Le Centre National de la Musique entre ambitions, engagements et incertitudes

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Le CNM entre en scène pour structurer, renforcer, et unifier le secteur de la musique. L’engagement du Ministre de la Culture a régulièrement été affirmé durant la préfiguration. Mais malgré les annonces dans le cadre du PLF2020 et des réunions du comité de pilotage, pour la majorité des acteurs de la filière musicale, l’ambition affichée du Gouvernement contraste avec l’absence de visibilité et le manque de garanties en matière de financement, de gouvernance, de missions, de fonctionnement. Le Président du CNM est d’ores-et-déjà attendu sur tous les fronts. Décryptage des enjeux associés au lancement du Centre National de la Musique.

La création de l’établissement public à caractère industriel et commercial dédié à la musique est effective. La loi afférente a été publiée au Journal Officiel du 31 octobre après avoir été votée par le Parlement et promulguée par le Président de la République. A l’instar du CNC pour le cinéma et de l’audiovisuel, le CNM sera l’organe central de la politique et de l’économie du secteur. Le soutien de l’ensemble de l’écosystème, c’est-à-dire des métiers, des activités et pratiques composant la chaine de valeur à savoir la création, la production, ou encore la diffusion, le soutien à l’export, la gestion d’un observatoire de l’économie ou encore le soutien à la diversité sont parmi ses principales missions. Constitué à partir du Centre National de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) créé en 1986, le nouvel établissement en reprend mécaniquement toutes les missions et fonctions, éminemment structurantes pour l’écosystème de la musique live. Il en agrègera progressivement d’autres : celles du Fonds pour la Création Musicale (FCM), qui a aidé en 2018 plus de 700 projets en matière de création, production, édition, diffusion, formation et intérêt général, du Bureau Export chargé d’accompagner, de promouvoir et de soutenir la musique made in France à l’international, du CALIF qui fédère et soutient les disquaires, et de l’IRMA, centre d’informations et ressources. En parallèle, le CNM gèrera les dispositifs de crédits d’impôt en délivrant les agréments permettant aux sociétés de productions de phonogrammes et aux sociétés de production de spectacles d’en bénéficier pour les projets éligibles. « Avec le CNM, l’État va ainsi se doter d’un opérateur unique permettant de structurer une intervention publique globale, intégrée et cohérente, pour l’ensemble des acteurs de la musique » a déclaré Franck Riester, Ministre de la Culture.

Sanctuarisation des dispositifs existants et financements supplémentaires

Le Centre National de la Musique centralisera l’ensemble des missions, des dispositifs d’aides et des ressources sur l’économie du secteur. Une action globale qui par définition est assortie d’un certain nombre d’exigences et de besoins en matière de financement, de fonctionnement, de gouvernance. De manière unanime, les acteurs de la filière appelaient de leurs vœux que le Centre National de la Musique soit doté de moyens supplémentaires, en l’occurrence de 20 millions d’euros, un chiffre préconisé par le rapport des députés Pascal Bois et Émilie Cariou remis au Ministre de la Culture. « Nous attendons de la part du gouvernement une trajectoire claire, de l’ordre et de la responsabilité pour le CNM. Cela doit se faire dans la concertation, sans imposer de mesures de transfert de charges unilatérales » déclarait au MaMA 2019 Olivier Darbois, Président du PRODISS, premier syndicat d’employeurs du secteur du live avec un taux de représentativité de 54%. Et pour cause, à défaut de nouveaux moyens, les seuls crédits à disposition du CNM seraient les budgets cumulés du CNV, soit 32,8 millions d’euros de taxe sur les spectacles perçus en 2017, du FCM avec plus de 4 millions d’euros d’aides en 2018, et du Bureau Export doté de 5 millions d’euros. Or, le CNM a par définition vocation à soutenir le secteur de la musique dans son ensemble et sa diversité. Il fallait donc garantir la continuité des aides du CNV à destination des projets et acteurs de la musique live, puisqu’étant financées par la taxe affectée sur les billets de spectacles payée par les organisateurs de spectacles. Le Ministre de la Culture s’étant engagé à ce que les dispositifs de soutien du CNV soient sanctuarisés, les députés ont voté un amendement spécifiant que ces ressources leur seront dédiées jusqu’à la fin de l’année 2022. A l’heure actuelle, les acteurs de la filière musicale s’accordent à dire que les conditions optimales pour donner au secteur de la musique les moyens de ses ambitions et contribuer à le dynamiser ne sont pas réunies. Parmi les ressources extra-sectorielles, étaient plébiscitées la contribution des plateformes, par le biais de l’affectation d’une partie de la taxe sur les revenus publicitaires des sites mettant des vidéos en ligne (« taxe YouTube »), ou encore celle des télécoms via la taxe « TOCE ». La réponse apportée par le Gouvernement a été de libérer 7,5 millions d’euros dans le budget 2020, portant ainsi le budget du CNM à 50 millions d’euros pour sa première année. Et dans la foulée d’une rencontre informelle avec les acteurs de la filière au MaMA, Franck Riester s’est engagé à ce que le budget supplémentaire alloué par l’État atteigne 20 millions d’euros d’ici 2021. Néanmoins des interrogations subsistent en matière de financement du côté des organismes de gestion collective (SACEM, SCPP, SPPF, ADAMI, SPEDIDAM) qui financent toutes le FCM, le Bureau Export (à l’exception de la SPEDIDAM), l’IRMA et le CALIF pour plus de 6,5 millions d’euros. Tout l’enjeu des discussions entre le Président de CNM et les dirigeants des organismes de gestion collective sera de définir que la ventilation des budgets au sein de l’établissement s’inscrive en continuité de leur fonction initiale en étant dédiés à des programmes d’aides spécifiques pour les besoins des structures et projets. Pour autant, s’il n’est pas à l’ordre du jour que ces budgets bénéficient à l’ensemble des programmes d’aides sans prendre en compte leur finalité initiale, leur mise en cohérence sera un objectif de l’équipe dirigeante du CNM.

Structure organisationnelle et stratégie économique

Les chantiers sont multiples et chargés en enjeux pour Jean-Philippe Thiellay, Président du Centre National de la Musique à compter du 1er janvier 2020. Ils s’articulent en deux axes majeurs : la structure organisationnelle et la stratégie économique. La question de l’organisation est de prime abord liée à la gouvernance. L’annonce à venir de la composition du Conseil d’Administration, lors de la publication du décret statutaire après sa validation par le Conseil d’État, ne fera forcément pas l’unanimité auprès des organisations de filière musicale étant donné leur nombre et leur diversité. Toutes souhaiteraient y être représentées. Mais il faut l’admettre, les dissonances au sein du secteur la musique, en proie à des divisions et oppositions entre les secteur privé et subventionné, les majors et les indépendants, ou encore les groupes et les TPE ou associations, sont manifestement un frein à l’évolution et la consolidation de secteur en tant qu’industrie culturelle. Et ce tant sur le plan économique et politique. Des personnalités influentes et externes à l’industrie de la musique ont pour diverses raisons insisté pour que la gouvernance du CNM soit inspirée de celle du CNC, où sont absents les représentants des acteurs de la filière, et où l’État est majoritaire. Concernant l’organisation interne, tout reste à construire avec des équipes de plusieurs dizaines de salariés à fusionner, des synergies à créer, des ajustements d’ordre technique et informatique à mettre en place. Concernant le second axe majeur qu’est la stratégie, l’équilibre s’avère essentiel entre la logique de filière et la dimension vertueuse des différentes aides et la convergence des moyens existants et nouveaux avec les missions et objectifs du CNM.

Jean-Philippe Thiellay d’ores-et-déjà à l’épreuve

A peine désigné pour achever la mission de préfiguration du Centre National de la Musique, Jean-Philippe Thiellay est d’ores-et-déjà à l’épreuve de répondre aux inquiétudes des acteurs de la filière musicale par du concret. Sa nomination a suscité au mieux des réticences et au pire une levée de boucliers. En cause son profil puisqu’il arrive du secteur subventionné en tant que Directeur général adjoint de l’Opéra de Paris depuis 2014, et aussi le fait qu’une femme était souhaitée vu l’engagement du gouvernement en matière de parité et d’égalité. Plusieurs organisations de la filière musicales se sont étonnées de cette annonce, pointant une éviction de Catherine Ruggieri, chargée de préfigurer la mise en place du Centre National de la Musique depuis mars 2019. En première ligne le PRODISS, qui a d’emblée regretté « la rupture de continuité avec les travaux de préfiguration menés remarquablement par Catherine Ruggeri » et souligné que la trajectoire du CNM ayant été tracée par le rapport Bois-Cariou « c’est sur la base du contrat de confiance que les entrepreneurs de spectacles se sont engagés ». D’un point de vue factuel, la mission de préfiguration était dès le départ prévue pour prendre fin au 31 décembre 2019, sans garantie que l’inspectrice générale des affaires culturelles se voit confiée la Présidence du CNM bien que cela aurait été la suite logique et méritée son investissement. Jean-Philippe Thiellay ayant accédé à d’autres fonctions par le Premier Ministre Édouard Philippe, sa nomination en tant que Président du Centre National de la Musique, qui doit être approuvée par Emmanuel Macron, fait débat. Quels que soient les motifs ou les arbitrages, la stature de Jean-Philippe Thiellay, Conseiller d’État, pourrait être un atout pour défendre les intérêts du secteur de la musique au niveau politique, et permettre que le CNM soit structurant pour l’ensemble des acteurs et pour toutes les musiques. Mais le Président du CNM devra nécessairement prendre en considération les spécificités, problématiques et enjeux du secteur, des métiers et des pratiques. Et l’investissement constant des acteurs de la filière notamment fédérés au sein de Tous Pour La Musique (TPLM) devrait le maintenir en prise directe avec la filière, d’autant qu’il bénéficiera aussi l’expertise de Romain Laleix, Secrétaire général du Bureau Export après avoir été Conseiller ministériel, en tant que Directeur Général ou Directeur délégué du CNM après s’être vu confié la Vice-Présidence de la mission de préfiguration en juillet 2019. Autant de conditions sine qua non pour un lancement réussi de la maison-mère du secteur de la musique et convergeant avec les ambitions et objectifs à la fois définis par le Gouvernement et plébiscités par le secteur.

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