Laurent Decès – Petit Bain / Syndicat des Musiques Actuelles : « 2021 s’annonce comme une année très incertaine pour nos structures »

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Laurent Decès, Président du Syndicat des Musiques Actuelles (SMA)

Les 450 adhérents du Syndicat des Musiques Actuelles (SMA) répartis sur l’ensemble du territoire incarnent bien la professionnalisation et la montée en gamme des petites et moyennes structures pour développer et pérenniser leurs activités. Une logique de filière plus que jamais nécessaire en période de crise. Dans la foulée de son élection à la Présidence du SMA, Laurent Decès, Directeur du Petit Bain (Paris), exprime les attentes et appréhensions des labels, producteurs, salles de concert ou encore festivals indépendants dont le syndicat se fait le porte-voix.

CULTUREBIZ : Dans quel l’état d’esprit sont les adhérents du SMA ?

Laurent Decès : On constate que l’impact est significatif dans toutes les activités de la filière et qu’on est sur un niveau de crise plus important que jamais. Nos adhérents sont dans l’inquiétude, 2021 s’annonce comme une année très incertaine pour nos structures, fragilisées, avec des moyens limités et pas suffisamment de trésorerie pour affronter un tel impact. Il est aussi important de souligner la possible rupture du lien entre les lieux et leurs publics, les artistes et leurs publics et entre les artistes et les lieux. C’est inestimable et ça demandera aussi du temps à reconstruire. Ce sera compliqué de faire revenir les publics dans les lieux. Mais il nous tient à cœur d’être en capacité de maintenir les projets dans les différents territoires. Ce qui anime nos adhérents est de remplir cette mission d’intérêt général en tant qu’acteurs culturels, en continuant d’offrir la possibilité aux artistes de jouer et en proposant de nouveaux formats aux publics. Mais les lieux et les producteurs ont des difficultés importantes à planifier une programmation ou organiser des tournées faute de visibilité. Durant les premiers mois de la crise, nous avons eu le sentiment d’être « à l’abandon » et peu considérés par les pouvoirs publics. Nous n’avions pas eu de réponses à nos demandes de clarification notamment pour les configurations « debout », qui concernent la majorité de nos adhérents. Cet attentisme du Gouvernement a évolué depuis l’arrivée de Jean Castex et de Roselyne Bachelot, qui ont fait preuve de réactivité.

« Nous parlons davantage de sauvegarde pour le moment car il n’est toujours pas question de refaire des concerts comme avant »

Les mesures prises par le Gouvernement et les pouvoirs publics sont-elles efficientes pour vos adhérents ?

Avec les 200 millions d’euros du plan de relance et le fonds de compensation de 40 M€ pour les musiques actuelles, on a senti que le Gouvernement prenait la mesure et mettait les moyens pour soutenir notre secteur. Toutefois, nous parlons davantage de sauvegarde pour le moment car il n’est toujours pas question de refaire des concerts comme avant. De plus, nous avons des points de vigilance sur la cohérence de certaines mesures prises par le Gouvernement.

Par exemple, sur la distanciation physique, nous nous considérons lésés puisque ces mesures ne sont pas appliquées dans les transports. Aussi, concernant les dispositifs de soutien aux entreprises, certaines aides de droit commun pourraient disparaître ou devenir moins avantageuses, comme l’activité partielle ou la possibilité de report des cotisations sociales. Pourtant, les concerts en configuration debout sont toujours interdits. Nous sommes un des seuls secteurs à ne pas pouvoir reprendre son activité et demandons que ces dispositifs puissent être maintenus.

Depuis l’annonce du fonds de compensation, nombre de nos adhérents travaillent à reprendre leur activité, ce qui demande beaucoup d’efforts et d’investissements. Il s’agit notamment de repenser l’accueil des publics, la sécurité, l’aménagement des lieux. Les artistes aussi doivent s’adapter, et certaines esthétiques ne sont pas compatibles avec la configuration assise. La volonté première de nos structures reste de reprendre leurs activités respectives, leurs programmations, leurs productions, leurs projets.  Le fonds de compensation devrait effectivement permettre aux lieux de couvrir tout ou partie des baisses de jauge et ainsi de reprendre de manière plus sereine sur le plan économique. On estime que la jauge d’un lieu de 600 places va descendre à 150.

Enfin, depuis le début de la crise, nos adhérents ont démontré leur capacité à réagir aux circonstances avec beaucoup de résilience. Nous recensons une cinquantaine d’initiatives comme des formats gratuits en plein air, des résidences, du live stream. Ces initiatives sont transitoires, car sans modèle économique viable, et donc intenables sans le soutien de la puissance publique.

« Nous appelons de nos vœux des aides renforcées pour l’emploi et un mécanisme de sécurisation des éditions à venir pour les festivals »

Pouvez-vous résumer vos attentes dans le contexte actuel et en vue de la reprise de l’activité de vos adhérents ?

En plus du soutien financier, un des objectifs est de gagner la confiance des pouvoirs publics sur notre capacité à accueillir les publics dans des conditions sanitaires maîtrisées, plutôt que favoriser des rassemblements privés hors cadre. Aussi, inscrire l’idée que notre société a plus que jamais besoin de propositions culturelles et de lien social, qui ne devraient pas être opposés aux questions de santé publique, au contraire.

Notre filière est interdépendante et il est important de considérer les problématiques rencontrées par ses différents acteurs : producteurs, festivals, lieux, labels, etc. Le Centre national de la musique a mis en place une gouvernance avec notamment un conseil professionnel, et nous espérons une concertation de qualité pour définir une répartition pertinente des 200 millions d’euros, avec un fléchage massif sur 2021.

Par ailleurs, nous appelons de nos vœux des aides renforcées en faveur de l’emploi (notamment via le Fonpeps), et un mécanisme de sécurisation des éditions à venir pour les festivals. Il serait intéressant de réfléchir à différents scénarios, avec des garanties de dédommagement des frais avancés pour les prochaines éditions de festivals qui ne pourront avoir lieu. Et un accompagnement pour encourager les acteurs à maintenir l’offre culturelle pour les prochaines éditions de festivals qui auraient lieu dans des conditions contraintes.

« Nous avons des adhérents qui ont reçu des propositions concrètes et chiffrées de la part de certains acteurs »

La SMA se fait régulièrement écho des inquiétudes d’une partie des professionnels de la musique live sur la question de la concentration. La réalité est que les opérations de concentration dans le secteur en France sont relativement limitées. La concentration n’est-elle pas davantage une appréhension qu’une réalité ?

Nous avons la crainte réelle que la fragilisation du secteur donne l’opportunité à certains mastodontes d’accélérer le phénomène de rachat de festivals, de salles ou de catalogues d’artistes. C’est une menace pour la diversité. Des rachats ont eu lieu au cours des dernières années et nous avons des adhérents qui ont reçu des propositions concrètes et chiffrées de la part de certains acteurs. Nous ne sommes donc pas dans le fantasme mais bien dans la réalité.

Nos festivals doivent en moyenne atteindre une jauge de remplissage autour de 95% pour être rentables et c’est notamment une résultante de la concentration économique qui a des effets d’inflation sur les cachets d’artistes, qui ont augmenté de manière drastique. Certains artistes ne peuvent plus être diffusés que par une poignée de festivals qui ont les moyens de payer des exclusivités. On se réjouit de la saisine de l’Autorité de la concurrence qui va établir un rapport permettant d’objectiver ce phénomène, et, nous l’espérons, d’instaurer des garde-fous.

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