Centre National de la Musique : la mise en garde de Jean-Philippe Thiellay à la filière

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La première prise de parole du Président du Centre National de la Musique était très attendue. A l’occasion des Biennales internationales du spectacle, Jean-Philippe Thiellay s’est montré pleinement investi dans son rôle d’amiral de la maison-mère de la musique. Au point de mettre les acteurs de la filière face à leurs responsabilités dans la réussite du lancement de l’établissement, lors d’une déclaration qui a sonné comme un avertissement.  

Les critiques qui avaient fusé à l’annonce de sa nomination apparaissent dès à présent comme caduques. En s’adressant devant les professionnels de tous bords à Nantes, Jean-Philippe Thiellay a confirmé disposer de l’étoffe et des atouts nécessaires pour faire converger le CNM avec les enjeux du secteur. « Le mot ‘public’ est aussi important que les entreprises et les territoires. Je pense que la relation, l’expérience du spectateur, le prix du billet, ou encore l’impact du digital sont important et ce pour toutes les esthétiques. Je suis convaincu que le pari et les questions communes sont plus nombreuses que les questions de division. Gérer un guichet unique ne m’intéresse pas. J’ai l’ambition que le CNM soit une marque qui puisse se projeter, accompagner les entreprises et dégager de nouvelles ressources. Il s’agit de construire une grande aventure et qu’on se dise dans trois ans que la musique a rattrapé ce que d’autres secteurs ont créé il y a plusieurs dizaines d’années » a déclaré le Président du CNM. La co-construction sera de rigueur au sein du Centre National de la Musique étant donné l’association des professionnels au Conseil d’Administration et plus largement au sein du Conseil professionnel à venir. Conciliant et à l’écoute, le Président du CNM semble d’ores-et-déjà au fait des spécificités, des problématiques et des attentes de toute part. Elles sont nombreuses, d’autant plus dans le contexte de la création du Centre National de la Musique visant à structurer et à renforcer le secteur.

Discordances

Les multiples organisations professionnelles ayant pour rôle de défendre les intérêts de leurs membres ou adhérents, elles ont évidemment leurs stratégies, leurs enjeux ainsi que leur agenda. Des intérêts singuliers, pas toujours convergents, et qui les conduisent à adopter des positions parfois contradictoires, faisant passer l’intérêt commun au second plan. Sont notamment connues les oppositions plus ou moins logiques entre le spectacle subventionné et le spectacle privé, entre les majors et les labels indépendants et plus récemment entre les producteurs de live indépendants et les groupes et entre les festivals indépendants et les festivals détenus par des groupes. Le débat aux BIS de Nantes sur le lancement du CNM a été l’occasion de constater qu’après l’enthousiasme vient le retour des discordances au sein de la filière musicale. Les intervenants ont chacun insisté sur leurs préoccupations. Bruno Lion (Peer Music France), Président de la Sacem, a notamment souligné le manque de reconnaissance et l’absence de soutien pour les éditeurs : « On parle de couvrir toutes les esthétiques, mais je voudrais aussi que l’on parle de couvrir tous les métiers. Contrairement aux producteurs de phonogrammes et aux producteurs de live, les éditeurs n’ont pas de crédit d’impôt ». Du point de vue de Malika Séguineau, Directrice Générale du PRODISS, « il est important de ne pas travailler uniquement sur l’existant mais aussi de réfléchir à des besoins qui ne sont pas satisfaits aujourd’hui comme sur le numérique ou la billetterie. Et on aimerait que le CNM soit aux cotés de la filière sur ce sujet ». Pour Aurélie Hannedouche, déléguée générale du SMA, « la création du CNM ne doit pas venir déshabiller les prérogatives du Ministère et il faut aussi faire attention à ne pas créer un guichet unique avec une homogénéisation des soutiens ». Autant de déclarations qui sont venues nuancer la prééminence de l’intérêt commun de la filière. Et qui ont donné l’occasion à Jean-Philippe Thiellay de marteler que ce doit être la priorité commune et constante du secteur de la musique.

Sécuriser les moyens supplémentaires avant une montée en puissance

Outre le fait d’être à l’écoute et conciliant, le Président du CNM s’est aussi montré pragmatique, ferme et engagé. Les questions liées au financement du CNM sont évidemment au cœur des priorités de l’équipe décisionnaire composée de Jean-Philippe Thiellay et de Romain Laleix, également des membres du Conseil d’Administration et plus largement de la filière musicale. Sans pour autant contredire le postulat des besoins de la musique en la matière, le Président du CNM priorise le fait d’utiliser les moyens nouveaux obtenus à bon escient, pour sécuriser cet engagement et le faire évoluer d’ici à 2022 : « Il faut qu’on soit bons, que l’on puisse dire aux parlementaires qui discuteront la loi de finances que quand on met des moyens dans la filière musicale, cela produit des effets tant sur le plan artistique – parce que ce n’est pas juste une formule comptable – que sur l’économie des entreprises et dans les territoires etc. ». En parallèle, sur les financements nouveaux, Jean-Philippe Thiellay a insisté sur la nécessité d’une contribution collective, évoquant l’éventualité d’une « montée en puissance » du côté des organismes de gestion collective des droits des producteurs (SCPP, SPPF) et des artistes (Adami, Spedidam), qui devraient être rejoints par la Sacem à la fin du premier semestre. Les acteurs de la tech seront également sollicités : « Je pense que c’est une anomalie que le monde digital ne contribue pas au financement. On peut réfléchir à construire quelque chose et si on est convaincants cela peut fonctionner ». L’utilisation des financements supplémentaires alloués, soit 7,5 millions d’euros en 2019, dont la ventilation est à venir, sera suivie d’un travail pour concilier évolution et continuité des aides et sur de nouveaux dispositifs en identifiant des leviers sur l’export, le digital ou encore l’expérience spectateur. Autant d’aspects sur lesquels les acteurs devront converger. Du point de vue de Jean-Philippe Thiellay, les désaccords ne doivent pas entacher l’union de la filière musicale pour consolider et défendre ses intérêts auprès des pouvoirs publics. « Si la filière ne démontre pas sa capacité à s’unir pour aller chercher des financements nouveaux et éviter que tel crédit d’impôt ne soit raboté, il y a des gens qui aiment moins la musique au parlement et dont la priorité constante est de raboter. Si on continue dans cette direction, je vous garantis que ce pari peut être perdu. La question de savoir si on veut que le CNM réussisse se pose aux politiques mais aussi à nous » a tranché Jean-Philippe Thiellay dans une déclaration résonnant comme un appel à la responsabilité.

 

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