Les artistes producteurs et les labels indépendants, moteurs du marché français de la musique enregistrée

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Nekfeu, PNL, Francis Cabrel, Angèle, artistes et producteurs

Outre les répercussions de la crise sur l’économie de la musique en 2020, plusieurs tendances mises en évidence par les indicateurs de l’activité et de la consommation envoient des signaux positifs pour la prospérité du secteur. La mutation du marché de la musique enregistrée est impulsée par la croissance du streaming payant, et est en parallèle de plus en plus influencée par l’évolution des modèles économiques des artistes et l’émergence de nouveaux labels indépendants. Les leaders de l’industrie sont contraints de repenser leurs modèles et leurs stratégies pour défendre leurs parts de marché et leur positionnement.

En 2020, la musique made in France représentait 19 des 20 meilleures ventes d’albums avec une part de 80% sur les 200 meilleures, d’après les données du SNEP. Le marché français de la musique enregistrée est actuellement porté par une diversité de modèles économiques et d’artistes. Les revenus générés bénéficient donc à une multitude de labels adossés à des groupes, de labels indépendants et d’interprètes en tous genres. L’opposition entre majors et indépendants dans le secteur de la musique enregistrée est pour autant obsolète. Et ce pour diverses raisons, à commencer par l’interdépendance entre labels indépendants et labels adossés à des groupes pour optimiser le développement d’artistes et l’exploitation des projets à fort potentiel commercial. Mais surtout, elle n’a plus lieu d’être étant donné la montée en puissance des labels indépendants, accélérée par la croissance du streaming, et par l’indépendance grandissante des artistes toujours plus nombreux à être producteurs. Les données relatives aux meilleures ventes d’albums confirment d’année en année cette mutation du marché de la musique enregistrée.

14 ALBUMS PRODUITS PAR DES ARTISTES DANS LES 50 MEILLEURES VENTES EN 2020

23 des 50 meilleures ventes en 2020 étaient des albums associés à des labels indépendants (Play Two et TF1 Entertainment exclus) et à des artistes se produisant eux-mêmes. C’est six de plus qu’en 2019. Parmi les 50 albums les plus vendus en 2020, 14 étaient des projets d’artistes producteurs, soit par le biais de leur propre label, soit sous le modèle « artist services ». Angèle, Francis Cabrel et Nekfeu, qui ont produits leurs albums via leurs structures, se sont classés dans les dix meilleures ventes. Les artistes Jul, Indochine et PNL, présents dans les 20 meilleures ventes d’albums en 2020, sont également leurs propres producteurs. L’évolution des modèles économiques des artistes semble d’ailleurs se faire au détriment des labels indépendants traditionnels. Sur les 50 meilleures ventes d’albums de l’année 2020, six ont été produits par des labels indépendants classiques (Anouche productions pour Grand Corps Malade, Tôt ou tard pour Vianney, Low wood pour Hatik, Panenka pour PLK, Jo&Co pour Claudio Capéo et Fulgu Prod pour Imen ES). Et un seul s’est classé parmi les dix premières ventes (Grand Corps Malade). Au sein des 100 meilleures ventes d’albums de l’année dernière, l’on constate clairement l’émergence de nouveaux labels indépendants portés par des professionnels de la nouvelle génération, en particulier dans les musiques urbaines. Les projets de plusieurs révélations de l’année, telles que Wejdene et Tayc, sont associés à labels indépendants (Guette Music, H24) créés il y a moins de trois ans. Autre fait marquant de la force de frappe des artistes indépendants, le meilleur démarrage de l’année par une artiste féminine a été réalisé par Mylène Farmer, avec 40 945 exemplaires vendus en 1ère semaine pour l’album ‘Histoires de’ produit par sa structure Stuffed Monkey.

NOUVELLES STRATÉGIES POUR LES MAJORS

Une évolution majeure s’opère actuellement sur le marché français de la musique enregistrée. Universal, Sony et Warner sont confrontées à un changement de leur modèle économique. C’est maintenant une réalité, les majors comptent moins de contrats d’artistes et de contrats de licence parmi les meilleures ventes d’albums qu’il y a quelques années. Les albums de Ninho, Angèle, Francis Cabrel, Grand Corps Malade ou encore Nekfeu, tous parmi les dix meilleures ventes d’albums en 2020, sont associés aux majors soit par des contrats de distribution, soit par des contrats de licence, soit par des contrats de coproduction. Face à l’indépendance grandissante des artistes ayant les capacités et compétences pour se produire et ainsi réclamer des conditions contractuelles toujours plus favorables à leurs partenaires, la stratégie des majors consiste à proposer ou accepter davantage de contrats de distribution, de joint-venture (coproductions), ou encore de contrats « artist services » pour rester attractives et compétitives auprès des têtes d’affiche. Et ainsi, éviter leur départ à la concurrence, qu’il s’agisse de majors, de labels adossés à des groupes tels que Play Two et TF1 Entertainment, ou des principaux labels indépendants comme Wagram ou Because. Universal Music, leader sur le marché de la musique enregistrée en France, a réalisé une part de marché de 42,2% sur les 200 meilleures ventes d’albums l’an dernier. En 2019, sa part de marché était de 48% sur les huit premiers mois de l’année. La part de marché pour l’année 2019 n’est à cette heure pas connue. Seule certitude, la part de marché d’Universal Music France a baissé d’au moins 3% en quatre ans, Pascal Nègre l’ayant portée à 45,3% avant son départ en 2016.

DIVERSITÉ DES GENRES ET DES ARTISTES DANS LES CHARTS ALBUMS

Le marché de la musique enregistrée a également été porté en 2020 par une diversité d’artistes et de genres. Si la prédominance des artistes rap sur le streaming est évidente compte tenu des habitudes de consommation de leurs publics qui streament les titres de manière réactive, massive et répétitive, les artistes de variétés occupent aussi une place prépondérante dans le classement des charts albums. Vitaa et Slimane, Angèle, et Francis Cabrel sont parmi les cinq meilleures ventes de l’année. Les albums des Enfoirés, Grand Corps Malade, et AC/DC sont aussi parmi les dix meilleures ventes. Les musiques urbaines (rap, pop urbaine) occupent certes 24 des 50 meilleures ventes d’albums de 2020, mais les artistes de variétés occupent tout de même 18 places sur 50, avec des performances importantes de Grand Corps Malade, Indochine, Vianney et Kendji dans le top 20. La consommation de la musique a en parallèle été boostée par les nouveaux artistes et les artistes en développement, avec 46 premiers albums parmi les 200 meilleures ventes en 2020. La marge de progression pour les artistes féminines dans les charts et donc au sein du paysage de la musique reste cependant importante, Vitaa, Angèle, Aya Nakamura, Clara Luciani, Imen ES et Mylène Farmer étant les seules présentes parmi les 50 meilleures ventes d’albums. Aucun album interprété par une artiste féminine ne figure d’ailleurs parmi les nominations « album de l’année » aux Victoires de la musique.

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