Malika Séguineau – PRODISS : «L’ambition pour la musique va de pair avec des moyens supplémentaires»

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Le PRODISS, syndicat des producteurs, diffuseurs, festivals et salles de spectacle, s’impose maintenant parmi les organisations professionnelles les plus actives au sein de la filière musicale. La refonte en cours des services aux adhérents, la démonstration du poids économique du spectacle, la revendication du titre d’industrie culturelle, la mise en avant du label des entrepreneurs de la musique et surtout la relance du projet de Maison commune de la musique l’ont confirmé au cours de l’année 2017. Dans cet entretien accordé à CultureBiz, Malika Séguineau clarifie les positions et demandes du syndicat sur les priorités du spectacle musical, du crédit d’impôt à l’export en passant par la sécurité. La Directrice Générale du PRODISS s’exprime également sur la concentration et évidemment la Maison commune de la musique, sujets clivants au sein de la filière.

CultureBiz : La mise en valeur de la contribution économique du spectacle musical et variété s’inscrit dans un véritable projet politique. Pouvez-vous résumer les grands objectifs de cette stratégie ?

Malika Séguineau : Nous avons pour ambition de donner plus de poids au secteur que nous représentons. Fédérer, développer, transmettre sont nos objectifs. La sûreté, l’export et le projet de Maison commune de la Musique sont nos dossiers prioritaires. Il y a maintenant un nouvel exécutif, de nouveaux députés et de nouveaux sénateurs. Nous nous appliquons donc à établir un nouveau réseau avec les parlementaires, et à travailler davantage avec les régions en allant à la rencontre des professionnels et politiques.

La concentration au sein du spectacle musical est régulièrement pointée du doigt par certains. Le PRODISS représente 53% de la billetterie et 67% du chiffre d’affaires du secteur. Pourquoi ne pas avoir abordé la concentration et la captation de valeur par les leaders et grands groupes dans l’étude menée par EY ?

La concentration est un phénomène que l’on observe dans le spectacle comme dans tous les secteurs. Ce n’est pas considéré comme négatif. Ces mutations sont loin d’être terminées. Il est vrai que les grandes jauges et les grandes tournées représentent la majeure partie de la billetterie. Mais c’est aussi extrêmement vertueux parce que ce sont ces tournées qui permettent au CNV de remplir sa mission avec les commissions d’aides sélectives qui viennent aider des structures plus petites. Ce sont donc les grands acteurs du secteur, dont la majeure partie sont membres du PRODISS, qui soutiennent les quelques 1 800 affiliés au CNV. Chacun a un rôle à jouer sur la chaine de valeur. Au PRODISS nous veillons à ce que les équilibres soient maintenus. Je dirais aussi que le fait qu’il y ait des rachats et des investissements montre que le spectacle et la musique sont des secteurs très attractifs.

« Le crédit d’impôt a un effet fort sur l’emploi et sur le développement des artistes »

Le Président du PRODISS, Luc Gaurichon, rappelle régulièrement la faible marge de rentabilité des entreprises qui serait comprise entre 1,5% et 2%. De quels leviers disposent les entrepreneurs du spectacle pour l’améliorer ?

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Les dispositifs que nous sollicitons, comme le crédit d’impôt récemment entré en application, permettront, à terme, d’augmenter cette trop faible marge de rentabilité, et renforcer la capacité d’investissement… donc la pérennité des entreprises. Le crédit d’impôt permet ainsi aux entreprises d’aller mieux économiquement et donc de développer davantage de projets artistiques, de renforcer l’accompagnement des artistes. L’une des problématiques de nos entreprises, qui sont fragiles, est l’absence de trésorerie et une capacité d’autofinancement très faible. Elles se mettent en danger sur chaque projet. Elles ont donc beaucoup de difficultés à assumer les crises. Or les attentats ont constitué une crise. Les entreprises ne sont pas en capacité de l’assumer sans accompagnement. Le projet d’une Maison commune de la musique va en ce sens. Ce trait d’union pour nos entreprises leur permettrait d’être mieux accompagnées pour à terme augmenter leur capacité à résister aux crises.

Les entrepreneurs du spectacle s’accordent sur la nécessité d’aller plus loin sur le dispositif du crédit d’impôt mis en place en 2016. Quels en sont les premiers effets et retours ?

Le crédit d’impôt est un pari gagnant pour les entreprises et pour l’Etat. Nous sommes convaincus de ses effets vertueux. Ce dispositif a un effet fort sur l’emploi et sur le développement des artistes. Les entreprises du PRODISS sont rentrées dans la logique du crédit d’impôt et ont, pour certaines, d’ores et déjà augmenté leurs investissements dans les projets d’artistes en développement avec ce soutien. L’année prochaine, nous produirons une étude d’impact. Il faudra ensuite réfléchir à faire progresser le dispositif. Sécuriser, renforcer le crédit d’impôt spectacle musical ou de variété est important pour nos entreprises, pour le développement des projets artistiques et pour la filière.

Dans le PLF, il est prévu de reconduire le dispositif phonographique pour 3 ans, j’en suis ravie. A à partir du moment où certaines entreprises de la filière vont mieux, c’est toute la filière qui va mieux.

« La musique à l’export est un vrai levier de croissance et un outil de rayonnement pour la France »

Les jauges de remplissage des salles sont une préoccupation élémentaire pour le secteur. Le spectacle reste loin d’être mature en matière de billetterie. Avez-vous orientations à ce niveau ?

C’est une priorité pérenne et permanente. Nous avons ouvert des réflexions sur la fidélisation des publics et sur la diversification des offres aux publics. Sur la billetterie, notre dossier reste la lutte contre le marché noir. Pour l’accès aux données, nous devons poursuivre les discussions avec les distributeurs de la billetterie. Mais en tout état de cause, aujourd’hui il y a de nouveaux acteurs sur ce marché et il faut travailler avec ces start-up qui développent des solutions de traitement de la data pour que les solutions de billetterie soient au plus près des besoins de nos professionnels. Ces données sont un vrai levier de croissance, mais encore faut-il y accéder et être en mesure de les traiter pour les exploiter au mieux.

L’export est plébiscité par les entrepreneurs du spectacle autant que par les acteurs de la musique enregistrée. Pourriez-vous détailler vos impératifs en la matière ?

On est à un momentum où nos artistes ont un vrai potentiel à l’international. Nous réfléchissons à des moyens de lever tous les freins à l’export du live. Le Bureau Export a évolué en tant que dispositif filière, il est un prototype de ce que pourrait être une Maison commune de la musique. Producteurs de spectacles, producteurs de phonogrammes, artistes et éditeurs travaillent ensemble. La scène a pris une place importante dans la carrière d’un artiste, en France comme à l’international. Nous avons des préoccupations spécifiques sur l’export. Lorsque l’on sort du territoire, on emmène des équipes techniques et artistiques que l’on salarie. Chaque date à l’export nous contraint à résoudre de nombreuses problématiques sociales et fiscales, souvent d’une complexité extrême pour des TPE. Il s’agit pour nous d’avoir davantage de relais sur les territoires pour accompagner nos entreprises dans leurs démarches. On a en outre besoin de programmes d’aide plus ambitieux avec des moyens renforcés. La musique à l’export est un levier de croissance et un outil de rayonnement pour la France. La filière a d’ailleurs été satisfaite de l’annonce des moyens supplémentaires alloués au Bureau Export, mais pour nous, il s’agit d’une première étape. La musique doit obtenir plus car la musique a un potentiel fort.

« Nous attendons le temps de la décision politique pour la Maison commune de la Musique »

Avez-vous des attentes particulières concernant la sécurité ?

La sûreté est une préoccupation constante pour nos membres. Nous avons beaucoup été accompagnés en 2016 dans le contexte post-attentats et nous demandons la poursuite des échanges engagés. Les questions de sûreté impliquent une coresponsabilité entre les professionnels et l’Etat. L’annonce d’une cellule interministérielle – que nous avions appelée de nos vœux – est une excellente nouvelle. C’est important qu’il y ait des lieux de rencontres permanents entre l’Intérieur, la Culture et les professionnels. Nous avons également besoin de réfléchir à ce que deviendra le Fonds d’urgence qui a accompagné les entreprises du secteur depuis décembre 2015. Au PRODISS, nous sommes convaincus que la question de la sûreté doit être intégrée à l’organisation générale de nos entreprises et que nous devons aujourd’hui réfléchir à des dispositifs de formation adaptée. Nous regardons également les pratiques et expériences en Europe, nous échangeons avec nos homologues sur les bonnes pratiques.

Le PRODISS est à l’initiative du retour du projet de la Maison commune de la musique. Quels devraient en être les fondations sur le plan budgétaire et fonctionnel ?

Nous avons beaucoup contribué aux discussions lors des auditions sur le projet de Maison commune de la Musique. Nous avons réservé le détail de nos propositions à Roch-Olivier Maistre. Nous attendons maintenant la remise de son rapport et ensuite, la décision politique. Nous savons qu’il y a des réticences, des réserves et que demeurent des obstacles. Au PRODISS, nous avons une conviction, celle de la nécessité de refondre le modèle économique de la musique pour s’adapter aux mutations économiques qui traversent le secteur. Nous proposons que cet établissement se construise à partir du CNV, établissement public existant. Je rappelle que le CNV a vu ses missions considérablement élargies, et qu’il a su s’adapter. Mais avant toute chose, nous posons un préalable, un opérateur unique de la Musique ne pourra exister qu’avec des ressources nouvelles. Nous avons d’ailleurs évoqué la piste de la taxe YouTube, et même si c’est une rentrée jugée faible a priori, c’est aussi une question de principe. Sur les programmes, il sera opportun de réfléchir à des programmes transversaux et de mieux faire converger les partenaires de la filière. L’ambition politique va de pair avec de nouveaux moyens alloués à musique. Il est aujourd’hui temps de donner un signal, la musique est le seul pan des Industries Culturelles et Créatives à ne pas avoir son opérateur. C’est aussi le moment pour nous, acteurs de la filière musicale, de nous unir et de montrer que nous savons travailler ensemble.

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