Evelyne Gebhardt, Parlement Européen : « Une majorité est acquise pour la responsabilité des plateformes »

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Evelyne Gebhardt, Vice-Présidente du Parlement Européen

Des membres du Parlement Européen comme Viviane Reding ou plus récemment Constance Le Grip sont régulièrement aux rencontres professionnelles du cinéma ou de la musique les plus importantes qui ponctuent l’année. Cette année, la Vice-Présidente du Parlement Européen est venue au Festival de Cannes discuter de l’avenir du Cinéma avec l’avènement des plateformes lors de la conférence organisée par la SACD et le CNC, ainsi que de l’export du Cinéma hors de l’Europe. Pour CultureBiz, Evelyne Gebhardt passe en revue les différents enjeux afférents à la responsabilité des plateformes et la territorialité, entre autres dossiers en chantiers à Bruxelles.

CultureBiz : Quelle est votre approche globale de la Culture en tant que Vice-Présidente du Parlement Européen ?

Evelyne Gebhardt : Le Parlement Européen est vraiment un allié pour les créateurs, pour la Culture et l’héritage culturel que nous avons. Nous voulons faire en sorte que le cinéma européen et plus largement les industries de la culture européennes aient une grande place sur la scène européenne et internationale. Il y a des prises de position très différentes entre la Commission Européenne et le Parlement Européen. La Commission Européenne propose des textes, qui ne sont jamais votés tels quels, précisément parce que le Parlement Européen a par définition une prise de vue beaucoup plus large. Nous comprenons très bien les problématiques et enjeux des créateurs et des ayants-droit. Nous voulons que la Culture européenne soit mise en avant, et nous ne voulons pas que le marché unique du numérique soit dominé par les grands acteurs. Mais nous souhaitons également donner aux nouveaux acteurs un accès marché pour qu’ils se développent. Cette volonté quant à la diversité de la culture est inscrite dans les traités européens.

Parmi la directive « Service de Médias Audiovisuels », la révision « Câble et Satellite », la directive sur le droit d’auteur, le règlement la portabilité et la fin du geo-blocking, quels sont les textes qui concentrent le plus de discordances au sein du Parlement Européen et ceux pour lesquels un consensus est le plus susceptible d’être trouvé ?

Le consensus est très clair sur le règlement de la portabilité des abonnements de même que sur le geo-blocking. Mais dans tous les autres textes dont il est question, il y a des désaccords au sein même du Parlement Européen et de ses Commissions… Après tout, c’est le jeu de la démocratie et du système de codécision, et il est donc bon que ces discussions aient lieu. Ce que je souhaite c’est qu’à la fin, le Parlement Européen prenne les bonnes décisions. Nous y travaillons.

L’accord sur le règlement de la portabilité des abonnements a été bien accueilli par les créateurs et ayants-droit. Toutefois, Andrus Ansip avait saisi l’occasion pour rappeler la « nécessité d’accords entre le Parlement et le Conseil Européens pour un meilleur accès au marché » tout en reconnaissant que « le principe de la territorialité doit perdurer ». Comment la position persistante de la Présidence de la Commission Européenne, malgré des avancées significatives, est-elle perçue par celle du Parlement Européen ?

Il faut trouver un équilibre entre l’accès au marché et la préservation des droits. Je pense que nous y sommes arrivés avec la portabilité des abonnements. Le Parlement Européen a d’ailleurs décidé de ne pas définir le terme de la portabilité parce que nous ne le pouvons pas. Nous avons donc fait un catalogue de critères, il faut en utiliser deux pour avoir le statut permettant la portabilité des abonnements.

Le plus difficile est maintenant à venir, et il consiste en la nécessité d’un consensus avec le Conseil Européen qui n’a pas tout à fait les mêmes points de vue. Mais le Parlement Européen ayant validé cet accord à une large majorité, cela donne donc un pouvoir fort à nos collègues dans la négociation. Ils vont pouvoir faire comprendre au Conseil qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose si cela va à contre-courant de ce que veut le Parlement.

A propos de la déclaration de Mr Ansip, c’est un appel à travailler rapidement, mais si la rapidité a ses avantages, la qualité en a davantage. Pour nous, si aller vite signifie avoir un mauvais accord alors nous ne sommes pas d’accord. Mais si l’on peut aller vite et obtenir un accord équitable alors nous le ferons. Nous ne nous laisserons pas tirer par la Commission Européenne qui nous incite à conclure rapidement un accord qui pourrait ne pas être valable. Nous irons à notre rythme, parce que la qualité est prépondérante par rapport à la vitesse.

La responsabilité des plateformes est fondamentale pour les créateurs et ayants-droit. Quelle est votre position sur sujet ? L’équilibre entre la pleine responsabilité des plateformes et les leviers de croissance laissés aux plateformes peut-il être trouvé ? Quelles en seraient les lignes directrices ?

C’est une question très difficile. Nous avons des discussions qui ont été compliquées au départ parce qu’un certain nombre de parlementaires défendaient la non-responsabilité des plateformes. Ils persistaient sur leur position en disant qu’elles donnent avant tout des opportunités et que les responsabilités sont d’un autre bord. Mais depuis nous avons constaté des avancées. Je pense que dorénavant une majorité est acquise pour la responsabilité des plateformes. C’est un premier pas, mais maintenant nous allons poursuivre pour voir jusqu’où les plateformes peuvent être couvertes par ce principe de responsabilité. J’espère cependant que les discours qui faisaient des plateformes des exceptions en matière de responsabilité sont bel et bien du passé. Concernant les lignes directrices, elles se décideront prochainement, l’objectif premier ayant été de s’assurer que cette convergence sur le principe de la responsabilité soit acquise.

« Je suis assez perplexe quant à une majorité au Conseil Européen sur les obligations de financement pour les plateformes »

Vous êtes en parallèle membre de la Commission IMCO, marché intérieur et protection des consommateurs. Quelle est votre position sur les quotas européens et sur l’obligation des plateformes à financer la création ? Pensez-vous que les mesures voulues par la France et l’Espagne pourraient aboutir ?

La Commission Européenne avait proposé 20% d’œuvres européennes sur les plateformes et le Parlement Européen a voté un quota de l’ordre de 30%. Nous verrons prochainement ce que cela va donner avec le Conseil. Le principe qui pourrait être décisif serait le principe de réciprocité, appliqué dans d’autres domaines. Mais les négociations se sont arrêtées faute d’accord avec les Etats-Unis et de consensus au Conseil. Le Parlement Européen est pour, mais le Conseil Européen est assez partagé. A propos des obligations de financement pour les plateformes, nous pensons que l’imposition des sociétés du numérique doit couvrir le territoire où les gains sont générés. Après, la question est de savoir s’il est possible s’inscrire cela dans une directive et je dois dire que je suis assez perplexe quant à la majorité du Conseil.

Certains juristes redoutent que la directive sur le blocage géographique puisse s’appliquer à l’audiovisuel, sous l’impulsion du Parlement. Qu’en est-il ?

C’est en cours de discussions au Parlement, mais je crois que cela va être fait. Nous avons dit que nous souhaitons que l’audiovisuel soit également couvert. Parce que nous pensons que dès lors qu’il y a une licence dans le pays en question, alors il faut que cet accès soit possible. Nous avons donc émis cette condition, que d’ouvrir la possibilité d’enlever le geoblocking dans ces domaines s’il y a des licences conclues. Il n’est évidemment pas question de remettre en cause la territorialité des droits ni les droits des créateurs, mais nous voulons que les consommateurs aient la possibilité d’avoir accès aux contenus de ces domaines.

Un autre point très important pour le droit d’auteur dans le cadre du marché unique numérique, la création d’un copyright européen. Cela permettrait de ne plus avoir cette variété de droits qui existent à l’intérieur de l’Union Européenne qui en réalité empêchent la promotion des œuvres culturelles dans les autres pays. Cette réponse que nous voulons donner serait un bon signal pour les créateurs. Il n’y a aurait plus la nécessité de payer les droits dans les différents pays, mais encore faudrait-il que ce droit soit bien payé.

La territorialité des droits pourrait être remise en cause par la réforme de la directive du droit d’auteur applicable à la radiodiffusion en ligne. D’après certains experts, des députés auraient tenté de supprimer la mention « télévision de rattrapage » pour que toute télévision en ligne soit diffusée transfrontière. Est-ce de telles tentatives sont redoutées par la Présidence du Parlement Européen pour d’autres textes concernant le cinéma et l’audiovisuel ?

Il y a toujours des tentatives de ce genre qui sont faites, parce que nous avons des cultures différentes à l’intérieur de l’Union Européenne, qui se compose des pays ayant des systèmes de gestion et d’appréhensions des droits différents. Et chaque pays pense que le sien est le meilleur. Nous sommes donc face à l’enjeu de trouver un socle commun qui soit le plus avantageux pour les créateurs pour que leurs droits soient sauvegardés, et que les créateurs et ayants-droit vivent pleinement l’expérience de l’Union Européenne. Il est important que l’Union Européenne prenne tout son sens et ne soit plus le reflet d’un ensemble de pays accolés les uns aux autres avec des frontières fictives.

Je pense que sur le thème de la portabilité, et que quand il s’agira de légiférer sur les plateformes, il faudra être très vigilant. Nous discutons un codex de communication et il faudra faire attention. Mais à vrai dire, j’ai pris l’habitude de dire à mes collaborateurs d’être vigilants sur tous les domaines.

« Une alliance Macron-Schultz serait bénéfique et meilleure pour l’Europe »

Quelle est votre position quant à la rémunération proportionnelle à l’exploitation des œuvres demandée par les auteurs et les artistes-interprètes au niveau européen ?

Je suis d’accord pour aller dans ce sens. Au Parlement, nous avions eu des discussions vives là-dessus, et comme chacun l’a vu, c’est très difficile à faire passer…

Vous avez sûrement, en tant que française et Vice-Présidente du Parlement Européen, été doublement attentive à la présidentielle. Que pensez-vous de l’orientation et des objectifs d’Emmanuel Macron pour la Culture à l’échelle européenne ? Pour rappel, il souhaite la participation des plateformes au financement du pass Culture, défendre résolument les droits d’auteur des artistes et des éditeurs de contenus européens par la négociation encadrée sur la rémunération et il ambitionne de rééquilibrer les distorsions du marché avec notamment l’instauration d’une taxe au niveau européen…

Ce sont de très belles idées. Concernant ces sujets j’espère également voir les discussions avancer au Parlement Européen. Pour autant, il faut le dire, Emmanuel Macron à lui seul ne peut pas faire aboutir toutes ces mesures. Mais en tout état de cause, c’est une bonne chose d’avoir un Président de la république qui soit très pro-européen. J’espère donc que la France parviendra à convaincre ses homologues au Conseil Européen.

Certes, vous êtes satisfaite qu’il soit très pro-européen, mais Emmanuel Macron voit la réforme de l’Union Européenne avec Angela Merkel. Or, vous le Parti Social-Démocrate auquel vous êtes affiliée a vu Martin Schultz arriver à sa tête en janvier. Une éventuelle victoire de sa part face à Angela Merkel aurait donc des conséquences pour l’Europe.

Bien sûr, parce que je pense une alliance Macron-Schultz serait bénéfique et meilleure pour l’Europe. Cela ferait avancer et évoluer plusieurs sujets, plusieurs dossiers et apporterait plusieurs solutions en matière de Culture.

 

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