Louis-Alexis de Gemini – Deezer : « Deezer est leader sur le streaming en France avec 3,3 millions d’abonnés »

10
minutes
Louis-Alexis de Gemini, Directeur Général de Deezer

La prospérité de l’industrie de la musique made in France est indissociable de la progression des abonnements payants. En 2019, le streaming payant a maintenu sa croissance en France avec un chiffre d’affaires en hausse de 18%, à 368 millions d’euros, et 1,7 million de nouveaux abonnés. Face à l’offensive pour conquérir le public qui stream massivement les titres et albums de rap menée par Spotify et maintenant Apple Music, Deezer s’efforce de consolider son positionnement de leader. Louis-Alexis de Gemini, Directeur Général de Deezer, détaille la stratégie de la plateforme made in France et commente les dernières tendances observées depuis le début de la crise.

CULTUREBIZ : Quels sont les indicateurs de la contribution de Deezer à la croissance du marché et de la consommation de la musique ?

Louis-Alexis de Gemini : La contribution de Deezer au marché de la musique enregistrée se résume en 1 chiffre : Deezer a reversé 150 millions d’euros aux producteurs, éditeurs et à la création France l’an dernier. Deezer est donc une entreprise qui finance 18 à 20% de la création musicale en France.

Dans le dernier rapport du SNEP (bilan du marché de la musique enregistrée), Deezer est leader avec une part de marché à 37,5% sur les revenus du streaming en France.

Nous avons environ 3,3 millions d’abonnés en comptant les abonnements « famille ». Le marché est devenu plus dynamique et compétitif avec le lancement d’Apple Music en 2015 et plus récemment YouTube Music. Il est possible qu’un jour un autre acteur nous dépasse en chiffre d’affaires ou en abonnés, mais ça n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est que Deezer est aujourd’hui la seule licorne française qui évolue au milieu des géants mondiaux et qui soutient les artistes français et la création et nous en sommes fiers de cette success story.

« Nous déployons un nouveau service gratuit pour permettre à nos utilisateurs d’écouter plus de musique recommandée »

La croissance des souscriptions d’abonnements des plateformes de streaming est continuellement boostée par des partenariats avec les opérateurs mobiles (Deezer avec Orange, Spotify avec Bouygues) et des distributeurs de biens et produits culturels (Deezer avec la Fnac, Qobuz avec Cultura) en plus des 3 mois offerts aux nouveaux clients. Avez-vous d’autres orientations pour faire évoluer votre stratégie et défendre vos parts de marché ?

Il y a effectivement eu un changement important dans notre modèle : nous avons décidé de systématiser l’offre qui consiste à offrir 3 mois d’abonnements quand le client enregistre sa carte bancaire. Cette dernière offre d’essai lancée en novembre dernier permet à de plus en plus de français de tester notre service. C’est d’ailleurs notre premier outil de conquête de nouveaux clients. Et cela nous a permis de relancer notre conquête de nouveaux abonnés avec un taux de transformation supérieur à 50%.

Nous continuons à développer notre offre famille à 14,99 euros : nous avons plusieurs milliers de nouveaux abonnés tous les mois, c’est donc plus de chiffre d’affaires pour Deezer, mais aussi pour les producteurs, les éditeurs et les artistes.

A partir du 23 juin, nous déploierons progressivement un nouveau service gratuit qui va notamment permettre à nos utilisateurs d’écouter plus de musique recommandée basée sur leurs goûts musicaux. Tout en ayant un accès plus aisé à l’écoute des 56 millions de chansons que contient notre catalogue.

« Les playlists pour accompagner la vie des français sont devenues l’offre phare »

Quels ont été les changements opérés par Deezer durant la crise pour rester attractif et quels ont été les changements d’habitudes des consommateurs ?

Nous avons été très peu impactés en interne puisque nous avions déjà tous les outils techniques et technologiques pour travailler à distance, et avons pu permettre aux 500 collaborateurs répartis à Paris et à Bordeaux de faire du home office.

Dès les premiers jours du confinement, nous avons profondément changé le contenu sur notre home page en proposant un espace dédié « On reste à la maison ». Nous avons développé une offre de playlists pour accompagner la nouvelle vie des français. Cela a énormément bien fonctionné avec des volumes qui ont augmenté de 1000% pour certaines playlists. C’est devenu l’offre phare, notamment parce qu’il y a eu moins de sorties ces dernières semaines. Nous avons aussi adapté notre offre de podcasts (s’élevant déjà à 45000 contenus) en lançant par exemple un podcast original Tous (Seuls) Ensemble (en lien avec le confinement).

Durant les 15 premiers jours, les volumes d’écoutes étaient moins importants. Les français avaient les yeux rivés sur les news, ne travaillaient pas et ne prenaient pas les transports. Puis ils se sont adaptés à leur nouveau mode de vie et les chiffres sont remontés pour atteindre les niveaux d’avant crise. Nos clients ont écouté pendant cette période toujours plus de playlists et moins de nouveaux albums.

« La croissance d’abonnements a été moins importante en raison de la fermeture des enseignes »

La crise devrait impacter le pouvoir d’achat des consommateurs. Une baisse des souscriptions d’abonnements dans les prochains mois est-elle à envisager malgré la hausse constante de la consommation ?

Les abonnements ont continué de croître durant la crise. Néanmoins nous avons un partenariat important avec la Fnac et avec Orange, qui ont des magasins dans lesquels nous vendons beaucoup d’abonnements. La croissance a donc été moins importante que prévue notamment en raison de la fermeture des enseignes pendant le confinement.

Il y a effectivement une grosse interrogation sur l’état de l’économie dès septembre, les fêtes de fin d’année et en 2021. Quel sera le niveau de consommation et de confiance des français ? Avec une plus grande précarité, et donc sans doute plus de retenue à dépenser de l’argent. J’anticipe un risque de ralentissement au niveau des souscriptions d’abonnements aux plateformes de streaming musical. Néanmoins, écouter de la musique sur Deezer contribue à rendre nos clients « heureux » pour le prix d’un paquet de cigarette par mois et en plus c’est meilleur pour leur santé ! Le second semestre étant chargé en sorties musicales, pourrait aussi soutenir la croissance.

Quels sont les besoins financiers de Deezer pour reprendre son développement et poursuivre sa dynamique de croissance ? 

Dans un tel contexte nous avons décidé de réduire nos coûts. Nous sommes en train de revoir nos budgets et nos investissements y compris sur le plan marketing. Nous allons également geler les embauches pendant un temps après avoir beaucoup recruté depuis trois ans. Nous anticipons donc ce risque en réduisant drastiquement nos coûts.

Il n’y a pas de stratégie commune des acteurs de l’industrie pour optimiser les souscriptions d’abonnements aux plateformes de streaming. Vous avez sollicité les majors pour l’élaboration d’une grande campagne nationale pour pouvoir le streaming musical. Est-ce que le moment n’est pas opportun ?

Deezer, Spotify, Apple et maintenant YouTube investissent beaucoup pour développer les offres de streaming. Nous reversons 75% de nos revenus aux ayant-droits. Je crois qu’il est temps que les producteurs s’investissent aussi et que l’on fasse des campagnes communes pour promouvoir le streaming musical payant dans toute la France.

J’aimerais que les majors participent aussi aux dépenses marketing pour accompagner le développement des abonnements sur toutes les plateformes. La pénétration du streaming payant en France reste relativement faible avec 7 millions d’abonnés. Si nous voulons doubler la taille du marché de 7 à 15 millions, ce qui est tout à fait possible, nous avons besoin que les producteurs s’associent avec les plateformes pour populariser cet usage.

Depuis la fin du confinement, j’ai des réunions avec les dirigeants de Sony, Universal, Warner, Believe, Idol et d’autres producteurs indépendants. Ensemble, nous avons besoin de mieux expliquer aux français pourquoi le streaming est avantageux. Pouvoir accéder à des rayons entiers de singles et d’albums dans la paume de sa main est une invention incroyable. Notre catalogue de plus de 50 millions de titres est unique, et peut-être écouté partout sans limite, avec le plus large choix de podcasts et de radios en France. J’en profite pour rappeler que Deezer et le streaming ont été créés par un jeune français (Daniel Marhely) en France, ce dont nous pouvons être fiers !

« Le user centric a un 2ème avantage : un artiste avec un catalogue pourra vivre plus longtemps de sa musique »

Deezer propose à l’industrie de changer la répartition des revenus en basculant du modèle actuel dit « market centric », qui consiste à répartir les revenus sur la part de marché globale de chaque titre, au « user centric » c’est-à-dire au prorata des écoutes de chaque abonné. Les majors ne sont pas convaincues par la pertinence du user centric, et une étude commandée par le CNM est en cours de bouclage. Pouvez-vous préciser ce qui fait l’efficience du user centric en quoi il sera bénéfique pour l’industrie et pour les artistes ?

Il est plus important que jamais que Deezer passe au user centric, au moins en France. Nous poussons depuis deux ans en cette direction et cela n’a jamais été autant d’actualité. Les artistes à succès dont les fans sont plus âgés touchent aujourd’hui moins d ‘argent que ceux dont le public est plus jeune. Car ces derniers écoutent plus frénétiquement leurs chansons préférées. Ce qui favorise les revenus de ces chansons dans le système actuel. Pourquoi les revenus d’un artiste dépendraient de l’âge de ses fans ? Les artistes qui sont moins écoutés en volume, mais par tout autant de fans, ont besoin d’être mieux rémunérés. C’est ce que permet ce nouveau système, dont nous voulons être les initiateurs. Mais pour que nous fassions le reporting des revenus captés et reversés sur la base du « user centric », il y a nécessité d’un accord avec les producteurs. A ce jour, tous les producteurs indépendants sont d’accord avec nous pour passer à ce nouveau système de rémunération, sauf les Majors. Cela devient pourtant encore plus important dans la crise économique que nous traversons.

Nous apportons nos datas de manière confidentielle pour l’étude lancée sur le sujet par le Centre National de la Musique. Elle doit permettre de vérifier que le user centric est effectivement un système de rémunération plus juste de la musique et des artistes.

Comme évoqué, le UCPS (user centric payment system) est vertueux pour beaucoup d’artistes, notamment ceux écoutés par un public plus âgé, notamment dans les genres pop, variétés, rock, classique et jazz. Mais pour atteindre ce but, nous devons dépasser les intérêts partisans.

Il y a beaucoup d’intérêts en jeu. Certains producteurs n’ont pas envie de ce nouveau système, car il ferait ruisseler de l’argent des musiques urbaines vers d’autres genres plus adultes. Mais c’est une vision à court terme. Le user centric a un 2ème avantage : un producteur et un artiste ayant construit un catalogue pourra vivre plus longtemps de sa musique grâce à ce modèle de répartition. Le user centric pourrait en effet générer un peu moins de revenus à court terme au profit d’artistes de genres appréciés par les jeunes, notamment l’urbain. Mais ces mêmes artistes toucheront plus dans 10 ou 15 ans, lorsque leur public, devenu plus âgé, streamera moins en volume. Grâce au UCPS, tous continueront à gagner des revenus générés par leur catalogue, garantissant une forme de retraite future aux artistes à succès d’aujourd’hui.

 

 

Partager cet article