Angelo Gopee – Live Nation France : « On parle de la concentration alors que l’avenir des producteurs et la diversité sont les véritables sujets »

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Angelo Gopee, Directeur Général de Live Nation France

Constamment indissociée de sa maison-mère Live Nation Entertainment par les professionnels, Live Nation France doit en réalité aussi son leadership à une série de paris, de risques et d’investissements sur la scène locale comme internationale. A la racine de l’audace, et de la stratégie déployée depuis dix ans, Angelo Gopee entouré de 80 personnes. La société de production de spectacles (Alicia Keys, IAM, Iron Maiden, Lady Gaga et Sting parmi les concerts prévus en 2021) et d’organisation de festivals (Main Square, Lollapalooza…), et qui alimente rumeurs et fantasmes en termes de rachats, d’exclusivités et de cachets d’artistes mirobolants, n’est en réalité par épargnée par la crise. Dans un entretien à CULTUREBIZ, le Directeur Général de Live Nation France, partage sa vision d’entrepreneur dans le contexte actuel et déconstruit ce qu’il estime être des contre-vérités sur le sujet de la concentration qui, selon lui, font obstruction à des problématiques et défis plus importants pour l’avenir du secteur et sur lesquels l’industrie, la filière et les politiques doivent oser s’engager et s’investir.

CULTUREBIZ : Comment la crise et la période actuelle se traduisent sur votre activité ?

Angelo Gopee : Nous avions 1 700 dates prévues en 2020 et depuis le début de l’année nous en avons faites environ 150. L’activité de Live Nation France est à l’arrêt depuis le mois de mars, et nous n’avons pas d’autres revenus.

Dès les premières annonces nous avons pensé à nos artistes et nos équipes, qui ont mis beaucoup de temps à travailler. Nous avons dû arrêter toutes les productions en cours du jour au lendemain, sans savoir pendant combien de temps et ce jusqu’à présent.

Nos équipes sont équipées pour le travail à distance, ce qui nous a permis d’être réactifs, efficaces et en lien dès le début du confinement. Nous continuons de faire des points très réguliers pour échanger sur l’actualité sanitaire, sociale, politique et professionnelle. Nous avons aussi mis en place des webinars avec des personnalités de divers horizons partageant leurs expérience et compétences. Des groupes de travail ont aussi été constitués autour de la diversité et l’accompagnement de nos talents. Dans le prolongement du travail fait durant le confinement, nous exploitons la période actuelle pour permettre à nos équipes de monter en compétences, d’agréger des connaissances, pour être encore plus forts et plus prêts à la reprise.

« Il aurait été plus simple de nous dire que tout risquait d’être annulé et de nous demander de reporter nos productions à 2021 »

Que pensez-vous de la gestion de crise du Gouvernement ?

Au début nous avons été surpris par le manque de dialogue, avec la sensation que personne ne se parle, que personne ne s’écoute et que personne ne s’entend. Ce n’était pas simple de comprendre l’interdiction des jauges de plus de 5 000 personnes, puis de 1 000, et encore moins de l’expliquer aux artistes et aux équipes. D’où nos attentes et l’incompréhension dans la profession. L’organisation d’un festival, peu importe sa taille, engendre des dépenses importantes et devant l’incertitude sanitaire donc financière, il était important d’anticiper afin de pouvoir prendre les bonnes décisions.

L’incompréhension vient du fait de ne pouvoir accueillir plus de 1 000 personnes dans une salle de concert alors qu’il y a 4,5 millions de personnes dans le métro chaque jour, et que des milliers de personnes se côtoient dans les gares ou les établissements scolaires. On le savait, à la vue de certaines scènes durant l’été, que la rentrée allait en pâtir. Et aujourd’hui, des milliers de restaurateurs et d’acteurs du tourisme mais aussi de producteurs, festivals, et tous ceux qui n’ont pas pu exercer et reprendre leur métier à la rentrée, sont en danger.

Nous avions proposé de faire des « concerts tests » à l’instar de l’Allemagne avec des jauges de 500 places et de 1 000 places voire plus pour avoir des données sur la propagation du virus dans le cadre de concerts. Ce qui aurait pu permettre aux pouvoirs publics de décider en connaissance de cause…

Les dispositifs de soutien aux entreprises étaient adaptés à un certain contexte, et on ne sait pas s’ils le seront toujours quand le contexte évoluera. Il aurait été plus simple de nous dire que tout risquait d’être annulé et de nous demander de reporter nos productions à 2021.

Je me demande si les décideurs connaissent réellement notre métier. Ce sont les producteurs qui produisent les artistes qu’ensuite les salles diffusent. Quand certains parlent de déposer le bilan après trente ans de boite, on ne parle pas de faire moins de profits mais de risques réels que des personnes perdent leur entreprise, leur équipe, leur emploi, leurs biens, leur dignité…

« Nous avons refusé d’investir dans plusieurs festivals parce qu’à la première occasion on dira que Live Nation France veut et va racheter toutes les boites »

L’Autorité de la concurrence s’intéresse à la concentration dans le secteur de la musique après avoir été saisie par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale. Que vous évoque l’association permanente de Live Nation France à la concentration par les professionnels ?

Live Nation France n’a racheté personne en dix ans et je n’ai prévu de racheter aucune structure après le COVID. Et ce n’est pas non plus Live Nation France qui a racheté des festivals ces dernières années… Depuis 10 ans, je fonctionne avec l’argent gagné sur les concerts et cet argent est réinvesti. La concentration dans le secteur du live est un faux débat. On parle de la concentration alors que l’avenir des producteurs de spectacles et la diversité sont les véritables sujets. Pourquoi le métier va mourir ? Parce que les maisons de disques en France ont décidé d’intensifier leur activité en matière de production de spectacles. Elles insistent pour que les artistes signent des contrats regroupant la musique enregistrée, le spectacle, les éditions etc. Dans un an ou deux, il n’y aura que les majors pour produire des tournées d’artistes français et je suis sérieux. Plusieurs des artistes qui avaient de grosses tournées prévues en 2020 sont signés au sein de majors pour la musique enregistrée, le live et les éditions. Je n’ai jamais voulu payer d’avance à un artiste, non pas faute de moyens mais parce que je trouve que ce n’est pas équitable et que cela dérégule le marché. Les maisons de disques donnent des avances qu’elles seules peuvent se permettre de payer. Qui en parle ? Personne.

C’est plus facile de parler de concentration verticale, horizontale, en disant que cela met à mal la culture, mais sans parler de ceux dans l’abus. Nous avons même refusé d’investir dans plusieurs festivals qui nous l’ont demandé quand leur modèle économique est arrivé à bout. Parce qu’à la première occasion, les mêmes qui parlent de concentration diront que Live Nation France veut et va racheter toutes les boites. Certains disent d’ailleurs qu’il y a trop de festivals à Paris et qu’il n’y a pas de place pour plusieurs festivals… On ne pourrait a priori pas organiser trois festivals dans une région de 14 millions de personnes… Pourtant, l’appétence des français et des parisiens pour les festivals n’a jamais été aussi importante que ces dernières années, que ce soit pour Lollapalooza Paris, We Love Green ou Solidays.

J’ai expliqué aux pouvoirs publics et notamment aux sénateurs que je suis entrepreneur depuis plus de vingt ans. Aujourd’hui les musiques urbaines sont convoitées par tous, mais qui a été le premier à organiser des concerts de rap il y a trente ans ? C’est moi. Et qui n’y croyait pas il y a vingt ans ? Ce sont les autres. Personne ne dit que Live Nation France est aujourd’hui leader parce qu’un jeune de quartier avait une vision. On dit que c’est parce que Live Nation Entertainment a investi. On ne met pas en avant la réussite de la diversité, on préférer parle d’une soi-disant invasion des américains. Parler de Live Nation France uniquement à travers le prisme des américains c’est dévaluer et ignorer l’une des rares réussites d’une personne issue de la diversité dans le business de la musique.

« Il faut admettre que la diversité est invisible dans l’industrie musicale, et créer des opportunités pour les profils issus de la diversité »

Le manque de diversité est flagrant au sein des postes cadres dans les entreprises leaders du secteur de la musique comme dans les organisations professionnelles. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Ce n’est pas normal qu’on n’aborde pas le manque de diversité dans la filière et dans l’industrie. D’autant qu’un certain nombre de structures touchent des millions d’euros d’argent public avec peu d’obligations de résultat. La diversité doit devenir un résultat, elle est aussi importante dans les esthétiques et dans les genres que dans les profils. Est-il est normal de subventionner des établissements, festivals, SMAC, qui n’intègrent pas la diversité dans leur programmation et en matière de ressources humaines ? Personne ne lance le débat. Les rares prises de parole portent sur l’égalité H/F et en ce moment sur #MeToo dans la musique, qui sont bien sûr des sujets fondamentaux.

Il n’y a aucune initiative des pouvoirs publics. Et certains les détournent constamment sur d’autres sujets donc ils ne s’en emparent pas. Si on ne le fait pas maintenant, ce ne sera jamais le moment. On parle du manque de diversité dans le paysage musical mais la réalité serait différente si on laissait aussi une place à des professionnels de profils différents pour développer de nouveaux artistes. Il faut admettre que la diversité est invisible dans l’industrie musicale, et créer des opportunités pour les profils issus de la diversité.

« Nous continuons de retravailler notre modèle économique en développant de nouveaux modèles »

Comment envisagez-vous l’année 2021 ?

Je suis un entrepreneur, et entreprendre signifie oser et prendre des risques. Nous faisons tout notre possible pour maintenir nos salariés jusqu’à la reprise de notre activité. Nous aurons besoin de leurs compétences. En parallèle, nous continuons de retravailler notre modèle économique en développant de nouveaux modèles, ce que nous avons commencé depuis deux ans, en s’adaptant aux limites de jauges et à la distanciation. Nous explorons aussi de nouvelles voies en dehors des concerts. Et l’an prochain nous espérons pouvoir redémarrer pour être au moins à l’équilibre.

Quels sont les premiers impératifs pour rétablir la confiance avec les spectateurs et provoquer leur retour dans les salles et festivals ?

Il va falloir mettre en place des campagnes de communication sur les consignes sanitaires pour les rassurer sur notre professionnalisme et notre niveau d’implication pour des conditions sanitaires optimales. C’est évidemment important d’accélérer sur la billetterie dématérialisée, le sans-contact, le cashless etc.. Nous devons savoir rebondir comme après les attentats de 2015.

Comment résumez-vous les qualités et les réflexes indispensables pour tout entrepreneur souhaitant passer cette crise ?

Il faut d’abord du courage parce que ce n’est pas facile. De la bienveillance avec ses collaborateurs et partenaires, de la passion parce que sinon on n’a envie de rien, de la patience pour ne pas perdre pied. En tant qu’entrepreneur on est responsable de ses équipes, de son entreprise et des artistes. On a une charge très importante et il faut garder la tête froide, être visionnaire, volontaire pour trouver des solutions pour tout le monde, et être unis. Il y a une volonté collective que cela reprenne le plus vite et le mieux possible mais il ne faut laisser personne derrière. En 2021 on ne pourra pas se permettre d’avoir des concerts avec distanciation ou des festivals qui ne peuvent pas avoir lieu.

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