L’antinomie de l’exposition de la musique dans les médias

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Le retour de la croissance du secteur n’est, en réalité, pas l’information principale à retenir des chiffres 2016 du marché de la musique enregistrée présentés par le SNEP. L’inversion de la courbe, qui est évidemment à souligner, était connue dès janvier. Et se profilait dès le 1er semestre 2016. Réunie hier à Paris, la filière mesurait son enthousiasme. Elle garde bien en vue la multitude des batailles à mener. L’exposition de la musique dans les médias, rarement abordée, en fait partie.

La pérennité de la croissance de la musique enregistrée n’est pas encore acquise. Les pertes se sont élevées à 100 millions d’euros entre 2011 et 2015. Seuls 23 millions d’euros ont été recoupés en 2016. Avec près de 450 millions d’euros en 2016 (+5,4%), le marché a évidemment été impulsé par le streaming entre autres. Les producteurs en plébiscitaient les effets depuis 2015. Devant une partie de la filière et face à la presse, le Directeur Général du Syndicat National de l’Edition Phonographique a insisté quant à la nette progression du streaming par abonnement. L’on recensait fin 2016 3,9 millions d’abonnés, soit une hausse de 42%. Les revenus générés par le streaming payant composent maintenant plus du quart du marché. Comme cela a été évoqué récemment, la progression des souscriptions a clairement été dynamisée par les partenariats avec les opérateurs télécoms. De quoi temporiser les chiffres mis en avant par le Snep, bien que de toute évidence l’émergence du streaming dans les habitudes de consommation est flagrante et indiscutable.

Résistance du physique

En parallèle, le marché de la musique enregistrée doit également son salut au fait que la mécanique de baisse des ventes en physique se soit enrayée. C’est la grande surprise des chiffres de cette année 2016. Après avoir perdu 15% de sa valeur entre 2014 et 2015, c’est un très faible recul (-2,5%) qui a été constaté en 2016. Les ventes sur le support physique représentent encore près de 60% du marché soit 267 millions d’euros. Le vinyle a également contribué à cette stabilisation de la chute du physique. Mais surtout, les meilleures ventes de l’année 2016 ont en majeure partie été réalisées sur le marché traditionnel. Et pour cause, le marché de la musique enregistrée a bénéficié en 2016 de plusieurs sorties-évènements. Les albums de Renaud (700 000 ventes), de Céline Dion (+500 000) ou encore de M Pokora ont été respectivement les 1er, 2ème et 4ème meilleures ventes l’an dernier. Celui de Renaud (Parlophone/Warner) s’était écoulé à 275 000 copies en première semaine rien qu’en physique. Lors de la certification « disque de diamant » de celui de la chanteuse canadienne ce sont 495 000 albums qui avaient été vendus en magasins. M Pokora (TF1 Musique) a aussi réalisé une large majorité de ses ventes en magasins. Les deux albums des Kids United (Play On/Warner), classés aux 3ème et 4ème des meilleures ventes 2016 également. Et il en est de même pour Christophe Maé, Kendji Girac ou Fréro Delavega, également présents dans le Top 20. Les artistes de la pop urbaine, Maitre Gims et Soprano, ont quant à eux réalisé environ ¾ des ventes de leurs albums sur le physique. Une prédominance du support traditionnel pour ces artistes qui s’explique notamment par leur exposition dans les médias.

Progression de la diffusion francophone en radios

Le paysage des radios reste concentré. Les meilleures ventes d’albums 2016 se confondent avec les diffusions les plus importantes dans les médias. La musique est donc à la fois très présente dans les médias, mais cette exposition ne profite qu’à un nombre limité d’artistes. En 2016, Claudio Capeo, Fréro Delavega, Jain, Soprano, Amir et Céline Dion ont été parmi les quelques artistes français les plus programmés. Une exposition qui a clairement bénéficié aux ventes de leurs albums. Mais l’exposition de la musique, qui plus est francophone, reste à améliorer. Seuls six titres d’artistes français, dont trois chantés en français, figurent parmi les 20 premières diffusions en radios. Les radios restent quelque peu hermétiques aux répertoires francophones. Leurs programmations sont alignées sur les charts US et Monde. Les titres pop et électro, interprétés par des artistes internationaux, ont survolé le classement des diffusions en radios comme chaque année. Toutefois, une amélioration notable, 10% de nouveautés francophones ont été diffusées en plus en 2016 par rapport à 2015. Et l’augmentation est similaire pour les entrées en playlist de titres francophones, qui sont passées de 730 à 799.

49 millions de téléspectateurs

Comme en 2015 et en 2014, l’année 2016 a été ponctuée par les succès des artistes locaux. Ils ont réalisé 19 des 20 meilleures ventes d’albums. Mais la diffusion de la musique à la télévision n’a pas été aussi importante qu’espérée. Seuls 45% des clips diffusés l’an dernier étaient des titres d’artistes francophones. C’est un paysage musical assez homogène qui est dépeint en télévision avec la prédominance de la variété, de l’électro et de la pop urbaine. Les musiques urbaines, qui ont occupé le haut des charts tout au long de l’année, ont été quasi-absentes. Une différence de taille avec le paysage de la musique en France, qui pourrait expliquer que la  musique ait un peu de mal à trouver son public sur le petit écran. Lors de sa présentation, Guillaume Leblanc a insisté sur les succès d’audiences de la musique en prime-time pour faire valoir la nécessité d’une meilleure présence. Les émissions diffusées sur TF1 (Les enfoirés, NRJ Music Awards, Génération Balavoine) et France 2 (Eurovision, Les années bonheur) ont certes cumulé 49 millions de téléspectateurs en 2016. Cependant il s’agit de rendez-vous ponctuels, voire annuels comme l’Eurovision, les NRJ Music Awards, etc. En réalité, seules deux émissions musicales régulières figurent parmi les dix meilleures audiences constatées en 2016, ‘Les années bonheur’ et ‘Le grand show’. Elles avaient toutefois rassemblé 3,5 millions et 4 millions de français.

Entre 1% et 9% de l’offre à la télévision

Les télévisions ne parviennent pas à proposer des émissions musicales originales qui fassent l’unanimité et qui rassemblent les téléspectateurs. Les cérémonies musicales (NRJ Music Awards, Victoires de la musique) sont en chute libre en termes d’audiences et de popularité. La musique se voit donc reléguée sur les petites chaînes de la TNT. TF1 et M6 l’ont fait avec TMC et W9. De fait, la musique ne représente que 6% de la programmation de TF1 et de France 2. CStar lui consacre 7% de son antenne, un peu moins que France 3 (9%). M6 est le mauvais élève en la matière avec 1% d’antenne dédiée à la musique, et même W9 n’affiche que 5%. La musique est donc le dernier genre de programmes diffusé à la télévision. Quand bien même – et c’est là le grand paradoxe – elle serait l’activité préférée des français parmi les secteurs de la Culture.

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