Juliette Metz – Encore Merci / CSDEM : « La mise en place d’un crédit d’impôt dédié aux éditeurs aurait un impact très positif sur nos investissements et sur la diversité »

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Juliette Metz, Présidente de la CSDEM et Directrice exécutive de la société Encore Merci

Troisième branche de l’industrie musicale, le secteur de l’édition est par définition indispensable à la structuration de la filière. Fédérés au sein de la Chambre Syndicale De l’Edition Musicale, les éditeurs s’organisent entre eux et avec les autres acteurs pour développer leur secteur. D’où leurs priorités axées sur l’augmentation des revenus générés sur les plateformes, sur la mise en place d’un crédit d’impôt dédiés à leur métier et sur la place de l’édition au sein du Centre National de la Musique. Entretien avec Juliette Metz, Présidente de la CSDEM et Directrice exécutive de la société Encore Merci.

CULTUREBIZ : Le maintien de la croissance du marché de la musique enregistrée et la croissance des collectes de droits d’auteur sont-ils des indicateurs qui vous rendent confiante quant au développement du marché de l’édition ?

Juliette Metz : De mon point de vue, le marché de l’édition reste assez stable. Nous ne sommes pas sur le même modèle que les producteurs, pour qui le streaming représente maintenant une part majoritaire des revenus du marché. Pour nous les éditeurs, le streaming est loin d’être suffisamment rémunérateur. Cela représente moins de 5% des revenus de la structure Encore Merci, ce qui n’est vraiment pas grand-chose. Le marché évolue donc doucement, et il y a une différence entre le résultat global du secteur et les résultats des entreprises et des projets. Sur le plan global, ça ne va pas si mal que ça puisque les majors génèrent des revenus importants, tout comme le « back catalogue » (catalogue des œuvres ayant été précédemment éditées)… Mais lorsqu’on regarde d’une manière plus fine, sur des plus petites structures et par projet, par œuvre ou par album, les revenus ne sont pas si considérables. Dans le détail, beaucoup de sociétés ont des difficultés puisque l’on avait recensé qu’environ 30% des membres de la CSDEM n’avaient pas fait de bénéfice sur leur exercice 2016.

« Le streaming est formidable pour faire rayonner les œuvres mais les revenus ne sont pas à la hauteur »

Est-ce que le métier d’éditeur est également impacté par le streaming et plus globalement par le changement de la consommation de la musique ?

La diffusion et l’exploitation des œuvres sont plus importantes avec l’essor du streaming et l’on peut s’en réjouir. Le streaming est formidable pour faire rayonner les œuvres au niveau international avec des investissements moindres, en termes de distribution pour les producteurs mais les revenus ne sont pas à la hauteur du nombre de vues. Cela représente moins de 8% des répartitions de la Sacem.

Le métier d’éditeur reste le même dans le fond, notre rôle c’est de trouver des interprètes et des labels pour produire et distribuer les œuvres. Le processus de création reste le même, à la différence près qu’il y a une modification dans la manière de créer. Il faut effectivement penser à être plus impactant, plus efficace afin que le titre attire les utilisateurs de Spotify, Deezer ou autre. Il faut notamment des débuts de morceaux plus accrocheurs.

En revanche, la vérification des droits liés au streaming pose certaines difficultés. Parvenir à suivre les droits répartis pour voir s’ils sont corrects s’avère beaucoup plus complexe parce que les sociétés de gestion telles que la Sacem reçoivent beaucoup de données de la part des plateformes de streaming. Et les tarifs changent chaque mois puisqu’ils varient en fonction de paramètres comme le nombre d’abonnés ou le nombre de « forfaits famille ». Il est donc plus difficile de suivre si les droits qui sont dus sont payés correctement ou non.

Il y a certainement des choses à améliorer au niveau des données transmises par les plateformes qui sont relativement complexes, comme par exemple arriver à matcher les codes des œuvres avec ceux des enregistrements. C’est ce sur quoi travaillent les sociétés de gestion collective en ce moment et ça me paraît être une très bonne piste. Je pense que la priorité est d’améliorer notre manière de travailler sur les données qui nous sont communiquées. Sur cette question, c’est la Sacem qui représente les éditeurs et collecte les droits, qui est en lien avec les plateformes, outre les majors qui ont des contrats en direct. Il faut donc que l’on appuie la Sacem dans ses demandes pour avoir des données mieux exploitables. Nous sommes bien sûr très intéressés par toutes les nouvelles technologies qui nous permettraient d’avancer sur ce point.

« Le Code des usages était un travail nécessaire et les remontées ne nos adhérents confirment les avancées pour les auteurs et compositeurs »

Quel bilan dressez-vous du Code des usages, dix-huit mois après sa signature ?

Le Code des usages encadre les rapports entre les auteurs et compositeurs et les éditeurs. Sa rédaction nous a amenés à déterminer de manière précise les obligations et engagements mutuels de chacun. Après la signature, la CSDEM a travaillé à produire des nouveaux contrats adaptés aux types d’œuvres pour tenir compte de ce qui a été préconisé et ce sur quoi l’on s’est mis d’accord. Les versions disponibles en juillet 2018 viennent d’être mises à jour pour tenir compte des évolutions de la Sacem. Ces contrats utilisés par nos membres permettent au Code des usages d’être pleinement respecté.

L’objectif premier était d’encadrer les pratiques notamment sur la reddition de comptes et aussi sur la définition de l’exploitation permanente et suivie. Nous avons par exemple défini les mentions qui doivent figurer dans le contrat et amélioré la façon dont les parts sont indiquées. C’était un travail nécessaire et nous avons eu de bonnes remontées de la part de nos adhérents qui confirment les avancées pour les auteurs et compositeurs.

« Ce que nous réalisons en amont des projets a des retombées avec la production d’albums et de tournées »

Comment s’articule le rôle de l’éditeur dans le développement d’artistes ?

La place de l’éditeur s’est considérablement renforcée et il va donc de plus en plus loin dans le développement de l’artiste. C’est souvent le premier partenaire de l’auteur et du compositeur, il est souvent présent quand les chansons ne sont pas encore enregistrées, ou diffusées. Nous accompagnons les créateurs dans la création de leurs œuvres, nous les aidons à trouver des interprètes, à créer, à trouver des partenaires, à financer la création avec des avances, nous travaillons pour placer les œuvres et faire de la synchronisation. Toutes ces étapes font vraiment partie de l’accompagnement de l’artiste pour qu’il se forme, s’améliore et se développe.

Et tous ces apports de l’éditeur justifient, de votre point de vue, la mise en place d’un crédit d’impôt dédié à la profession ?

Absolument, nous sommes un pilier de l’industrie musicale tout comme le phonogramme et le live. Nous sommes à la base avec la création. Tout ce que nous réalisons en amont des projets a forcément des retombées par la suite, avec la production d’albums et de tournées notamment. C’est vraiment un cercle vertueux entre les trois pôles. Nous sommes pleinement investis sur le sujet et avons réalisé une étude inédite qui montre à quel point nos investissements méritent d’être accompagnés. La mise en place d’un crédit d’impôt dédié à l’édition musicale aurait de plus des effets vertueux pour l’État puisque le dispositif engendrerait un grand nombre de recettes fiscales et sociales. Ce serait un réel soutien pour nous qui en avons besoin. Les éditeurs sont souvent oubliés, et je crois qu’un tel dispositif aurait un impact très positif sur nos investissements et sur la diversité musicale. C’est un dispositif que nous méritons.

Comment se porte l’activité la structure Encore Merci ?

Encore Merci, spécialisée dans la librairie musicale, édite de la musique pour l’audiovisuel. Nous ne faisons pas de développement d’artistes à proprement dit puisque les compositeurs avec lesquels nous travaillons font de la musique pour l’audiovisuel. Il n’y a donc pas de prestations live de leurs œuvres, ni de ventes d’albums dans les circuits traditionnels. Notre activité est essentiellement basée sur de la synchronisation et le placement d’œuvres. Et elle est en train de muer puisque nous avons noué un partenariat avec notre confrère Pierre-Michel Levallois de Bam Prod pour mutualiser nos équipes et nos catalogues. L’année 2018 était dédiée à la mise en place de cette alliance, et nous avons entamé l’exploitation de nos catalogues respectifs. Il s’agit de mutualiser les besoins et les frais, de faire en sorte de mieux rentabiliser les projets, de se renforcer sur un marché qui devient de plus en plus concurrentiel avec des sociétés importantes notamment, et ce avec un catalogue plus consistant. Nous sommes d’ailleurs la première structure à taille humaine à faire évoluer notre activité en ce sens.

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