Aurore Bergé – Députée : « La crise doit devenir une opportunité pour le secteur de la musique »

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Aurore Bergé, Députée membre de la Commission des affaires culturelles

Le Parlement est une caisse de résonance des préoccupations, difficultés et demandes des acteurs de la filière musicale pour mieux structurer le secteur et développer leurs activités. Au début de la crise, plusieurs parlementaires dont la députée Aurore Bergé ou la sénatrice Sylvie Robert ont alerté leurs homologues sur les problématiques des créateurs, intermittents du spectacle ou encore des organisateurs de festivals. Dans une interview à CULTUREBIZ, Aurore Bergé s’exprime quant aux annonces faites pour soutenir le secteur de la musique en la crise. La rapporteure du projet de loi relatif à la réforme de l’audiovisuel clarifie dans le même temps sa position sur les quotas radios et la rémunération des artistes-interprètes sur le streaming.

CULTUREBIZ : L’engagement du Gouvernement et les mesures annoncées sont-ils proportionnels au poids économique de la musique en termes d’emplois, de revenus, de retombées directes et indirectes ?

Aurore Bergé : La crise est une opportunité malheureuse de réaliser le poids économique de la musique, et plus globalement des secteurs culturels, qui sont des leviers de croissance. On le constate, par effet de contraste, avec les annulations et reports des festivals et concerts et la fermeture des lieux culturels, avec des impacts sur l’emploi et l’attractivité des territoires. L’année blanche pour les intermittents annoncée par le Président de la République et définitivement votée est un soulagement pour les artistes et techniciens.  Mais l’hétérogénéité des statuts, des acteurs et des lieux complexifie les réponses à apporter qui doivent être autant transversales que sectorielles.

Les mesures ont dès le départ été présentées comme de premières mesures, et elles doivent être amplifiées avec un plan de sauvetage de l’emploi culturel et d’accompagnement de la reprise. L’emploi culturel, c’est 1,2 million de personnes. C’est la garantie de la diversité culturelle.

Les conséquences pour le secteur de la musique se prolongeront en 2021, voire en 2022. Notre enjeu est de préserver ce tissu qui fait la force de notre pays, éviter la disparition d’équipes artistiques, et se prémunir du risque de concentration. Il y aura sans doute un risque de rachat de festivals et de concentration au profit de grands groupes qui privilégieraient alors uniquement leurs artistes.

Le Président de la République a annoncé une dotation de 50 millions d’euros pour le Centre National de la Musique, et la crise doit lui permettre de prendre toute sa place et d’être l’opérateur de l’ensemble de la filière. Au sein de l’Assemblée Nationale, nous avons porté et soutenu la création du CNM et nous l’avons doté financièrement. C’est maintenant à cet opérateur de confirmer qu’il est un outil efficace de concertation et d’évaluation, et de démontrer l’apport de la filière à notre économie en termes d’emplois et de croissance.

« Les premières mesures doivent être amplifiées avec un plan de sauvetage de l’emploi culturel et d’accompagnement de la reprise »

Pouvez-vous préciser les initiatives de la Commission des affaires culturelles pour accompagner et soutenir le secteur de la musique ?

Nous avons tout de suite installé des groupes de travail pour évaluer l’impact de la crise sur le secteur culturel. Nous avons auditionné un grand nombre d’organisations professionnelles. Je suis heureuse que les trois amendements, qui émanaient des auditions et que j’avais proposés, aient été adoptés.

Le premier, adopté à l’unanimité, porte sur les promesses d’embauche puisque les usages dans le secteur font qu’elles sont rarement formalisées par un contrat en amont. Nous avons permis d’assouplir les conditions de recours à l’activité partielle en permettant que les promesses d’embauche soient démontrées par tous moyens écrits.

Le deuxième amendement doit permettre d’adapter l’activité partielle aux spécificités du monde de la culture. Le plafonnement à 4,5 SMIC défavorise les artistes qui ne relèvent pas du régime de l’intermittence, ont de multiples employeurs et sont rémunérés en salaires. Nous avons clarifié cela à l’Assemblée Nationale.

Le troisième amendement concerne les jours franchise. Plus un artiste ou technicien qui relève de l’intermittence travaille et plus il accumule des jours de franchise pendant lesquels il ne perçoit pas l’assurance chômage quand il ne travaille pas, une forme de jour de carence. Or pendant la crise, c’est une double peine : les artistes et techniciens qui devaient travailler en sont, de fait, empêchés et en même temps ne peuvent pas bénéficier de l’assurance chômage. Nous avons donc demandé au gouvernement de surseoir à ces jours de carence au moins durant la période de crise pour éviter que des intermittents soient privés de revenus, alors qu’ils ont cotisé.

« Je suis favorable au renforcement des crédits d’impôt dédiés à la musique enregistrée et au spectacle vivant »

Quelles sont les demandes et propositions des professionnels qui vous paraissent les plus urgentes et pertinentes ?

La première demande porte sur la visibilité. Les acteurs du spectacle vivant, de la musique, qui sont aussi des acteurs économiques, s’interrogent sur l’avenir de leur emploi, de leur structure, de leurs projets. Une date a été précisée clairement par le Premier Ministre. Mais nous savons bien que ça n’est pas parce que nous décrétons la reprise de la saison culturelle qu’elle ira de soi : il y a des enjeux de programmation, de répétition, de billetterie, et de rétablissement de la confiance avec les spectateurs.

Beaucoup de propositions ont émergé. Et je pense qu’il est nécessaire d’accompagner la reprise du monde culturel. Je suis favorable au renforcement et à la simplification du crédit d’impôt dédié à la production phonographique. Le renforcement du crédit d’impôt dédié au spectacle vivant me semble aussi nécessaire pour qu’il embrasse l’ensemble des disciplines. Il n’y a pas de raisons que le théâtre ne soit pas intégré. C’est d’ailleurs une position largement partagée parmi les parlementaires.

Là-encore, nous avons besoin du Centre National de la Musique pour conduire les évaluations sur les crédits d’impôt existants avec des études pour les objectiver, afin de nous aider à en démontrer la pertinence. Le budget de la Culture est toujours un combat, au sein des collectivités locales comme à l’Assemblée Nationale. On a toujours besoin de prouver ce que permet le budget de la Culture.

La Sacem avec son Directeur Général Jean-Noël Tronc ont joué un rôle majeur dans la crise, au travers de leur plan d’urgence notamment mais aussi avec la campagne « Scène française ». On parle souvent de souveraineté culturelle, mais je crois aussi en une forme de patriotisme culturel. Et l’audiovisuel public a un rôle à jouer dans l’exposition des talents et des projets. Les droits répartis aux auteurs, compositeurs, éditeurs, artistes-interprètes et producteurs sont fonction de leur diffusion : donner de l’espace aux artistes français !

« Les quotas radios sont une nécessité absolue pour garantir la diversité culturelle »

L’exposition de la musique est un des grands sujets pour le secteur autour de la réforme de l’audiovisuel. Plusieurs amendements relatifs aux quotas radios ont été débattus en Commission des affaires culturelles. La création d’un régime spécifique pour les radios thématiques a été adoptée. Cependant, l’amendement relatif au relèvement du plafond de 50 à 60%, auquel vous étiez favorable, a été retiré à la demande du Ministre de la Culture. Pouvez-vous clarifier votre position sur le sujet des quotas radios ?

Les quotas radios sont une nécessité absolue pour garantir la diversité culturelle. C’est un acquis qu’il faut absolument préserver, qui a permis de faire éclore et de valoriser la scène française. Il ne s’agit pas de remettre en question les quotas radios. Néanmoins, on pourrait créer un dispositif pour les radios thématiques, comme Radio FG qui a été remarquable pendant le confinement en soutenant la diversité de la scène électro et les jeunes créateurs. C’est en ce sens que nous avions voté lors de l’examen en commission des affaires culturelles du projet de loi audiovisuel.

Sur les quotas radios, mon interrogation est sur la lisibilité du plafonnement des hautes rotations. A la fois parce que c’est une limite de choix et de liberté de programmation pour les radios, et aussi car je ne suis pas certaine que l’on sache en évaluer les bénéfices. Le CSA a mis plus d’un an pour contrôler leur mise en œuvre. Je ne suis pas pour un assouplissement généralisé des quotas radios parce que ce sont des garants de la diversité. Mais le plafonnement des hautes rotations mérite que l’on puisse s’interroger sur son efficacité.

La SPEDIDAM et l’ADAMI demandent un droit à rémunération proportionnelle pour l’exploitation des œuvres des artistes-interprètes, collectée auprès des plateformes de streaming. Le projet de loi relatif à la réforme de l’audiovisuel entretient l’imprécision de la directive droit d’auteur en réaffirmant le principe de la rémunération proportionnelle pour les artistes-interprètes tout en instaurant des exceptions. Quelle est votre position sur le sujet ?

C’est un long débat que nous avons eu sur l’article 20 du projet de loi qui vient transposer la directive droit d’auteur au profit des artistes-interprètes. Mon point de vue est que les artistes-interprètes et les auteurs n’ont ni les mêmes statuts, ni les mêmes modalités de rémunération. Les artistes-interprètes sont rémunérés en salaire. Il ne faudrait pas que la directive vienne fragiliser les conventions collectives qui sont un équilibre pour la filière et ont été négociées avec les organisations professionnelles et les représentants des artistes interprètes que sont les syndicats. Notre responsabilité collective est de soutenir la création et la diversité culturelle, pas de fragiliser les filières.

 

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