L’extension de licence légale aux webradios jugée conforme à la Constitution

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La loi « Liberté de création » aura, décidément, été davantage un texte clivant que rassembleur au sein de la filière de la musique. Le fondement de son article 13, venu élargir le régime de la licence légale aux webradios, avait été dénoncé par les producteurs. De quoi mettre en émoi les représentants  respectifs des radios en ligne et des artistes. Saisi sur une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) transmise par le Conseil d’Etat en mai, le Conseil Constitutionnel a tranché dans une décision publiée le 4 août dernier.

La décision du Conseil Constitutionnel est un sérieux revers pour les producteurs. Ils étaient pourtant convaincus de la légitimité de leur action fin juin. « Il y avait deux conditions pour que la QPC soit transmise par le Conseil d’Etat : qu’il y ait un lien entre l’action instruite devant eux et la QPC, ce qui était le cas, et que la question soit sérieuse, ce qui était également le cas » commentait Marc Guez, Directeur Général de la SCPP. La Société Civile des Producteurs de Phonogrammes (SCPP) et la Société civiles des Producteurs de Phonogrammes en France (SPPF) souhaitaient que le défaut de conformité vis-à-vis de la Constitution de l’alinéa 3 de l’article 214-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, tel que rédigé suite à la loi LCAP, soit mis en exergue. Leur argumentaire se fondait sur une « privation du droit de propriété » engendrée par la loi LCAP, qui stipule que les ayants-droit ne peuvent s’opposer à la diffusion de phonogrammes opérée par les webradios à des fins commerciales. Un principe garanti par la DDHC de 1789 en ses articles 2 et 17. En parallèle, les producteurs avançaient que l’extension du régime de la licence légale aux webradios constituait aussi une entrave à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre. En cause, la possibilité de négocier le montant afférent à la rémunération due en contrepartie de la diffusion des phonogrammes qui se voit réduite à néant. Des arguments sur la base desquels la SCPP était plus ou moins confiante. « Nous ne sommes pas certains de gagner malgré un dossier solide » déclarait Marc Guez son Directeur Général.

Motif d’intérêt général

C’est une toute autre lecture qui a été faite par le Conseil Constitutionnel lors de la séance du 3 août dernier. Les producteurs ont clairement été renvoyés à leur copie en ce qui concerne le principe de constitutionnalité des dispositions instaurées par la loi LCAP. Les sages ont considéré que la privation de propriété n’était pas caractérisée dans la mesure où, telles que rédigées suite à la loi LCAP, « les dérogations au droit exclusif accordées par l’article L214-1  du Code de la Propriété intellectuelle ne s’appliquent qu’à certains modes de diffusion dont les artistes-interprètes et les producteurs ont déjà accepté la commercialisation ». Concernant les atteintes à la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle, le Conseil Constitutionnel a estimé que le maintien du droit exclusif pour les webradios dédiées à un même artiste / compositeur / auteur, ainsi que pour les services interactifs permettant au public de choisir la programmation, confirme le caractère exceptionnel de la dispense d’autorisation accordée aux webradios. Qui plus est, le Conseil Constitutionnel a jugé légitime l’extension de la licence légale aux webradios du fait de l’intérêt général. Un motif caractérisé par la volonté de développer l’accès des webradios aux catalogues dans l’optique de diversifier l’offre des répertoires de phonogrammes. En somme, l’extension de la licence légale aux webradios est considérée comme fondée, dès lors qu’elle ne s’applique qu’à des plateformes de diffusion non interactive, et n’entraine pas de distorsions de marché avec les plateformes soumises au régime de droit exclusif.

Rémunération équitable

La décision du Conseil Constitutionnel était attendue de toutes parts. De prime abord par les acteurs de la radio en ligne qui étaient évidemment favorables au maintien du régime de la licence légale. De nouveaux entrants qui s’appliquent à étoffer leur offre pour proposer une alternative aux radios hertziennes et répondre à la consommation de musique en ligne toujours plus croissante. La décision du Conseil Constitutionnel a également de quoi rassurer les radios. Plusieurs d’entre elles redoutaient un objectif masqué des producteurs de phonogrammes de remettre en cause le régime de licence légale applicable aux radios hertziennes. Une intention démentie par les producteurs fin juin. « Ce n’est pas le but. Les radios ont été mises dès le départ sous le régime de la licence légale. Le webcasting a été créé en droit exclusif et s’est vu rétrogradé par la loi LCAP en droit à rémunération » justifiait Marc Guez, Directeur Général de la SCPP. Les artistes-interprètes représentés par la Spedidam et l’Adami, qui sont intervenus dans le dossier courant juin, étaient également sur le qui-vive. L’action de la SCPP et de la SPPF était vue comme une entrave supplémentaire au partage de la valeur. La Spedidam et l’Adami l’avaient interprété une tentative visant à affaiblir la rémunération équitable pour avantager les producteurs. Elles se sont félicitées de la décision du Conseil Constitutionnel dès sa publication. L’Adami a salué « le partage des droits qui sera désormais parfaitement équitable entre tous les artistes et les producteurs, quel que soit le vecteur technique de radiodiffusion », « l’accès facilité aux catalogues » et l’opportunité pour « le marché de la radio sur internet qui pourra se développer au bénéficie de la diversité culturelle ». La Spedidam a profité de cette décision pour déclarer que « l’industrie phonographique ne cesse de développer une stratégie visant à réduire les possibilités pour les artistes interprètes de bénéficier de leurs droits, et tente en permanence de renforcer son contrôle sur le marché de la musique aux dépens des créateurs et du public ». Les producteurs n’ont de leur côté pas encore communiqué. Il faut dire que la Question Prioritaire de Constitutionnalité portée par la SCPP et la SPPF s’inscrivait dans le cadre d’une demande plus large et sur laquelle le Conseil d’Etat sera amené à statuer prochainement.

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