Clarisse Arnou – Yotanka : « Notre positionnement dans les cercles de proximité est aussi pour nous une marque de fabrique »

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Clarisse Arnou, Gérant du label Yotanka

Outre la diversité des artistes dans le paysage musical, le secteur de la musique enregistrée est aussi riche de la multitude d’acteurs qui le composent. Yotanka se distingue parmi les labels arrivés récemment comme étant aussi proche des acteurs locaux de l’ouest de la France que  tourné vers l’international. Clarisse Arnou, sa Gérante, détaille les composantes de l’ADN du label et partage son expérience sur différents sujets tels que le crédit d’impôt, l’exposition de la musique ou encore l’export. 

CULTUREBIZ : Quelles sont les principales raisons qui vous ont conduit à vous lancer dans la production, non pas en rejoignant une structure ni en créant un nouveau label, mais en reprenant une entreprise existante ? Est-ce que cette approche s’accompagne de plus d’avantages particuliers ?

Clarisse Arnou : L’idée de reprendre Yotanka a émergé naturellement parce que mon associé Vivien Gouery était déjà le manager de Zenzile, un groupe historique du label. C’est une structure qui était en friche depuis quelques années, et en le reprenant nous nous sommes dits qu’il y avait déjà de la matière et de l’actif avec notamment du back catalogue. Nous avons donc choisi de profiter de cet outil et de monter un nouveau catalogue en relançant des signatures. Ça nous paraissait être une opportunité, alors au fur et à mesure nous avons restructuré la société, racheté les parts, investi d’autres associés, et c’est devenu notre label avec une identité à l’image de nos goûts personnels, c’est-à-dire éclectique.

Au-delà des avantages de repartir de l’existant, il y a eu aussi des inconvénients. Nous avons également hérité du passé avec son lot de contraintes juridiques et administratives, et ça nous a pris du temps de restructurer cette entreprise. En même temps, nous ne partions pas de zéro, il y avait déjà des contrats de distribution en place, donc des rails sur lesquels nous nous sommes posés. Aujourd’hui avec huit années de recul, je n’ai aucun regret mais je pense que nous aurions tout aussi bien pu créer notre propre label et arriver aux mêmes résultats.

« Dans le développement d’un groupe ou d’un artiste, la salle, le festival et les différents dispositifs d’accompagnement locaux sont importants »

En quoi le fait d’être implanté en région impacte votre activité en comparaison avec un label basé à Paris ?

On nous demande souvent si le fait d’être en province n’est pas un inconvénient, à vrai dire, c’est aussi une différence que nous souhaitons marquer. Ça prend certainement plus de temps pour être identifiés parce que les cercles de décision et une grande partie de l’industrie se situe à Paris, nous y sommes d’ailleurs très régulièrement. Avec Vivien, nous avons commencé dans le management avec des groupes implantés dans l’ouest donc c’était important d’être proches de ces artistes. Mais nous avons aussi rapidement signé Laetitia Sheriff ou encore Arm tous deux originaires de Bretagne. Notre positionnement dans les cercles de proximité est aussi pour nous une marque de fabrique. Nous avons toujours gardé cette volonté d’avoir une relation étroite et durable avec nos artistes, c’est dans notre ADN. Nos expériences dans le management et dans le booking nous ont rapprochés des réseaux de diffusion. Dans le développement d’un groupe ou d’un artiste, la salle, le festival et les différents dispositifs d’accompagnement locaux sont importants. C’est vrai que nous avons toujours beaucoup échangé avec les programmateurs parce qu’ils nous faisaient découvrir des groupes et nous orientaient parfois sur des projets. De même que quand nous avons des signatures en cours, il nous arrive de sonder certains d’entre eux pour avoir des retours.

« Sans le crédit d’impôt, nous n’aurions pas pu créer des emplois et passer de deux à cinq personnes »

Pouvez-vous résumer les chiffres clés de votre activité et préciser ce qui vous distingue des autres labels ?

Nous avons presque triplé notre chiffre d’affaires depuis la reprise de la société. Nous faisons entre 8 et 10 sorties par an. Chaque année nous signons de nouveaux groupes en plus de ceux qui reviennent tous les 2 à 3 ans avec un nouvel album, nous avons publié plus de cinquante phonogrammes. C’est un rythme assez soutenu pour un label indé comme le nôtre. Nous avons 70% d’artistes français et 30% d’internationaux dans notre catalogue. Côté édition, notre catalogue contient environ 600 œuvres. Nous sommes tournés vers l’émergence et aimons nous positionner au début des projets, sortir des premiers albums. Notre côté découvreur et la proximité entretenue avec les artistes font qu’ils se tournent aussi vers nous parce que nous avons cette approche. Nous essayons de maintenir cette volonté d’instaurer quelque chose de qualitatif dans nos relations avec les groupes, en travaillant avec souplesse et réactivité, et sommes reconnus, je crois, pour avoir ce talent-là.

Notre équipe est composée de cinq personnes aujourd’hui, nous avons cette flexibilité qui permet de démarrer efficacement le travail de développement avec des newcomers. En plus d’être producteurs, éditeurs et managers, nous sommes très proches des diffuseurs qui sont des leviers de développement. A mon sens, une bonne exploitation de disques s’accompagne forcément d’une bonne exploitation tournée. Nous sommes donc très regardants sur ce travail de diffusion et travaillons étroitement avec nos partenaires tourneurs.

Le développement d’artistes est central dans l’activité du label Yotanka. Quel a été l’apport du crédit d’impôt pour votre structure ?

Nous n’aurions clairement pas pu reprendre ce label et construire notre catalogue de cette manière sans l’aide du crédit d’impôt. Ça a été un vrai support dans notre politique de restructuration et de signatures. Chaque année, c’est à peu près la moitié de nos sorties qui en bénéficient dans le respect du ratio de francophonie. C’est un dispositif qui nous a permis de faire du développement sur des projets difficiles à défendre sur le plan commercial et d’aller vers la diversité. Sans le crédit d’impôt, nous n’aurions pas pu créer de cette façon des postes et passer de deux à cinq personnes. Le crédit d’impôt a donc permis le développement de notre société et une montée en puissance. Et à l’heure où il est régulièrement discuté voire menacé, je tiens à souligner tout l’intérêt de ce dispositif fiscal pour les labels indépendants. Pour autant, notre objectif avec Yotanka reste de sortir de cette forme de « dépendance » et de trouver un business model équilibré.

« En tant qu’indépendant avec un catalogue qui n’est pas mainstream, des questions demeurent sur les clés de répartition des recettes générées par le streaming »

La promotion et la diffusion sont bien évidemment des éléments clés pour l’émergence des nouveaux artistes. Les réseaux sociaux ouvrent l’accès au grand public sans l’intermédiaire des médias mais la concurrence est aussi rude sur les plateformes. Qu’est ce qui a changé ces dernières années dans votre approche et quelles sont les principales difficultés rencontrées en matière d’exposition dans les médias ?

Il y a différents cycles et tendances. En 2012, nous investissions tout notre budget marketing sur le print et aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas. Notre stratégie de promotion des artistes a été totalement revue, nous avons adapté nos plans marketing. Comme nos confrères, nous investissons sur le web, YouTube et concentrons nos efforts sur le digital.

Concernant l’espace médiatique, on ressent que l’étau se resserre, spécialement depuis deux ans, mais nous avons quand même des artistes qui ont de belles retombées dans les médias, même si les créneaux pour la musique sont de plus en plus restreints. On veille à avoir autant de story telling que possible sur nos projets. Que ce soit sur les radios du service public ou plus globalement dans la presse, cela reste compliqué d’avoir une visibilité. Pour autant, on constate que l’exposition de certains artistes dans les médias n’a pas forcément un impact fort sur les ventes d’albums et les billetteries concerts. Ce qui était le cas il y a quelques années ne l’est plus forcément, l’aspect systématique de report sur les ventes est beaucoup moins évident. Le fait d’avoir beaucoup de presse n’est pas aujourd’hui un indicateur d’impact commercial pour nous mais ça apporte une sorte de caution professionnelle, une légitimité, et de l’image.

Les espaces web sont effectivement aussi très saturés. Aujourd’hui, les voies pour parler aux publics se sont multipliées et sont complémentaires. Je trouve ça excitant d’avoir une palette de médias pour développer les projets avec le web, les plateformes et les médias traditionnels. Mais nous cela demande aussi d’être créatifs pour proposer des choses pertinentes pour chaque public.

La progression du streaming dans les habitudes de consommation s’accompagne d’une très forte concurrence sur les plateformes. Est-ce que cela se traduit par des difficultés pour les artistes de Yotanka à être visibles sur les plateformes ?

Les plateformes ont d’abord permis une ouverture importante sur de nouveaux publics. Quand un de nos artistes intègre une playlist Spotify, Deezer ou Apple Music c’est la garantie d’avoir accès à un public qui aurait peut-être été difficile à toucher sinon. Maintenant, ça reste l’embouteillage, les distributeurs digitaux ne peuvent pitcher aux plateformes autant de titres qu’il faudrait et tout le monde veut faire sa place. Quant aux modes de rémunération, je dois dire qu’en tant qu’indépendant, avec un catalogue qui n’est pas mainstream, des questions demeurent sur les clés de répartition des recettes générées par le streaming payant puisque le modèle actuel favorise les répertoires les plus écoutés.

Dans cet environnement très concurrentiel qu’est le marché de la musique enregistrée, l’export représente-t-il un relais de croissance pour aller chercher des publics où il y a moins de concurrence entre les artistes français ?

On travaille réellement 2 ou 3 albums à l’international chaque année. Avec le digital, nous avons accès à des datas très utiles et nous voyons des tendances se dessiner, nous pouvons sentir les prédispositions sur un territoire plutôt qu’un autre, cela facilite notre travail sur l’export. Dans certains cas, il y a donc un intérêt à investir sur l’international, à engager des dépenses promotionnelles et marketing, à accompagner un développement sur la tournée, en allant chercher des showcases sur des festivals prescripteurs en Europe ou ailleurs. Cela nous permet d’aller chercher des parts de marché au-delà de la France, notamment en Allemagne où nous avons un distributeur local. Mis bout à bout, ces parts de marché supplémentaires, aussi petites sont-elles, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, donnent des résultats non négligeables in fine. Pour un artiste comme Kid Francescoli nous sommes depuis 2 ans sur une dynamique d’installer son profil sur d’autres marchés, et avons fait un important travail de développement sur différents territoires en synergie avec le tourneur, et qui devrait porter ses fruits à moyen terme.

 

 

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