Florian Drücke : « Il faut une réponse européenne pour corriger le transfert de valeur »

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Florian Drücke, Président Directeur Général de la Bundesverband Musikindustrie (BVMI)

L’Allemagne poursuit sa série après quatre années de croissance consécutives et un chiffre d’affaires d’1,6 milliard d’euros en 2016 (+2,4%). Au premier semestre 2017, les revenus du 2ème marché européen derrière le Royaume-Uni et devant la France ont progressé 3% pour atteindre 740 millions d’euros, soit 20 millions d’euros de plus en un an. Florian Drücke, Directeur Général de la Bundesverband Musikindustrie (BVMI), l’équivalent allemand du SNEP, commente l’évolution du marché et de l’offre de la musique enregistrée. Dans cette interview à CultureBiz, il s’exprime également sur la position de l’industrie en Allemagne sur le transfert de valeur et sur les dernières tendances du piratage. Et bien sûr, le Directeur Général de la BVMI fait le lien entre le droit d’auteur et le contexte politique à l’occasion des élections cette semaine en Allemagne.

Au premier semestre de l’année, la part de marché du streaming a progressé de 10 points, à 34,7%. A contrario, le physique a perdu 10 points par rapport à l’an dernier. Le marché de la musique enregistrée en Allemagne s’oriente-t-il vers une bascule numérique d’ici la fin de l’année 2017 ?

C’est une certitude, la croissance du streaming s’accélère tandis que le téléchargement poursuit sa chute et que le vinyle continue de bien se porter. Nous verrons en fin d’année si la part du physique sera identique à celle du premier semestre. Pour l’instant le produit physique reste majoritaire avec 52,5%. Et pour cause, l’évolution des habitudes de consommation des allemands vers le numérique se fait lentement. Cela s’explique notamment par le fait que le consommateur a toujours été orienté vers un produit physique. Nos voisins français ont eu l’avantage d’avoir Deezer assez tôt, tandis qu’en Allemagne il n’y a pas eu de service comparable. La France est donc plus en avance que l’Allemagne sur le streaming. Mais la demande des consommateurs allemands pour le streaming est maintenant réelle. Depuis dix ans, on constate que le physique est en déclin mais nous sommes convaincus que le physique conservera un rôle non négligeable dans les prochaines années.

En France, le streaming par abonnement progresse maintenant indépendamment des partenariats avec des opérateurs mobiles qui l’avaient dopé en 2014 et 2015. La tendance est-elle la même en Allemagne ?

Les partenariats entre plateformes de streaming et opérateurs (Spotify et Deutsche Telekom, Deezer et Vodafone) ont aussi eu un rôle dans l’émergence du streaming dans les habitudes de consommation en Allemagne. Nous n’avons pas les chiffres, mais les tendances montrent une croissance des abonnements streaming indépendamment des partenariats avec les opérateurs télécoms.

Le marché de la musique enregistrée en Allemagne se porte très bien avec un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros. Comment se porte le piratage ?

Le piratage est encore répandu en Allemagne. Comme sur les autres principaux marchés, le partage de fichiers a nettement reculé au profit du piratage de serveur, et plus récemment c’est le stream-ripping qui est globalement devenu le principal outil de piratage de la musique. Ces dernières années, nous avons beaucoup lutté contre le piratage. L’Allemagne n’est pas dotée d’un dispositif aussi pertinent que l’Hadopi. Nous avons donc eu des milliers de cas de conflits individuels avec des individus. Mais nous avons noté une baisse des téléchargements illégaux. La construction d’une offre légale en parallèle avec le streaming contribue au recul du piratage de la musique. Le piratage reste tout de même une préoccupation. Nous avons toujours été convaincus qu’il y a trois éléments à développer conjointement dans la lutte contre le piratage: les offres légales, la prévention et la défense des droits.

« L’accord entre YouTube et GEMA ne dois pas tromper sur le fond du problème »

L’Allemagne fait partie des pays européens les plus actifs en matière de droit d’auteur et de transfert de valeur. Pouvez-vous résumer vos priorités en vue de corriger le transfert de valeur et vos attentes vis-à-vis de Bruxelles ?

La Commission Européenne a évoqué une clarification du statut des plateformes et c’est un signal positif pour l’équité des acteurs dans la mise en place du marché unique numérique. Nous attendons donc une clarification sur le fait qu’une plateforme comme YouTube ne puisse plus utiliser l’excuse d’être purement « passive »  pour utiliser les contenus sans rémunérer les créateurs et les ayants-droit comme il se doit. Le Parlement Européen pourrait se prononcer d’ici la fin de l’année. En parallèle, les pays membres discutent entre eux. Nous attendons beaucoup du moteur franco-allemand pour que soit trouvée une solution qui crée une équité. La construction du marché unique numérique doit prendre en compte les valeurs de l’Europe que sont la diversité, la propriété intellectuelle, la juste rémunération des créateurs et de leurs partenaires pour l’utilisation des œuvres.

Lors d’une conférence donnée au Midem, vous avez insisté sur le fait que les problèmes ne sont pas résolus au prétexte de l’accord signé entre GEMA, la société allemande des auteurs, et YouTube. Quelle a été votre réaction lors de l’annonce de cet accord ?

Le débat autour du transfert de valeur et des nombreux enjeux qui en découlent a, en Allemagne, pris une dimension spéciale avec le conflit entre Google et GEMA qui a entrainé une paralysie avec YouTube de presque 10 ans. Dans le cadre de ce conflit juridique la Cour Suprême allemande devait statuer mais juste avant, un accord a été signé entre les deux parties. L’accord entre YouTube et GEMA a irrité beaucoup de monde. Il a d´abord empêché une clarification de la Cour Suprême sur le droit applicable en Allemagne, et surtout une précision sur le statut de YouTube… Mais surtout, il a été synonyme de la résolution de tous les problèmes pour certains alors que nous en sommes en loin. Et comme d’habitude, c’est un accord opaque dont on ne connaît pas les dispositions notamment financières… Tout ce que l’on sait c’est que le communiqué de presse a précisé que YouTube n’accepte pas la remise en cause de son statut d’hébergeur…

« La musique doit être plus présente dans les politiques pour nourrir une ambition européenne »

Les élections fédérales se déroulent ce dimanche 24 septembre en Allemagne. Êtes-vous confiants quant au fait que les ayants-droit seront mieux soutenus au cours de la prochaine mandature ?

En ce moment, le contexte socio-politique en Europe fait que le droit d’auteur a été absent de la campagne électorale. Il y a tout de même un point commun dans les agendas politiques qui est de sauver l’Europe sur le plan économique et le marché unique numérique y tient une place. Mais cela ne va pas en profondeur sur le droit d’auteur. Il faut dire que le discours en faveur du droit d’auteur est moins visible en Allemagne, on l’a vu avec les pirates qui sont entrés au Parlement et avec certaines prises de positions contre une régulation de l’internet. Nous attendons du nouveau Gouvernement qu’il soutienne la Commission Européenne et qu’il fasse tout pour trouver, avec la France, des solutions qui servent les intérêts de la filière. Le message que nous envoyons avec nos partenaires français du SNEP ou nos confrères italiens de la FIMI est très clair : il n’y a pas un problème allemand, français ou italien mais un problème global dans le marché unique. Ces problèmes sont communs à nos marchés, bien qu’ils aient leurs spécificités avec des tendances et des habitudes de consommation différentes. Il faut donc une réponse européenne pour corriger le transfert de valeur dans la musique. Et nous sommes convaincus que la musique doit être encore plus présente dans les politiques pour nourrir une ambition européenne.

 

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