Florian Drücke – Bundesverband Musikindustrie : « La crise dans le secteur de la musique doit rapprocher la France et l’Allemagne »

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Florian Drücke, Président Directeur Général de la Bundesverband Musikindustrie

L’année 2019 a été celle du retour de la croissance pour le marché de la musique enregistrée en Allemagne, après deux années de contraction. Avec un chiffre d’affaires en hausse de 8% à 1,62 milliard de dollars l’an dernier, l’Allemagne est le 4ème marché mondial de la musique après le Royaume-Uni et devant la France. Le streaming joue maintenant pleinement son rôle de moteur de la croissance outre-rhin avec une progression de 27% des revenus. Une dynamique on ne peut plus bénéfique pour le développement du secteur d’après Florian Drücke, Président Directeur Général de la Bundesverband Musikindustrie, qui représente les intérêts des producteurs en Allemagne, mais qui doit cependant être adossé à un cadre réglementaire favorable au partage de la valeur.

CULTUREBIZ : Est-ce que les récents chiffres du marché de la musique allemand traduisent que le streaming arrive enfin à sa vitesse de croisière ?

Florian Drücke : Le marché de la musique enregistrée est effectivement reparti à la hausse en Allemagne après deux années de baisse et on peut s’en réjouir. La croissance a été boostée par la progression du streaming mais aussi par le ralentissement de la baisse du CD. Le support physique existe encore et il créé de la valeur. L’appétence du streaming est là, et il y a tout un environnement favorable à son développement avec les smart speakers ou les équipements dans l’automobile. La courbe des abonnés est en hausse constante.

La croissance du streaming profite à tous les genres, y compris le classique, où le streaming ne représente que 15% mais c’est 3 fois plus qu’il y a trois ans. Le streaming est un mode de consommation très populaire auprès des jeunes, et le rap étant une musique massivement écoutée par les jeunes, il en profite plus que les autres genres. La croissance s’est confirmée depuis le début de l’année, et malgré la crise importante, la consommation a continué d’augmenter sur le streaming durant le confinement.

Le streaming est attractif, l’offre est présente mais il ne faut pas oublier d´orienter le consommateur. C’est aussi très important d’expliquer qu’il y a une véritable valeur autour de la création et de la musique professionnelle et qu´elle a un prix ! Cela vaut pour le piratage comme pour les « nouveaux » acteurs qui doivent payer leur « fair share » au secteur. Comme YouTube, Facebook et maintenant TikTok. Et il y a tout un travail de sensibilisation à faire en Allemagne, avec beaucoup de monde qui sous-estime le coût et donc la valeur de la musique.

« Le secteur de la musique doit être pris en compte dans les travaux pour transposer la directive droit d’auteur »

Où en est l’Allemagne sur la transposition de la directive droit d’auteur et quelles sont vos attentes ?

Je salue l’allocution du Président de la République française qui a bien fait de dire qu’il ne pas faut seulement transposer la directive mais profiter de cette crise pour définir une stratégie pour les industries culturelles et créatives. Nous attendons également de prises position forte de notre gouvernement et il faut rester vigilant. La 2ème partie du projet de loi du Ministre de la Justice, compétent en matière de droit d’auteur, qui évoque la responsabilité des plateformes et la réglementation pour les artistes, devrait être communiquée avant l´automne.

Idéalement nous souhaiterions que la directive droit d’auteur soit transposée au mot près, même si chaque pays a sa législation. Il y a par exemple déjà une législation établie en faveur des droits des artistes en Allemagne. Par-dessus tout, il ne faut pas rouvrir le débat sur la responsabilité des plateformes que l’on a eu ces dernières années, il ne faut pas manipuler l’opinion. Et je crains que l’on se retrouve dans une situation où tout va être réexaminé. Or ce n’est pas le but d’une transposition au risque de la faire imploser. Le secteur de la musique doit être pris en compte dans les travaux pour transposer la directive droit d’auteur parce qu’il ne se limite pas à une dimension économique, il y a des spécificités dans notre droit.

Nous avons tous un rôle à jouer pour convaincre les plateformes qu’elles doivent payer pour l’exploitation de la musique. Et je crois que les plateformes ont bien reçu le signal. La responsabilité des plateformes est d’autant plus nécessaire pour protéger le droit d’auteur, ou lutter contre les fake news, les contenus haineux etc.  

Une fois les principes posés, le reste relève des négociations économiques entre nos membres et les plateformes. YouTube ne génère que 2,5% des revenus alors que volumes de streams y sont plus importantes que le streaming payant.

« Il y a urgence à définir une stratégie pour nos industries culturelles et créatives à vocation européenne »

Votre engagement dans le cadre des travaux sur la directive droit d’auteur a été récompensé par le prix Franco-Allemand de l’Économie dans la catégorie « industries culturelles et créatives ». Vous avez réaffirmé l’importance des synergies entre la France et l’Allemagne. Sous quelles formes et pour quelles raisons ?

Il y a urgence à travailler ensemble pour définir une stratégie pour nos industries culturelles et créatives à vocation européenne. Les synergies commencent avec des échanges récurrents, or il n’y a pas d’échange suffisamment approfondi. Ce que je demande, et on l’a écrit dans le traité d’Aix-la-Chapelle, c’est que l’on s’entende pour converger dans différents dossiers. Dans le chapitre du droit d’auteur on n’est désormais plus dans la définition d’une stratégie mais bien dans la transposition. Il y a par exemple eu des problèmes de langues dans la directive, avec des éléments qui ne sont pas clairs et cohérents entre les versions française et allemande. Or on est à une période où l’on ne peut pas créer de dissonances. Il aurait fallu échanger dès le départ pour définir une stratégie commune. Je vais tout faire pour faire avancer ce débat, pas juste autour de la directive. La crise dans le secteur de la musique et dans le secteur des ICC au sens large doit rapprocher la France et l’Allemagne.

Le sujet du user centric a-t-il pris de l’ampleur en Allemagne ? Quelle est la position de la BVMI ?

Ce débat est effectivement devenu plus important. Au départ ce sont les cas de fraudes, après que des artistes se soient retrouvés avec des scores exceptionnels, qui avaient amené le sujet. Récemment d’ailleurs nous avons fait fermer une société qui proposait des packs de volumes de streams.

Le Bundesverband Musikindustrie n’a pas de position pour la simple et bonne raison qu’il n’y a aucune démonstration sérieuse et transverse des effets réels ou supposés d’un changement de système et pas de consensus au sein de nos membres. Beaucoup de nos adhérents ne sont pas convaincus, et ce n’est en tout cas pas un sujet qui oppose majors et indépendants. La solution fait débat dans la profession, et je m’interroge sur sa pertinence mais à titre personnel je ne suis ni convaincu ni rassuré parce qu’il y a de la confusion. Certains labels prétendent que le user centric serait plus juste pour les artistes, tout en disant qu’ils ne sont pas sûrs que cela augmente nettement leur rémunération, et qu’il faudrait éventuellement mieux valoriser certains types de contenus… Je crois que le thème est très bien identifié dans les négociations commerciales entre les plateformes et les membres – une discussion abstraite basée sur de simples pétitions de principe sans analyse de la réalité économique risque de ne pas contribuer à la cause.

« Nous demandons environ 580 millions d’euros pour réactiver la filière de la musique en Allemagne »

Comment se résument les conséquences de la crise sur le secteur de la musique en Allemagne et quelles sont vos demandes en termes d’accompagnement ?

La crise a impacté un certain nombre de secteurs par des effets directs mais aussi par ricochet puisque les acteurs travaillent tous ensemble. Le live est évidemment le plus vulnérable dans l’écosystème, tandis que la musique enregistrée durement affectée s’agissant des ventes physiques bénéficie néanmoins de la croissance continue sur le digital. Ce nouveau business model nous permet d’atténuer l’impact de la crise. On est actuellement dans une phase d’amélioration post-confinement, les consommateurs retrouvant progressivement le chemin des magasins en général et des disquaires en particulier. La question des droits voisins est en revanche inquiétante dans la perspective de l’an prochain puisque la fermeture des lieux et commerces diffusant de la musique privera les organismes de gestion collective de revenus de perceptions. D’après une analyse, l’effet négatif de la fermeture des lieux durant 6 mois est évalué à 250 millions d’euros.

Nous attendons les chiffres du premier semestre pour constater les premiers effets de la crise sur le marché de la musique enregistrée mais il y aura à coup sûr un effet négatif. L’ensemble des acteurs du secteur ont défini leurs besoins et nous demandons environ 580 millions d’euros pour réactiver la filière, ce qui correspond à environ 10% des effets négatifs estimés pour l’ensemble du secteur. Et récemment encore nous avons publié une lettre ouverte à la Chancelière, et au Ministre de la culture. En attendant, nous rappelons régulièrement qu’il y a des mesures qui ne coûtent rien comme la transposition de la directive droit d’auteur !

 

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