Alexandra Bobes – France Festivals : « L’impact de la crise est colossal avec au moins 1,5 milliard d’euros de perte économique dans les territoires »

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Alexandra Bobes, Directrice de France Festivals

Grands perdants de la crise, des centaines de festivals ont été contraints d’annuler. L’absence de chiffre d’affaires avec les recettes de billetterie, de sponsoring, ou des recettes propres entraine les sociétés et associations organisatrices de festivals dans une situation financière compliquée. Certains festivals, comme Cabaret Vert, redoutent de ne pas se tenir en 2021. Les festivals sont des vecteurs d’attractivité, de croissance et d’emploi dans les territoires, et leur reprise et leur relance doit être impulsée par un certain nombre de mesures et dispositifs à leur écosystème. Ce que réaffirme Alexandra Bobes, Directrice de France Festivals, qui fédère des acteurs de différentes tailles et modèles économiques, et les représente auprès des institutionnels et pouvoirs publics. 

CULTUREBIZ : Pourquoi avoir publié sans attendre une étude sur les pertes économiques et sociales des festivals ?

Alexandra Bobes : France Festivals a entamé en juin 2019 une étude, « SoFEST ! », fruit d’une coopération étroite entre une équipe de recherche co-dirigée par Emmanuel Négrier et Aurélien Djakouane, et d’autres organisations dont le Collectif des festivals, De Concert!, et la Fédération des Festivals de Chanson Francophone. Cette étude se poursuit jusqu’en avril 2021. Le focus spécifique sur l’annulation des festivals n’était pas prévu mais le secteur était cruellement en manque d’indicateurs par rapport à l’impact de la crise sanitaire et nous avions des données pertinentes pour près de 200 festivals. L’équipe de recherche a réussi à estimer les pertes économiques et sociales induites par les festivals annulés sur la période d’avril à août. Mais il ne faut pas confondre la perte économique en termes d’impact dans les territoires et la perte économique des festivals en termes de chiffre d’affaires. Il est encore trop tôt pour rassembler des données sur l’impact financier pour les festivals mais nous mènerons une évaluation en fin d’année.

« Les festivals sont des véritables opérateurs économiques et sociaux dans les territoires »

Quels sont les principaux enseignements de l’étude ?

Les données illustrent d’une part que les festivals sont des créateurs de richesse sur l’ensemble du territoire national et d’autre part que leur annulation a un impact négatif considérable pour l’économie française. Cette étude confirme qu’au-delà de l’impact artistique, culturel et humain, les festivals sont des véritables opérateurs économiques et sociaux dans les territoires. L’impact est colossal avec au moins 1,5 milliard de perte économique rien que pour les festivals de musique. Les festivals représentent donc un chainon important de l’écosystème économique territorial. Leur annulation a impacté l’hôtellerie, la restauration, le transport etc. Le volet social de l’étude montre qu’a minima, ce sont 100 000 engagements d’artistes qui ont été annulés. Un festival ce n’est pas juste trois jours ou plus de musique, c’est aussi un aimant pour les coopérations et partenariats et un phénomène social majeur, et l’ensemble des impacts doit être pris en compte par l’État et le Ministère de la Culture quand on parle de reconstruction et de relance.

La profession prend l’ampleur de la crise et on se demande comment tous les acteurs professionnels, artistes, techniciens, auteurs vont pouvoir s’en sortir. A la lecture de ces chiffres je me dis que l’on doit être encore plus solidaires que jamais pour construire l’avenir.

« Une difficulté majeure est que nos adhérents n’ont toujours pas de visibilité »

Comment se résument les difficultés des organisateurs de festivals ?

La difficulté majeure a été le manque de visibilité et de cohérence. La prise de décision pour l’annulation ou le maintien des festivals de moins 5000 personnes a été un casse-tête sans cadre règlementaire précis.

Le protocole d’aide à la reprise des festivals élaboré par le ministère de la Culture n’est toujours pas publié. Nous n’avons pas des nouvelles du Fonds Festivals annoncé par le Président le 6 mai. La situation est très compliquée. Nos membres sortent d’une période de trois mois de flou et ils se posent des questions sur la garantie des règles sanitaires et sur le retour des publics. Beaucoup de festivals ont préféré annuler parce que ce n’était plus tenable du point de vue économique ou dans la relation avec leurs partenaires. Mais d’autres sont encore au travail pour transformer, réinventer leur édition 2020.

Les difficultés varient en fonction des modèles économiques. Les festivals travaillent avant tout sur les annulations et pour trouver les équilibres dans les budgets. Les annulations bouleversent aussi l’écosystème sur le plan artistique. Les artistes, producteurs, programmateurs et autres professionnels se rencontrent à l’occasion des festivals. Toutes les rencontres qui auraient dû avoir lieu cette année n’ont pas eu lieu, et ça aura un impact sur les programmations l’an prochain et ce pour des milliers d’artistes.

Du point de vue financier, peu de nos adhérents ont pu obtenir une aide du fonds de secours du Centre National de la Musique notamment parce que c’est une aide liée à une perte de trésorerie immédiate alors que l’impact sur la trésorerie des festivals arrivera à la fin de l’été. Nous espérons que nos adhérents pourront bénéficier du 2ème volet du fonds de secours du CNM. Le chômage partiel a en revanche été très utile.

Nous n’avons pas de disparition de festivals parmi nos adhérents. J’espère que tous les festivals membres de France Festivals auront lieu l’année prochaine. Il y aura des difficultés et nous serons aux cotés de nos adhérents. Pour répondre à leurs difficultés de nos adhérents nous avons entamé un travail collectif avec la constitution de nombreux groupes de travail. Nous nous plaçons dans une forme de continuité en travaillant avec nos adhérents sur la relance et sur les années 2021 et 2022. On s’interroge déjà sur les futures subventions des collectivités qui soutiennent les festivals mais qui auront sans doute d’autres priorités l’an prochain. Les collectivités ont été réactives pour sauver le secteur et notamment les festivals, mais on redoute des baisses de budget pour la culture.

« Nous demandons la réactivation de la mission Festivals, essentielle pour notre secteur »

Comment ont évolué vos rapports avec le Ministère de la Culture ?

Notre secteur, 6000 festivals, n’est toujours pas considéré et reconnu par l’État à la hauteur des enjeux qu’il représente dans le paysage culturel national, dans ses missions de service public d’intérêt général et de cohésion sociale. La disparition de la mission Festivals depuis 2 ans, qui avait de projets importants pour notre secteur, a révélé pendant la crise l’impossibilité d’une concertation nationale sur le sujet des festivals. Pas de mission, pas de concertation.

Avant l’arrêt de la mission, le référent permanent pour les festivals, Serge Kancel, avait rédigé une charte des festivals et une circulaire à destination aux DRAC à propos du financement des festivals était en cours de rédaction. Si la mission existait comme un vrai lieu de partage et de concertation, dès le début de la crise, l’État aurait travaillé étroitement avec les organisations professionnelles et les collectivités et nous sommes convaincus qu’ensemble nous aurions pu éviter les incohérences et le flou qui règne depuis le mois de mars. Ce qui n’est pas arrivé. Malgré la mise place de la cellule d’accompagnement des festivals par la DGCA, qui a œuvré dans la mesure de ses faibles moyens et avec laquelle nous avons beaucoup collaboré, la crise sanitaire a renforcé le sentiment d’abandon par l’État.

Depuis 2 ans, nous interpellons le ministère de la Culture et demandons la réactivation de cette mission vitale pour l’avenir des festivals. A ce jour nous n’avons pas eu de réponse. Nous avons rédigé une lettre ouverte dès l’annonce de la mise en place de la cellule d’accompagnement des festivals, pour demander qu’elle devienne une véritable « mission Festivals ». Le 12 juin, avec nos partenaires, nous avons de nouveau sollicité l’État et les collectivités territoriales à ce sujet. Il y a un grand vide et on aimerait qu’il soit comblé.

« Nous souhaitons de la visibilité et la reconstruction d’une politique culturelle nationale ambitieuse »

Quelles sont vos principales demandes pour favoriser la reprise de l’activité de vos adhérents ?

La période que nous venons de traverser a mis en lumière la place incontournable des festivals dans le développement territorial et artistique du pays ; elle a aussi révélé leur grande vulnérabilité.

Ce que nous souhaitons avant tout c’est de la visibilité, de la cohérence et la reconstruction d’une politique culturelle nationale ambitieuse avec des mesures financières adaptés, et une prise en compte des spécificités des festivals.

Comme d’autres secteurs qui reprendront leurs activités quasi normalement, les festivals doivent aussi pouvoir se projeter, se reconstruire. On doit passer rapidement du tout sécuritaire à un assouplissement rapide des règles sanitaires.

Nous demandons surtout la réactivation immédiate de la mission Festivals au sein du ministère de la Culture et sa dotation des moyens nécessaires pour devenir un véritable outil. Outil de réflexion pour la reconstruction d’une politique culturelle partagé avec les politiques territoriales, d’accompagnement pour une reprise immédiate, de production de connaissances pour notre secteur, de partage et de concertation avec les organisations professionnelles, l’état et les collectivités territoriale, de gestion du Fonds festivals annoncé par le Président le 6 mai et qui n’est toujours pas effectif.  

Au-delà du secteur des festivals, je suis convaincue que le moment est propice à la réflexion, au travail collectif et à la concertation pour la création d’un plan de relance sérieux pour tour l’écosystème du spectacle vivant.

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