Le développement d’artistes, un aspect du métier de producteur indispensable à la vitalité du secteur

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Parmi les producteurs, ceux qui sont le plus souvent sur le devant de la scène des débats au sein de la filière du live sont des figures, de par leur ancienneté ou par leur position de leader sur le marché. Tous sont connus dans la profession et sont très identifiés dans le secteur. Les producteurs qui ont fait du développement d’artistes leur cœur de métier ne sont pas ceux qui s’expriment le plus. Ils sont pourtant tout aussi important à l’écosystème du spectacle bien que n’ayant pas le même poids économique.L’occasion de mettre en lumière les spécificités rencontrées par ces producteurs au premier plan de la diversité et du renouvellement des talents.

Développer des artistes en tant que producteur de spectacles est un choix. Un engagement guidé par une passion singulière, celle de faire démarrer des carrières et d’accompagner des artistes avant qu’ils ne deviennent des professionnels au même titre que les artistes confirmés et les têtes d’affiche de la scène française et internationale. Une spécialisation qui n’est pas sans exigences et qui est loin d’être l’aspect du métier le plus évident. Tous les producteurs de spectacles s’accordent à le dire. « Pour faire du développement d’artistes, c’est essentiel d’avoir bien travaillé son réseau de partenaires : des programmateurs de festivals, des gérants de petites salles, des médias, des organisateurs de tremplins et de dispositifs d’accélération de carrière, etc. Cela demande vraiment beaucoup de travail, beaucoup de temps, pour convaincre les partenaires de nous faire confiance pour chaque nouvel artiste » explique Thierry Langlois. Uni-T production est une structure au sein de laquelle le développement d’artistes représente 50% de son catalogue et de son activité, et qui compte dans son roster 2018 pas moins d’une vingtaine d’artistes au total. Le constat est le même pour Fred Lomey de Melodyn production : « les projets en développement représentent vraiment l’épicentre de notre activité. Ce sont les plus difficiles à travailler. Il y a moins de dates qu’auparavant parce que le marché est quelque peu saturé, mais nous travaillons en synergie et dans un rapport d’équité avec nos partenaires. Une autre évolution que je constate au quotidien est que les publics sont beaucoup plus exigeants qu’auparavant. Aujourd’hui, avec le côté instantané de la musique avec le digital et la richesse de l’offre de concerts, si les groupes ne sont pas au rendez-vous lors de la première rencontre avec le public ils passent à la trappe ».

Plusieurs dizaines de milliers d’euros d’investissements

En complément du travail humain nécessaire, le développement de nouveaux artistes est indissociable de l’investissement financier. Et là encore, les exigences et les contraintes ne sont pas des moindres, d’autant que les structures qui ont fait du développement d’artistes leur cœur de métier sont de très petites entreprises. « Cela représente des investissements qui varient de 8 à 18 000 euros par artiste, avec certains pics à 30 000 euros » précise Fred Lomey. Au sein d’Uni-T production l’on est sur une base plus importante : « entre 30 000 et 50 000 euros par artiste, ce sont des montants qui montent assez vite. Quand on investit déjà beaucoup sur un artiste mais que l’on sent qu’on tire sur un fil et qu’il faut continuer pour atteindre le 2ème rideau, on pousse encore ». Autant d’investissements qui se font sans garantie et avec peu de visibilité. Producteur est à l’instar des autres métiers de l’entrepreneuriat du spectacle un métier où le risque est permanent. Les périodes entre le départ d’une collaboration et le moment où l’artiste émerge enfin auprès du public varient du simple au double en termes de calendrier, mais dans presque tous les cas, le producteur sait qu’il s’engage au moins sur le moyen terme. « Cela peut prendre entre un an et demi et quatre ans entre le moment où l’on démarre avec l’artiste et celui où l’on remplit une salle de 500 personnes. La diffusion de l’artiste en radios et l’exposition dans les médias peuvent accélérer le processus. Certaines esthétiques musicales ne sont ni diffusées ni exposées, ce qui nous demande plus de temps pour porter les artistes auprès du public en passant de scènes en scène, de médias en médias et de festival en festival. Cela varie vraiment selon les esthétiques, un artiste pop va progresser plus rapidement qu’un artiste rock surtout, s’il est diffusé en radio. Mais le plus rapide est effectivement le rap, on voit des artistes inconnus du public remplir des salles de 1 500 places en moins de trois mois » estime Thierry Langlois.

Des effets sur l’équilibre financier et l’emploi dans les structures

Depuis quelques années, les producteurs de spectacles revendiquent avoir pris le relais des producteurs de phonogrammes sur le développement des artistes. Il faut dire que ces dernières années, ils sont intervenus de plus en plus tôt dans le processus de création et de professionnalisation, la scène ayant pris une place on ne peut plus importante dans la carrière et les revenus des artistes. « C’est effectivement aussi de l’investissement auprès des artistes qui apprennent le métier avec tout un travail à faire dans la création et dans la technique notamment lors des résidences » confirme Thierry Langlois. Compte tenu de l’importance des producteurs dans la chaine de création et de la multiplicité de leurs investissements le crédit d’impôt était plébiscité depuis longtemps. Rentré en vigueur courant 2016, avec un effet rétroactif depuis le début de l’année, le crédit d’impôt spectacle permet aux producteurs de déduire de leurs impôts l’équivalent de 30% des dépenses éligibles à un spectacle ayant obtenu un agrément. Un dispositif calibré pour les producteurs faisant du développement d’artistes du fait d’un plafond de 12 000 entrées payantes imposé aux artistes durant les trois ans précédant la demande. Deux ans après son entrée en application, les producteurs du spectacle s’accordent sur les effets vertueux du crédit d’impôt. Pour Yuma prod, structure spécialisées sur les musiques urbaines, « le crédit d’impôt a été un vrai plus et a permis d’équilibrer les comptes de l’année avec certaines tournées à perte ». Chez Mélodyn productions, l’on considère que « c’est un dispositif idéal pour une structure comme celle-ci axée sur le développement, qui va permettre de rééquilibrer nos budgets. Parce qu’au bout de quatre ou cinq dates, les pertes s’élèvent déjà à près de 5 000 euros ». Et du côté d’Uni-T, l’on voit le crédit d’impôt spectacle comme « apportant de la sérénité sur la gestion de la société. Quand on est autant focalisé sur le développement d’artistes, on est dépendant du turn-over c’est-à-dire que les artistes s’arrêtent de tourner à un moment mais les frais de fonctionnement de la structure restent fixes, il faut donc avoir d’autres artistes qui tournent le mieux possible, tout en continuant d’investir sur le développement ». Un autre effet vertueux majeur porte sur le maintien et la création d’emplois. Aucun syndicat de la profession n’a pas encore livré d’indicateurs précis à ce propos, mais ce devrait être une tendance constatée chez la plupart des producteurs de spectacles. Un poste a été créé au sein d’Uni-T production tandis que des augmentations de salaires ont pu être effectuées pour consolider les équipes et l’organisation de la structure qui bénéficie du crédit pour tous ces artistes en développement. Du côté de Melodyn production c’est également un posté qui a été créé et un autre qui a été maintenu. Même constat pour Yuma Prod où un poste a été spécialement créé pour renforcer l’administration de la structure.

Evaluation de la pertinence du crédit d’impôt spectacle

Le crédit d’impôt n’est pas encore totalement ancré dans la profession qu’il se trouve déjà à l’aube d’une évaluation. 2018 sera l’année de la mise à l’épreuve de tous les crédits d’impôt dans les secteurs culturels. Dans l’optique de faire valoir les effets vertueux, les producteurs de spectacles présenteront auprès du Ministère de la Culture ainsi que des parlementaires une étude d’impact sur le crédit d’impôt. Les résultats de cette étude commandée auprès du cabinet EY seront connus en mai prochain. « Nous prenons acte de la volonté des pouvoirs publics d’évaluer tous les crédits d’impôt. Toutefois, il est important de rappeler que le crédit d’impôt spectacle musical ou de variétés a moins de trois ans. Il est rare d’évaluer un dispositif aussi jeune car il est difficile pour les entreprises d’avoir le recul suffisant. Dans le cadre de cette étude nous allons démontrer les impacts sociaux, fiscaux ainsi que les impacts en termes de création avec des projets qui n’auraient pas pu se concrétiser sans le dispositif. D’après les échanges que nous avons déjà eus avec nos membres, les effets sont fréquemment constatés avec un allongement des tournées, un contrat de travail pérennisé ou un emploi créé. Il est important pour nous est de démontrer la diversité des entreprises bénéficiaires du crédit d’impôt et le caractère fragile de certaines d’entre elles » observe Malika Séguineau Directrice Générale du PRODISS. L’initiative du premier syndicat de la branche des producteurs de spectacle pour mettre en lumière les effets du crédit d’impôt sera certainement bien accueillie. La pertinence de l’étude devrait être garantie par les chiffres on ne peut plus objectifs collectés par le cabinet EY auprès de la Direction Générale de la Création Artistique, (DGCA) du Ministère de la Culture entre autres. De quoi converger avec les exigences des pouvoirs publics de disposer de données objectives pour une vue d’ensemble des effets du dispositif. In fine, il reviendra aux parlementaires d’apprécier l’efficacité du dispositif et de statuer sur le prolongement du crédit d’impôt spectacle et de tous les crédits d’impôts Culture dans le cadre du prochain Projet de Loi de Finances.

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