reviendra peut-être pas à un concert. Ces sites profitent du travail des créateurs, des artistes et des professionnels, spéculent, et ne paient ni taxe, ni TVA, ni droits d’auteur, ni l’impôt sur les sociétés en France. Nous avons d’ailleurs initié des échanges avec Google et nous leur avons indiqué que les spectateurs allaient sur leur moteur de recherche, en toute confiance, et par le biais du référencement par mots clés, se retrouvaient sur un site qui développe des pratiques illicites. Lorsqu’elles sont attaquées en justice, la stratégie de ces sociétés est de nous essouffler en contrattaquant sur les procédures depuis le Delaware (USA) à grand renfort d’avocats.

Mais nous restons pleinement mobilisés, comme le sont nos homologues de la musique enregistrée avec la directive sur le droit d’auteur entre autres. D’ailleurs à ce sujet, connexe aux pratiques liées à internet, il était indispensable pour les artistes et la création de ne pas perdre cette bataille contre les GAFA. Une lutte à laquelle nous sommes pleinement associés de par sa légitimité et parce que nous partageons les mêmes problématiques avec la revente illicite : sites, plateformes et moteurs de recherche spéculent sur l’accès aux publics des artistes.

La décision du Conseil Constitutionnel qui a jugé de la conformité de la loiétait un évènement fort. La société Viagogo avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, dans le cadre d’un litige initié à son encontre par l’UEFA, afin d’écarter tout risque de sanction pénale. La société Ticketbis (StubHub), dont l’objet est identique, s’y était associée. Cette décision a consacré l’article 313-6-2 du Code pénal, qui sanctionne la vente de manière habituelle de titres d’accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant sans l’autorisation de l’organisateur de l’événement. Personne n’a été dupe des pratiques de Viagogo dont les représentants ont eu beaucoup de mal à expliquer au cours de l’audience la provenance des billets. En parallèle, nous avons engagé une procédure pénale avec plusieurs producteurs de spectacles qui suit son cours et pourrait aboutir à une sanction pénale. Nous apportons aussi notre soutien aux entreprises qui engagent des procédures à l’encontre des plateformes de revente de billets sans autorisation. Et nous travaillons avec des organisations en Europe comme la FanFair Alliance et l’association FEAT qui œuvrent pour lutter contre le marché noir.

« La circulaire Collomb, le CISV et le décret son démontrent l’écart entre la réalité entrepreneuriale et les décisions politiques prises hors-sol qui fragilisent nos TPE »

Une procédure visant à annuler les mesures de la circulaire Collomb a été engagée par le PRODISS et le SMA. Pouvez-vous résumer vos principaux arguments à l’appui de cette demande ?

La circulaire Collomb, comme le CISV ou le nouveau décret son, sont les parfaits exemples de l’écart entre la réalité sectorielle et entrepreneuriale…et des décisions politiques prises hors-sol qui fragilisent et malmènent nos TPE.

Il est important de préciser que nos professionnels ont toujours accepté de participer au paiement des frais relatifs à l’indemnisation des services d’ordre. Jusqu’à l’an dernier, les factures étaient raisonnables, avec la circulaire Collomb publiée le 15 mai 2018, elles se sont envolées pour certains et risquent de s’envoler à l’avenir pour d’autres. La loi telle qu’inscrite dans le Code de la sécurité intérieure pose un cadre en indiquant que les prestations à rembourser par les organisateurs aux prestations de service d’ordre sont limitées à celles qui ne peuvent être rattachées aux obligations normales incombant à la puissance publique. La circulaire a modifié ce cadre en considérant que toute intervention en lien direct avec l’évènement est à la charge de l’organisateur, en créant la notion de « périmètre missionnel » au sein duquel les missions sont refacturables. Selon cette théorie nouvelle, toute mission en lien avec la gestion des flux de population ou de circulation et la prévention des troubles à l’ordre public qui sera considérée directement imputable à l’évènement fera l’objet d’un remboursement.

Par exemple, des dispositifs de régulation de circulation dans la ville, d’orientation des spectateurs autour des gares et stations de métro deviennent facturables dès lors que l’on considère qu’ils sont mis en place pour limiter les troubles imputables à l’évènement. Le Ministère de l’Intérieur adopte donc ici une interprétation très différente de la notion d’obligation normale incombant à la puissance publique issue de la loi sécurité et liberté de 1995 (article L. 211-11 du Code de la sécurité intérieure), toujours en vigueur. C’est la raison pour laquelle nous avons, avec le SMA, décidé d’attaquer la circulaire devant le juge administratif et de demander son retrait.

Les conséquences financières ont été importantes pour certains festivals dès 2018 (Les Eurockéennes et Rock en Seine) et nous craignons l’édition 2019. Les discussions sont actuellement en cours entre les festivals et les préfectures.

Tous les festivals n’ont pas été touchés lors de l’édition 2018 en raison d’une publication tardive de la circulaire, mais de nombreux organisateurs ont été prévenus que cette année elle sera appliquée.

Les factures sont imprévisibles et varient en fonction des festivals et des régions. Il est difficile de trouver de la cohérence entre les décisions prises sur les territoires. Pourquoi 0 euro dans une région et 150 000 euros dans une autre ? Il ne saurait être question que certains acteurs de l’économie marchande paient pour d’autres acteurs.

Depuis les attentats, nos membres ont renforcé leurs investissements et les moyens alloués à la gestion de la sécurité sur leur site. Nous le devions à nos publics. Le PRODISS a accompagné ses entreprises très tôt dans la gestion de ce nouveau risque, en organisant des séminaires sur la prise en considération du risque d’attentat dans la gestion de l’évènement. En 2018, nous avons étendu cette approche en déposant un projet européen pour construire des modules de formations, et travailler sur l’innovation technologique en matière de sûreté avec huit partenaires européens. Le projet Safe a ainsi été lancé grâce à Erasmus + en septembre 2018, avec un déploiement sur 24 mois.

« La formation et l’éducation sont les axes majeurs de nos réflexions pour renforcer la place des femmes dans la filière musicale »

Le PRODISS a initié une dynamique visant à valoriser et améliorer la place des femmes dans la filière musicale. Avez-vous identifié des priorités pour mettre en place des mesures ou des initiatives pour converger avec cette volonté ?

Le Déjeuner des femmes de la filière qui s’est tenu en marge du MaMA à Paris était un premier acte fort pour mobiliser la filière.

Aujourd’hui, cette dynamique est partagée avec nos partenaires que sont la Sacem, l’Adami, l’Afdas, le SNEP, la CSDEM, Audiens, la SPPF, l’UPFI, ou encore la Guilde des Artistes de la Musique et la Fédération Scènes qui rassemble des syndicats du théâtre. Nous organisons des Assises dédiées aux femmes dans le secteur de la musique et du spectacle en juin prochain. Nous travaillons également sur un diagnostic chiffré et avons l’ambition d’aboutir à des propositions concrètes.

En parallèle, au PRODISS, nous avons mis en place un groupe de travail sur les femmes entrepreneuses. La formation et l’éducation sont les axes majeurs de nos réflexions. Je pense qu’il ne fait pas résumer les solutions à la mise en place de quotas. Nous devons aussi nous questionner sur les barrières rencontrées par les femmes dans le secteur et sur les façons de les franchir. Nous souhaitons aussi mettre en place des espaces où les femmes peuvent solliciter du soutien dans la gestion de leur vie professionnelle et personnelle ou lorsqu’elles sont victimes de violences. La dimension sociétale et sociale est aussi importante et déterminante pour l’avenir du secteur.[/ihc-hide-content]


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