L’équité dans les pratiques contractuelles compliquée par les divergences de stratégies entre plateformes et producteurs

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« L’amour dure trois ans ». L’accord Schwartz qualifié d’« historique » lors de sa signature le 2 octobre 2015 aura duré tout autant. Il est arrivé à échéance dans la plus grande indifférence. La trajectoire des engagements mutuels des producteurs et des plateformes et ceux des producteurs vis-à-vis des artistes est tout de même censée se poursuivre puisqu’elle a été entérinée par la loi LCAP. L’accord n’a cependant pas fait l’objet de discussions entre les signataires pour décider de son prolongement ou de son adaptation. Les producteurs et les plateformes maintiennent avoir pour volonté commune la construction d’un marché de la musique en ligne équitable. Mais les deux parties convergent difficilement sur la voie à emprunter pour y parvenir.

Deux approches radicalement différentes sont privilégiées pour la mise en place de bonnes pratiques contractuelles entre éditeurs de services en ligne et producteurs de phonogrammes. D’un côté, celle des plateformes de streaming qui souhaitent un Code des usages pour encadrer les relations contractuelles. « La signature des ‘13 engagements de la musique en ligne’ avait permis de corriger certaines anomalies qui étaient ensuite réapparues lorsqu’ils avaient pris fin. L’accord Schwartz a confirmé que ces accords ont des effets positifs indéniables pour nous les plateformes, notamment d’avoir des relations plus équilibrées avec les producteurs. Or nous sommes à une période cruciale avec l’accord Schwartz qui pris fin le 2 octobre sans être reconduit. Il est temps d’avoir un code des usages sur ces thématiques, pour le bien de l’industrie. Pas juste pour Deezer, qui a un statut fort, mais aussi et surtout pour les startups membres de l’ESML » estime Ludovic Pouilly, Président de l’ESML. Une demande qui n’est pas partagée par les producteurs du SNEP qui privilégient la négociation comme sur tous les enjeux relatifs aux contrats. « L’accord est arrivé à échéance mais cela ne veut pas dire qu’il ne s’applique plus du jour au lendemain. Il a mis en place des pratiques sur lesquelles il n’est pas question de revenir. Les engagements perdurent dans la pratique contractuelle. Et nous préférerons toujours la liberté contractuelle permettant d’accompagner le marché de manière souple et adaptée à un encadrement qui viendrait le rigidifier. Nous croyons aux vertus du dialogue parce que nous partageons un objectif commun qui est de dynamiser le streaming audio » temporise Alexandre Lasch, le nouveau Directeur Général du Syndicat National de l’Edition Phonographique qui compte Universal, Sony et Warner dans ses rangs. Le document de synthèse de l’accord Schwartz publié par le Ministère de la Culture au lendemain de l’accord indiquait la mention suivante : « les producteurs et les plateformes s’engagent via un code des usages à de bonnes pratiques contractuelles visant notamment l’ouverture du marché et l’émergence de nouvelles offres plurielles et diversifiées ». La signature d’un Code des usages était donc à tout le moins envisagée pour être un potentiel prolongement de l’encadrement des relations contractuelles entre les deux parties et matérialisé par l’accord Schwartz. D’après les deux parties, l’ensemble des engagements pris était ensemble uniquement valable pour la durée de validité de l’accord, et l’établissement d’un Code des usages n’en faisait pas partie. Depuis, le scénario des « 13 engagements pour la musique en ligne » signés en 2011 s’est reproduit et aucun bilan n’ayant été fait en vue d’une éventuelle reconduction, les engagements n’ont pas été prolongés.

Une ébauche du Code des usages produite par l’ESML

Le syndicat des Éditeurs de Services de Musique en Ligne (ESML), qui représente notamment Deezer, Spotify et Qobuz avait pris des initiatives pour éviter la caducité de l’accord. Le Médiateur de la musique avait été sollicité par les plateformes dès le printemps pour tenter de faire converger les deux parties vers une signature d’un Code des usages. Les thématiques que les plateformes souhaiteraient formaliser dans un Code des usages, de même que les objectifs associés, ont été communiqués aux producteurs par l’intermédiaire de Denis Berthomier. Dans le contenu du document, resté confidentiel, figuraient notamment les thématiques des conditions d’exploitation, de la diversité des catalogues, de l’accès aux catalogues, ou encore du soutien aux offres légales et à l’innovation des services. « Nous souhaitons définir des objectifs et des engagements mutuels relatifs à la disponibilité des catalogues. L’ESML compte parmi ses rangs des startups et certaines plateformes ont des difficultés d’accès aux catalogues. Des propositions sont aussi faites pour préserver l’indépendance de l’éditorialisation, à laquelle les labels indépendants sont très attachés. L’innovation est aussi un domaine sur lequel nous devons nous renforcer pour continuer à être performants et compétitifs. Nous pensons que sans la diversité des acteurs et des modèles il y a un risque d’appauvrissement pour les catalogues et pour l’industrie » explique Ludovic Pouilly, Président de l’ESML. Les motivations des plateformes de streaming telles que présentées s’inscrivent en cohérence avec les dispositions de l’accord « pour un développement équitable de la musique en ligne ». Mais les orientations prises n’ont pas été unanimement bien accueillies par les producteurs. L’Union des Producteurs Français Indépendants (UPFI) dirigée par Jérôme Roger s’est de son côté montrée ouverte aux discussions auprès du Médiateur de la musique. En parallèle, le SNEP a manifesté des réticences avec l’orientation de certains points. « Nous ne savons pas exactement ce que contiendrait le Code des usages souhaité par l’ESML, les têtes de chapitre communiquées n’étant pas détaillées. Nous ne situons d’ailleurs pas exactement les frontières entre l’accord Schwartz avec ce Code des usages. De notre point de vue il serait préférable de construire sur le socle de l’accord de 2015 plutôt que de partir dans une nouvelle dialectique que l’on ne maitrise pas aujourd’hui » justifie Alexandre Lasch.

Vers une avancée des discussions

Le statut quo entre producteurs et plateformes n’est pas sans rappeler le volet de la Garantie de rémunération minimale. Mais contrairement à l’issue incertaine des négociations entre syndicats de producteurs et syndicats d’artistes, les discussions concernant les relations contractuelles entre les producteurs de phonogrammes représentés par le SNEP et l’UPFI et les éditeurs de services en ligne fédérés au sein de l’ESML s’orientent vers l’émergence d’un consensus. Les deux parties assurent que la non-reconduction de l’accord Schwartz n’est pas une source de tensions et qu’elles ne perçoivent pas de part et d’autre d’absence de volonté de dialoguer sur le sujet. Une ouverture de la part des producteurs qui ne préfigure pas encore une éventuelle signature d’un Code des usages. Le SNEP présidé par Olivier Nusse est particulièrement soucieux qu’aucune disposition n’aille à l’encontre de la liberté commerciale et a fait savoir qu’il serait très attentif au contenu des mesures proposées par l’ESML. En tout état de cause, le Médiateur de la musique, Denis Berthomier, interprète cette orientation comme un bon signal : « Le Code des usages n’est pas du droit normatif mais c’est du droit souple avec une valeur indicative. Les travaux à ce propos suivent leur cours et sont loin d’être achevés. Les acteurs de la filière musicale doivent exprimer leurs positions respectives sur la suite de l’accord Schwartz. Et l’État décidera s’il interviendra ou pas. Le sentiment d’avoir progressé est en tous cas présent ».

 

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