Jean-Philippe Thiellay – Centre National de la Musique : « Le CNM continue d’être réactif et agile face à la catastrophe »

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Jean-Philippe Thiellay, Président du Centre National de la Musique

Moins de deux mois après sa mise en orbite, le Centre National de la Musique s’est retrouvé à l’épicentre du séisme qui a frappé le secteur. L’établissement public a réagi en débloquant des aides d’urgence pour soutenir les structures du live dans un premier temps, puis en renforçant son Fonds de secours avec notamment une aide pour les structures de la musique enregistrée. Dans un contexte de crise économique, le CNM est à l’épreuve des attentes de l’ensemble des acteurs de la filière centrées sur le soutien, l’accompagnement et l’écoute. Dans cet entretien, Jean-Philippe Thiellay, Président du Centre National de la Musique, évoque les principaux enjeux adossés à l’activité de l’établissement et dresse un premier bilan de la gestion de crise.

CULTUREBIZ : Quelles ont été vos premières réactions au tout début de la crise, puis lors de l’arrêt de l’activité économique ?

Jean-Philippe Thiellay : Ma première réaction a été de me manifester auprès des professionnels ; j’ai multiplié les appels notamment avec les responsables de salles de concert et les organisateurs de festivals, pour prendre de leurs nouvelles, partager des informations et comprendre leur situation. La seconde réaction a été l’action. J’ai fait le choix, qui n’était pas complètement évident compte tenu de la « jeunesse » du CNM, de la réactivité en proposant au conseil d’administration du 18 mars un plan de secours qui a été opérationnel une semaine après le début du confinement.

« A l’heure actuelle, nous avons soutenu plus de 400 structures dont la survie était directement menacée par la crise, et permis d’éviter autant de faillites »

Comment expliquer le contraste entre les bonnes relations entretenues par le CNM avec l’État, et en particulier le Gouvernement, et les critiques des acteurs de la filière quant à la gestion de la crise et aux conditions de reprise de l’activité économique du live ?

Dans ce contexte extrêmement difficile, nous travaillons en grande confiance avec le ministre Franck Riester, son cabinet, les collaborateurs du ministère de la Culture, comme avec les professionnels du secteur, et notamment ceux qui siègent au CA du CNM qui est un établissement public. Tout ce que nous avons fait depuis mars a été rendu possible par une intelligence commune, qui a, entre autres, permis de voter le budget rectifié avec un fonds de secours de 11,5M€, puis de débloquer 1 million d’euros pour la musique enregistrée et l’édition musicale, enfin, d’obtenir un budget supplémentaire de 50 millions d’euros en 2020 annoncé par le Président de la République. Grâce à ce « réarmement budgétaire », qui est important, nous nous projetons dans la construction du prochain budget qui sera opérationnel dès cet été. Ces réflexions, notamment quant à l’utilisation des 50M€, se mènent dans la concertation avec l’ensemble de la filière.

Concernant la reprise du live, on aimerait évidemment tous avoir des certitudes et des garanties, sur les annulations, les reports et, maintenant, sur la reprise à jauge normale ou réduite. S’agissant des conditions de reprise, les choses continuent à évoluer, en fonction de la situation sanitaire. C’est normal que cette période de panique ait été marquée par les critiques, surtout que la filière musicale a été la première touchée, dès le mois de mars ; c’est également normal que les réponses soient construites en portant une grande attention à la progression de l’épidémie, à la santé de tous et donc sans précipitation.

Il faut avoir conscience que le déconfinement n’est malheureusement pas synonyme de reprise à plein régime pour le spectacle vivant. Il faut faire attention à ne pas se limiter à une logique binaire : tout fermer ou tout ouvrir. Je pense qu’il est très important que l’on reprenne le chemin des salles et que les artistes retrouvent leur public. Si ça n’est pas possible dans des conditions normales, à pleine jauge, alors il faudra s’adapter, y compris d’un point de vue économique. Le Centre national de la musique est là pour aider les professionnels dans cette phase de reprise et pour les accompagner, notamment sur les frais supplémentaires liés aux conditions d’accueil entre autres.

J’ai l’œil rivé sur les défaillances éventuelles des acteurs de la musique et j’ai demandé à mon équipe la plus grande vigilance. A l’heure actuelle, nous avons soutenu plus de 400 structures dont la survie était directement menacée par la crise et autant de faillites ont été évitées. Ce fonds est une trousse de secours, ni plus ni moins, et non une aide structurelle. Mais je suis déjà satisfait que le CNM ait été utile ainsi. Pour relancer, il faut d’abord qu’il y ait le moins de défaillances possible et c’est un de nos objectifs majeurs pour les prochaines semaines.

« Nous avons accordé 3,6 millions d’euros d’aides dans le cadre du 1er volet Fonds de secours »

Pouvez-vous résumer les indicateurs du 1er volet du plan de secours, d’un montant global de 11,5 millions d’euros ?

Pour le premier volet, consacré aux difficultés de trésorerie, nous avons accordé 3,6 millions d’euros d’aides à 441 structures. Ces aides ont bénéficié à des sociétés commerciales (51% des bénéficiaires) et à des associations (49%) et elles ont aussi contribué à indemniser environ 3 000 artistes. Nous avons mis en place un dispositif d’examen des dossiers très efficace et rapide, associant le président et vice-président de la commission 1 du CNM (économie des entreprises) et un représentant de la Sacem, de la Spedidam et de l’Adami. L’examen du dossier était vraiment rapide et les aides arrivent sur le compte bancaire des bénéficiaires en moins de trois semaines. Les très nombreux messages de remerciements que nous recevons sont un encouragement à continuer.

Le Centre national de la musique veut continuer à être réactif et agile face à la catastrophe. La période d’évaluation des situations de trésorerie est adaptée pour courir jusqu’au 31 août 2020. Nous avons porté le plafond de 8 500 à 35 000 euros, parce que l’on se doit d’aller plus loin si les difficultés se sont aggravées. Les contributions de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de la ville de Paris vont aussi permettre de majorer le plafond des aides attribuées jusqu’à 50 000 euros, pour les structures qui y sont implantées.

Pourquoi le fonds de secours a été dédié aux structures du spectacle, excluant de fait les entreprises de la musique enregistrée ?

Dès le début, j’ai souhaité que l’on ouvre notre plan de secours à nos partenaires de la musique enregistrée, qui sont pleinement partenaires du CNM, conformément à ce que prévoit la loi qui a créé l’établissement. Nous avions préparé un budget en ce sens. Cela n’a pas été possible dans un premier temps, parce que certaines parties prenantes ont réservé leur position en raison des débats sur la situation budgétaire du CNM. La SCPP et la SPPF en particulier se sont demandées ce que serait l’avenir du CNM, alors que tous nos moyens ont été mobilisés pour faire face à l’urgence. Ce questionnement n’était pas illégitime ! La reconstitution des moyens du CNM, son « réarmement budgétaire » comme je le dis parfois, et la création d’un fonds de secours d’1 million d’euros, dédié aux disquaires, aux producteurs, aux distributeurs et aux éditeurs de musique, permet désormais de se projeter vers l’avenir, avec tous les professionnels.

« Notre stratégie sur la question du financement du CNM doit être réexaminée »

Avez-vous défini des priorités depuis l’annonce des 50 millions d’euros supplémentaires ? Allez-vous encore vous battre pour davantage de moyens à la filière dans la cadre du PLF 2021 ?

La priorité c’est la concertation. On ne l’a pas assez fait en mars, dans l’urgence. Nous nous retrouvons aujourd’hui très régulièrement avec les professionnels, chaque semaine. Cela apporte à l’établissement beaucoup d’intelligence collective. Cette concertation va nous permettre d’adopter un budget rectificatif en juillet.

A mon sens, il y a deux grands sujets à traiter : l’accompagnement des difficultés de trésorerie, qui ne sont malheureusement pas terminées, et la relance de la « machine à produire », à la fois dans le spectacle vivant et la musique enregistrée. Il est évident qu’il faut que l’on évite les faillites. Et les commissions du CNM, qui attribuent les aides financières, vont redémarrer dès le mois de juillet, une fois notre budget adopté.

Je note que 50 millions d’euros, c’est plus que l’addition de ce que l’on a perdu en taxe fiscale sur les spectacles de variété – environ 30 millions d’euros – et des 10 millions d’euros mobilisés pour le fonds de secours. C’est important ! Est-ce que c’est suffisant ? A l’évidence non, avec des pertes pour l’ensemble de la filière estimées à environ 2 milliards d’euros.

Avant toute chose, il faut évaluer les besoins, les justifier et avoir une stratégie pour aller mobiliser d’autres moyens, comme des crédits d’impôt. Le financement du CNM tel qu’il a été conçu l’an dernier reposait sur la taxe sur les spectacles, sur les ressources budgétaires attribuées par l’État (7,5 millions d’euros en 2020) et sur la contribution des organismes des gestion collective avec la fusion du Bureau Export, du FCM, du CALIF et de l’IRMA. A l’évidence, compte tenu de la crise, la question du financement doit être réexaminée, en concertation avec les professionnels et l’Etat.

En quoi le modèle de financement et la stratégie du CNM sont remis en cause par le contexte ? 

La taxe est affectée au soutien du spectacle de musique et de variété jusqu’en 2022. Ce qu’elle sera en 2021 ? On ne le sait pas vraiment. Par ailleurs, les besoins de la filière, que plusieurs rapports ont estimé entre 80 à 100 millions d’euros, restent d’actualité et je n’ai aucune raison de penser qu’ils sont moins importants aujourd’hui. Je pense même qu’ils le sont davantage, pour encourager la création, l’export, l’innovation, la diversité.

L’intégration du Bureau Export, du FCM, du CALIF et de l’IRMA, qui était prévue au 1er juillet 2020, est reportée à l’automne. Elle doit se réaliser à bon rythme et les travaux sont encore importants, par exemple pour construire une convention collective, trouver des locaux, rapprocher les systèmes informatiques, budgétaires et comptables. C’est un travail considérable qui mobilise toutes les équipes ! Je souhaite que toutes les conditions soient réunies pour que les associations puissent décider de leur fusion et cela passe aussi par de la clarté sur les perspectives. Dans ce contexte, les états généraux de la musique, que j’ai proposés, sont plus nécessaires que jamais et je souhaite qu’ils se tiennent au premier semestre 2021.

Nous sommes aussi en train de construire une direction des études pour le CNM, avec des travaux recentrés en 2020 sur deux axes, en plus bien sûr du suivi des conséquences de la crise : la diversité en matière de diffusion musicale, sur tous les supports, avec un premier volet sur le « user centric », d’une part, et l’égalité entre les femmes et les hommes, d’autre part qui est un sujet auquel je tiens beaucoup.

« Les quotas radios ont joué un rôle très important pour la diversité, il faut se garder de déstabiliser ce très bon outil »

Quels sont les grands impératifs pour que la réforme de l’audiovisuel converge avec le développement du secteur de la musique notamment en matière d’exposition dans les médias ?

Je trouve que la mise en valeur de la musique à la télévision est tout à fait insuffisante. Nous devons réfléchir sur les conditions de diffusion de la musique, du classique au rap en passant par le jazz et les musiques du monde. On n’a pas été très innovant dans ce domaine, depuis de nombreuses années. Le conseil professionnel du CNM pourra y réfléchir, puisque l’audiovisuel public notamment y sera représenté.

Notre objectif est d’arriver à une meilleure et plus belle exposition de la musique et nous travaillons dans ce but en étroite collaboration avec le CSA dont le Président Roch-Olivier Maistre connaît bien le CNM. Nous allons lancer une concertation pour refondre notre appareil d’observation de la diversité en matière de diffusion sur tous les supports et nous verrons ensuite s’il y a lieu ou pas de faire évoluer la législation, toujours en lien étroit avec le CSA. Notre rôle est d’observer et de proposer ; ensuite c’est le CSA qui est le régulateur de l’audiovisuel.

Les radios ont aujourd’hui des difficultés importantes, notamment du fait de la crise du Covid19 qui a fait baisser drastiquement les revenus publicitaires. Mais il faut faire attention aux raccourcis. Les quotas radios ont joué un rôle très important pour la diversité musicale et il faut se garder de déstabiliser ce très bon outil.

 

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