Afrique : les sociétés d’auteurs à l’épreuve du développement des perceptions

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La protection des droits des créateurs a été l’un des thèmes majeurs du 1er Forum des Créateurs Africains organisé par la CISAC et par l’ONDA à Alger la semaine dernière. L’Afrique s’efforce de combler son retard en matière de droit d’auteur et de droits voisins. Dans une série d’articles exclusifs, CultureBiz décrypte les principales entraves à la collecte des droits sur le marché africain et la stratégie mise en œuvre par les sociétés africaines pour y palier.

Les chiffres sont sans équivoque. Sur environ 9 milliards d’euros de droits perçus en 2016, seulement 67 millions d’euros ont été collectés sur le continent africain soit moins d’1% des sommes. La musique, le spectacle, le cinéma et l’audiovisuel sont des économies informelles dans la plupart des pays africains. A la conjoncture économique s’ajoutait une offre légale quasi-absente de la majorité des marchés faute de distributeurs, de magasins de biens culturels et des plateformes. Un état de fait qui a permis l’émergence du piratage dans les habitudes de consommation, d’abord par la copie des cassettes puis des CD et DVD et depuis quelques années du téléchargement illégal qui a littéralement explosé avec le déploiement de mobile. D’après les données de la GSMA, l’Afrique subsaharienne totalisait 436 millions d’utilisateurs de mobiles au 2ème trimestre 2017 soit 44% de sa population et 9% du total mondial. Le rôle historique de la Culture aux quatre coins du continent fait aussi partie des éléments qui expliquent, selon les professionnels africains, l’absence d’une véritable économie. « L’Afrique donne une image d’un continent où la Culture ne produit pas de valeur économique à la hauteur de son potentiel, quand on connaît sa richesse culturelle. La pluparts des activités sont donc informelles, aussi parce qu’en Afrique, la Culture est avant tout un vecteur de lien social, et non une industrie. Des activités comme l’organisation de spectacles ou le statut de l’artiste ne sont pas structurées alors on a du mal à appréhender leur valeur économique et la valeur qui est créée sur les territoires » analyse Irène Vieira, Présidente du Comité Africain de la CISAC composé de 38 sociétés d’auteurs.

Exploitation illicite des œuvres

Avec respectivement une trentaine de millions d’euros de droits collectés en 2016 pour l’une et plus d’une quinzaine de millions d’euros pour l’autre, les sociétés sud-africaine et algérienne concentrent l’essentiel des collectes de droits d’auteur et de droits voisins en Afrique. Mais l’Algérie est loin d’être épargnée par l’exploitation illicite des œuvres. Au piratage des consommateurs, qui prive les créateurs de revenus considérables mais difficiles à évaluer, s’ajoute le non-paiement des droits par les diffuseurs que sont les télévisions et les radios. En Algérie, l’ONDA estime à 200 millions de dinars le manque à gagner pour les créateurs soit 1,4 millions d’euros par an au titre des droits qui devraient être payés par les diffuseurs. En 2016, sur une soixantaine de chaînes de télévision exploitant des œuvres, seules deux étaient dotés d’autorisation par le biais d’accords signés avec l’ONDA. L’office national du droit d’auteur en Algérie a d’ailleurs adressé plusieurs mises en demeure aux diffuseurs l’an dernier pour les sommer de s’acquitter des droits dus aux créateurs. Même constat en Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire où les collectes sont largement inférieures à l’exploitation des œuvres. « Nous estimons être à 40% du potentiel des collectes de droits. Il y a plusieurs domaines dans lesquels nous ne parvenons pas à faire respecter le droit d’auteur. Certaines utilisations des œuvres sans paiement des droits d’auteur en contrepartie sont organisées par des acteurs étatiques. Il y a aussi l’économie informelle qui rend moins visible l’utilisation faite des œuvres sans que les droits soient payés » précise Irène Vieira, également Directrice du BURIDA, Bureau du droit d’auteur ivoirien. La lutte contre l’exploitation illicite des œuvres faite par le biais de copies, de téléchargement illégal et de diffusion est compliquée à mettre en œuvre. D’autant que les sociétés d’auteur africaines font face à un manque de moyens humains et financiers. « Il nous faudrait deux fois plus de moyens » estime Irène Vieira.

La copie privée, un relais de croissance potentiel

Les sociétés d’auteur africaines sont en quête de perspectives de croissance pour la collecte des droits. Malgré l’économie informelle qui entrave la construction d’un écosystème viable pour les secteurs de la culture, les collectes de droits commencent à évoluer. Pour Irène Vieira, « il y a des indicateurs rassurants puisqu’en 2014 et 2015 les collectes ont tout de même augmenté de 15% d’après les données de la CISAC. En 2010, les collectes du bureau ivoirien du droit d’auteur étaient de 800 millions de francs CFA soit 1,2 million d’euros, aujourd’hui nous en sommes à plus de 2,5 milliards soit 3 millions d’euros et d’ici fin 2017 nous devrions passer la barre des 3 milliards de francs CFA soit 4,5 millions d’euros. Les collectes sont donc en évolution constante ». Outre la meilleure efficacité dans la collecte des droits, la copie privée se présente également comme un relais de croissance au potentiel considérable. L’Afrique subsaharienne devrait réaliser la croissance la plus rapide au monde en atteignant 535 millions d’abonnés aux opérateurs télécoms, tandis que le marché du mobile devrait peser 142 milliards de dollars contre 110 milliards en 2016, d’après les prévisions de GSMA publiées en juillet dernier. Les perceptions de redevance au titre de la copie privée pourraient donc être colossales. La copie privée constitue d’ores-et-déjà une part importante des sommes collectées par certaines. Et dans certains pays comme au Burkina-Faso (457 000 de droits collectés en 2016), elle  pourrait permettre aux sociétés d’auteur de doubler voire de tripler leurs perceptions. A condition que les organismes de gestion collective africains puissent en avoir la capacité. « Sur les 38 sociétés d’auteurs membres du Comité Africain de la CISAC, seulement quatre ont la capacité de percevoir au titre de la copie privée. Or, les achats de nouveaux appareils technologiques pourraient améliorer l’efficacité de la collecte des sociétés africaines. Il faut donc que les législations soient adaptées pour permettre cela…» précise Irène Vieira, sa Présidente. C’est précisément pour y palier que les sociétés d’auteurs des pays concernés, avec l’appui du Comité Africain de la CISAC, appellent de leurs vœux l’évolution du cadre législatif pour optimiser leurs perceptions. La copie privée a largement été discutée au Forum des Créateurs Africains à Alger. L’objectif affiché par le Comité Africain de la CISAC est que d’ici le courant de l’année 2018, plusieurs pays adoptent des lois pour instaurer la redevance pour copie privée au bénéfice des sociétés d’auteurs africaines.

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