Constance Le Grip : « Personne ne saurait amoindrir le droit d’auteur au prétexte d’abaisser les barrières »

8
minutes
Constance Le Grip, Députée Européenne

La députée européenne Constance Le Grip fait partie de ceux qui tiennent un rôle de premier plan dans la stratégie mise en œuvre par les acteurs des industries de la Culture à Bruxelles. Créateurs et ayants-droit s’attèlent à défendre leurs acquis en matière de droit d’auteur. Artistes-interprètes bataillent pour faire valoir leurs droits voisins. Le projet de réforme de la directive du droit d’auteur est actuellement examiné par la Commission des affaires juridiques du Parlement Européen. Suite à son intervention aux Rencontres Européennes des Artistes, organisées par l’Adami, la députée européenne évoque les initiatives entreprises pour défendre les intérêts des acteurs des industries de la Culture.

CultureBiz : Quel état des lieux faites-vous de la place des industries de la Culture au sein des travaux de la Commission des affaires juridiques et plus globalement au sein du Parlement Européen ?

Constance Le Grip : La prise en compte des industries culturelles et créatives est réelle au sein du Parlement Européen. Au début de la mandature, il y a eu la création au sein du Parlement Européen d’un « intergroupe pour les industries créatives et culturelles », composé de députés appartenant à plusieurs groupes politiques et plusieurs nationalités. Cet intergroupe s’est donné pour mission d’être un lobby faisant la promotion des industries culturelles à travers leurs prismes d’économie, d’emplois, de création de richesse, ou encore d’exportation, et ce dans tous les débats européens.

Quels sont les indicateurs de l’impact de cet intergroupe au Parlement Européen ?

Nous tâchons de peser en faveur des intérêts de ce grand secteur qu’est la Culture pour influencer la production législative. En ce moment, nous travaillons sur la réforme de la directive du droit d’auteur et l’on peut dire que les considérations et intérêts des industries culturelles et créatives sont entrés dans le champ de ce qui est entendu. Nous sommes environ quatre ou cinq députés de la Commission des Affaires Juridiques à être membres de l’intergroupe et une vingtaine de députés membres de la Commission ont travaillé sur le projet de la directive du droit d’auteur. Le fait d’avoir des synergies de bonnes volontés qui appartiennent à quasiment tous les pays et tous les groupes politiques nous permet d’œuvrer pour consolider les acquis des industries culturelles et créatives dès lors qu’elles sont concernées. Par exemple, Pervenche Berès qui est co-présidente de l’intergroupe est par ailleurs un des piliers de la Commission des Affaires économiques. Il est encore trop tôt pour dire si tout cela est pertinent et si cela a influé de manière positive les travaux sur la directive du droit d’auteur. Mais on s’y emploie.

Parmi les réglementations et directives (Droit d’auteur / SMA / CabSat / Portabilité / Geo-blocking), pouvez-vous rappeler celles qui captent l’attention de la Commission des affaires juridiques ?

Les deux textes pour lesquels la Commission des Affaires Juridiques est compétente au fond sont la directive du droit d’auteur et le règlement « Câble et satellite ». Par ailleurs, nous sommes également saisis pour avis concernant la directive « Services de médias audiovisuels » ainsi que pour la directive sur le geo-blocking. En parallèle, nous travaillons sur un rapport d’initiative sur la responsabilité des plateformes d’ordre politique et non législatif.

« Toute la difficulté est d’arriver à une rédaction appropriée, qui soit juridiquement stable pour recueillir une majorité »

Avez-vous une ligne directrice particulière ?

Compte tenu de la pluralité des groupes politiques, des nationalités et des positions politiques présents au sein Commission des Affaires Juridiques, je ne peux m’exprimer qu’en mon nom. En ce qui me concerne, et c’est un point commun que j’ai avec d’autres, la défense du droit d’auteur comme un titre de la propriété intellectuelle est une priorité absolue. Nous considérons qu’il peut y avoir des adaptations nécessaires à l’ère où l’on souhaite créer un marché unique du numérique pour permettre la circulation des œuvres. Mais personne ne saurait amoindrir le droit d’auteur de manière légitime au prétexte de vouloir abaisser les barrières. On ne le dira jamais assez, c’est un droit de propriété intellectuelle qui assure la rémunération des créateurs et c’est un mécanisme fondamental pour le financement des œuvres et il assure la pérennité de la diversité culturelle européenne. Au-delà de cela, il s’agit de maintenir une cohérence entre tous les textes, qu’il s’agisse des directives ou des règlements. Entre le droit d’auteur, le geo-blocking, ou encore les « Services de Médias Audiovisuels », on est face à un vrai paquet législatif composé d’instruments à intensité, à importance et à longueur variables. On est confronté à un amoncellement de textes qui rend la perception des choses difficile, y compris pour nous-mêmes, cet ensemble de directives et règlement étant dispatché dans plusieurs commissions. Il faut donc réussir à garder une cohérence.

Les représentants des artistes-interprètes fédérés à l’échelle européenne au sein d’AEPO Artis revendiquent et réclament un droit à rémunération proportionnelle à l’exploitation des œuvres. Cela n’a pas été pris en compte par la Commission Européenne dans sa proposition de réforme du droit d’auteur. Comment ce manquement est-il perçu au sein de la Commission des affaires juridiques ?

De manière assez contrastée… Il faut réfléchir à comment modifier les articles 14, 15 et 16 du chapitre 3, dédié à la « juste rémunération des auteurs, interprètes et exécutants ». Nous procédons au dépôt d’amendements visant à les enrichir et les compléter. Toute la difficulté est d’arriver à une rédaction appropriée, qui soit juridiquement stable pour recueillir une majorité, et suffisamment claire pour être transposée à l’échelle nationale si elle était votée. Mais tout le monde n’est pas de cet avis au sein de la Commission des Affaires Juridiques. Notamment, certains considèrent que l’équilibre pesé par les articles 14, 15 et 16 du chapitre 3 est suffisant et qu’il n’est pas nécessaire de l’enrichir.

« Quatre ou cinq amendements sur le projet de réforme de la directive du droit d’auteur »

Pouvez-vous préciser vos initiatives pour corroborer vos positions en faveur de la rémunération des artistes-interprètes ?

Il ne s’agit pas de jouer sur les apparences pour faire bonne figure auprès des acteurs de la Culture, mais bien de faire des propositions susceptibles de recueillir l’avis favorable d’autres parlementaires. Faire des amendements pour le plaisir d’en faire, et les voir être balayés d’un revers de main parce qu’ils ne recueillent pas d’autres voix que la mienne, n’est pas un exercice intéressant ni pertinent. Nous avons jusqu’au 12 avril pour déposer des amendements. J’ai donc l’intention d’en déposer au moins deux, qui soient précis, et prescriptifs en termes de rémunération équitable. Et ce sera déjà une belle avancée.

Et qu’en est-il sur le texte dans son ensemble ?

La directive comprend une bonne vingtaine d’articles. Il y a effectivement plusieurs sujets pour lesquels j’ai l’intention de déposer des amendements. Je ne peux pas donner de chiffre exact, mais j’ai d’ores-et-déjà prévu quatre ou cinq amendements. Je ne sais pas combien mes collègues ont l’intention d’en déposer. L’on pourrait tout à fait se retrouver avec des centaines d’amendements. Concernant mes autres amendements, outre la rémunération des artistes-interprètes, il devrait notamment être question de la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse, mais je ne peux pas être exhaustive. Il faut bien comprendre que l’on travaille sur la base du projet de directive de la Commission Européenne, mais que nos amendements s’articulent d’un point de vue technique et juridique sur le projet de rapport de Therese Comodini. Et comme elle avait modifié certains équilibres notamment sur les articles 11 et 13, je me suis appliquée à tenter de les réajuster.

Les acteurs du Cinéma et de l’Audiovisuel se disent méfiants à l’égard des intentions de la Commission Européenne. Ils redoutent un affaiblissement de la territorialité. Comment qualifiez-vous ces réticences et quelle est votre position sur le sujet ?

Elles sont tout à fait compréhensibles. Tout comme les acteurs du cinéma et de l’audiovisuel, je suis particulièrement attachée au principe de territorialité des droits. Il est vrai qu’à l’heure du marché unique numérique, certains voient en la territorialité des droits un obstacle à la libre circulation des œuvres. Mais au contraire, le principe de territorialité constitue la concrétisation du droit d’auteur et il ne représente pas une entrave. S’agissant des problématiques techniques afférentes à l’accessibilité des œuvres et contenus, il y a mille et une façons de le faire par-delà les frontières et ce sans remettre en cause la territorialité des droits. Je dirais que l’on fait un procès à la territorialité des droits. Mais il est vrai qu’il peut y avoir une vision très volontariste de certains membres la Commission Européenne visant à supprimer toutes les entraves, tous les obstacles et toutes les frontières à la création d’un marché unique numérique.

Partager cet article