Streaming : croissance des écoutes, influence, diversité, enjeux de la popularité des playlists

7
minutes

La croissance des abonnements et des volumes d’écoutes sont deux facteurs majeurs illustrant la progression du streaming dans les habitudes de consommation de la musique. Pour proposer à leurs abonnés une offre toujours plus qualitative, pour en capter de nouveaux et surtout pour fidéliser l’ensemble, l’offre des plateformes de streaming est en véritable mutation avec un renforcement de leur rôle d’éditeur et une amélioration constante de leurs interfaces. Les plateformes de streaming deviennent des médias au point d’être apparentées par certains acteurs à des diffuseurs. Leur rôle prescripteur est maintenant incontestable.

La percée du streaming a pour effet une rupture des silos historiques rencontrés sur l’économie de la musique à l’acte (physique, téléchargement) et une ouverture du marché. En matière de consommation, plusieurs enjeux découlent de cette mutation du marché de la musique comme l’accès aux consommateurs, les rapports entre diversité et concentration ou encore la juste concurrence. Autant de sujets amenés à progresser parmi les priorités de l’industrie musicale. En France notamment, les acteurs politiques et les institutions commencent à s’interroger sur le sujet. Les acteurs de la filière, et en particulier les indépendants qui voient en chaque relai de croissance l’opportunité de consolider leur position sur le marché, sont soucieux que les schémas de concentration historiques comme au sein des playlists des radios ne se reproduisent pas sur les plateformes de streaming. Le marché de la musique est toujours plus concurrentiel avec une offre abondante et un paysage médiatique à la fois restreint et saturé pour la musique. Spotify, Deezer, Apple Music font partie intégrante de la fenêtre d’exposition complémentaire ou alternative pour les artistes et pour les productions en matière de diffusion. Le rôle prescripteur des principales plateformes de streaming se constate régulièrement, par exemple lors de leurs campagnes de promotion pour des sorties d’albums « évènements » afin de cibler les fanbases des artistes. Surtout, il se matérialise au quotidien par les playlists, ces sélections entre 20 et 100 titres autour d’un thème : « nouveautés », « tubes du moment » ou encore « hits de demain » présentes et différentes sur chaque plateforme. Ces playlists sont très plébiscitées par les abonnés et de facto très convoitées par les maisons de disques et labels indépendants. Les cinq premières playlists de Spotify, « Today’s top hits » (21,2 millions d’abonnés), « Global top 50 » (12,9 millions), « Viva Latino » (8,6 millions), « Baila Reggaeton » (8,3 millions) et « Hot Country » (5 millions) cumulent plus de 56 millions d’abonnés. Les 50 premières playlists sur Spotify ont toutes plus de 2 millions d’abonnés et les 100 premières (toutes à plus d’1,3 millions d’abonnés) sont toutes éditées par Spotify. Sur Deezer, Spotify et Apple Music, les playlists dédiés aux thèmes « charts », « tubes », « hits de demain », et aussi sur les musiques les plus populaires (rap, pop, électro) ont une telle portée qu’elles influent clairement sur les tendances et sur les succès. Le contenu de l’étude « Platforms, promotion, and product discovery: evidence from Spotify playlists » menée par son Centre de recherche de la Commission Européenne le confirme en tous points, au moins pour Spotify. Et les plateformes Deezer et Apple Music ayant la configuration, le constat peut être généralisé. Les plateformes offrent maintenant un panorama de l’actualité musicale et des charts. Et la Commission Européenne, très investie sur les questions de concurrence et de diversité, s’intéresse aux effets produits par les entrées en playlists sur l’exploitation des titres.

Des streams multipliés par 3 pour la playlist « Today’s top hits »

L’entrée d’un morceau au sein d’une des playlists les plus populaires de Spotify a clairement un effet dopant sur son volume d’écoutes. L’étude recense les données relatives au nombre d’abonnés d’un morceau et au nombre de streams avant, pendant et après que le titre ait été au sein des quatre premières playlists de la plateforme européenne. Sur le marché américain, le nombre d’abonnés et le volume de streams sont les deux indicateurs directement impactés par l’ajout du morceau dans d’une playlists phare de Spotify comme « Today’s Top hits » ou « Global Top50 ». A titre d’exemple, l’étude démontre que le titre ‘What if’ de l’artiste de country américain Kane Brown, a vu son nombre d’abonnés passer de 11,6 à 29,2 millions à compter de son ajout dans la playlist « Today’s top hits » le 5 octobre 2017 jusqu’au 29 octobre. A sa sortie de la playlist le 2 novembre 2017, son nombre d’abonnés est passé de 30,8 à 10,8 millions. Toujours sur le même cas de figure, en termes de volume d’écoutes, le nombre de streams était de 200 000 par jour avant l’entrée en playlist et a instantanément gagné 100 000 streams quotidiens pour en reperdre tout autant lors de sa sortie de la playlist le 2 novembre 2017. L’impact de l’ajout d’un titre dans la très populaire « Today’s top hits » a été mesuré par le biais d’un coefficient par le centre de recherche de la Commission Européenne. Il ressort de l’étude que l’entrée d’un titre au sein de cette playlist s’accompagne d’un coefficient de 3,3 en termes de gain de streams, tandis qu’il est de 2,7 en termes de perte de streams. Toujours selon l’étude, le positionnement d’un single dans cette playlist aux quelques 21 millions d’abonnés génèrerait près de 20 millions de streams, ce qui rapporterait entre 116 000 et 163 000 dollars soit jusqu’à 140 000 euros de la part de Spotify. Au-delà du streaming, les playlists ont également avoir un certain impact sur l’ensemble de l’exploitation des titres. En France comme sur les principaux marchés, les artistes les mieux classés dans les playlists regroupant les tubes du moment sont régulièrement dans le haut des charts. L’étude de la Commission Européenne confirme aussi cette relation de cause à effet avec pas moins de 82 titres sur 100 présents dans le top iTunes US entre le 1er avril et le 31 décembre qui ont également été dans la playlist « Today’s top hits ».

71% des streams du top Global 200 pour les productions américaines sur Spotify en 2017

Les playlists étant par définition des sélections limitées de titres, la question de la diversité des productions se pose d’emblée. Les Présidents respectifs des filiales françaises d’Universal, Sony et Warner s’accordent à dire qu’ils ont considérablement investi en moyens humains et financiers ces deux dernières années pour développer un savoir-faire sur le streaming et plus largement sur le digital. Faire émerger un titre dans les playlists majeures des plateformes payantes s’inscrit maintenant dans la stratégie des labels, à l’instar d’une entrée en rotations sur les radios leaders. Certains décideurs de radios, ainsi que d’autres acteurs de la filière, seraient favorables à ce que le cadre réglementaire afférant aux quotas soit également élargi aux plateformes de streaming. Le dossier se posera certainement à un moment donné, et vraisemblablement, les playlists devraient être dans le collimateur. Pour l’heure, la question de la diversité est aussi abordée par l’étude de la Commission Européenne qui révèle que sur les 19 000 titres dans la playlist « New Music Friday » en 2017, la part de productions indépendantes s’élève à 47%. Néanmoins, malgré leur présence à quasi-équité avec les majors, la part des streams pour les labels indépendants tombe à 27%. Un rapport entre majors et indépendants qui est encore moins équilibré sur le plan global. A l’échelle mondiale, les productions indépendantes ont représenté 25% des titres les plus écoutés sur Spotify en 2017, avec une part de streams de 20%. Et sur les quelques 1 700 titres présents dans le classement quotidien « Global 200 » de Spotify, 68% étaient des productions américaines. La musique made in US a capté pas moins de 71% des streams, sur les 200 titres les plus écoutés en 2017. Un indicateur supplémentaire de la domination américaine sur l’industrie de la musique mondiale.

 

Partager cet article