Jérôme Roger – UPFI : « Basculons vers le modèle du user centric pour le streaming »

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©️ JM Lubrano

Les producteurs indépendants défendent leur positionnement et la place de leurs catalogues au sein de la filière musicale. La 2ème édition du Marché des labels indépendants s’est tenue le 7 octobre à Paris, et plusieurs artistes et labels seront distingués le 16 octobre lors du Prix des indés. Avec plus de 100 structures membres, l’Union des Producteurs phonographiques Français Indépendants est le premier syndicat de producteurs en termes de membres. Jérôme Roger, Directeur Général de l’UPFI, exprime la position des indés sur le streaming, l’exposition de la musique, le crédit d’impôt, et évidemment l’accord du 6 juillet instaurant une rémunération minimale, autant de grands sujets pour la filière.

Que représente la production indépendante sur le marché de la musique enregistrée ?

En 2016, nous avons demandé à GFK de nous établir la part de marché des producteurs indépendants, qu’ils soient distributeurs ou non. En ventes physiques, leur poids était de 28,2%. Il était de 35,8% en téléchargement, soit une moyenne de 29,8% des ventes en chiffre d’affaires sur ces 2 marchés. Sur le marché du streaming, il pesait 35,4% des volumes d’écoute, GFK n’étant pas en mesure d’établir le chiffre d’affaires correspondant. Côté production française, les indépendants produisent bon an mal an plus de 80% des albums de nouveautés. En radio, leur part de marché en diffusion était de 23,3% l’an dernier mais de 60,3% en nombre de titres diffusés. C’est un chiffre en baisse car leur PDM en diffusion se situe plutôt autour de 25% traditionnellement. On voit tout de suite où se situent les goulots d’étranglement.

Le changement des habitudes de consommation avec le streaming bénéficie-t-il aux productions indépendantes, en dehors des musiques urbaines ?

La bonne performance des labels indés dans le streaming en 2016, en tout cas en part de volume d’écoute, constitue un indicateur encourageant. Mais il est vrai que cela inclut les musiques urbaines qui pèsent, selon les semaines, plus ou moins 25% du Top 200 streaming, tous acteurs confondus.

« Le système de rémunération sur le streaming tend à écraser la rémunération de la plupart des titres qui ne figurent pas dans le sommet de la pyramide »

Le PDG de Deezer, Hans-Holger Albrecht, a confirmé souhaiter un changement du mode de rémunération des écoutes en streaming. L’UPFI y est favorable. Pouvez-vous préciser les raisons de cette prise de position ?

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L’UPFI se positionne fortement en faveur du basculement vers le « user centric ». Nous sommes partis du constat selon lequel la règle de partage actuelle provoque des conséquences qu’un grand nombre de producteurs indépendants estiment dommageables. Le système actuel tend à écraser la rémunération de la plupart des titres qui ne figurent pas dans le sommet de la pyramide. Il s’écarte totalement du modèle historique de la rémunération à l’acte. Je vends un CD, la rémunération versée à l’ensemble des ayants droit, auteur, artiste et producteur, est calculée sur le prix de vente de ce CD. Cette règle était totalement vertueuse et ne mettait absolument pas en compétition, d’une certaine façon, la communauté des artistes. Nous souhaitons simplement que l’on revienne à cette règle. Basculons vers le modèle du « user centric » pour le streaming. Dans le cas contraire, nous craignons une asphyxie à terme d’une partie de la production locale. L’enjeu est donc important à la fois en termes de diversité musicale, quid par exemple de l’avenir de la musique classique et du jazz et d’une partie de la chanson française hors musiques urbaines. Dorénavant, il appartient aux opérateurs de faire avancer cette discussion et de parvenir à un niveau de consensus tel que la bascule vers le « user centric » pourra s’opérer dans un proche avenir.

Les playlists jouent un rôle important pour l’exposition des répertoires sur les plateformes de streaming. La concentration des playlists est-elle une inquiétude pour les producteurs indépendants ?

Nous avons également fait des playlists un sujet de préoccupation en partant du constat que pour certains services le niveau d’investissement au plan local était nettement insuffisant. Il ne faudrait pas que sur internet se reproduise le phénomène de concentration que l’on a connu en radio au cours des 30 dernières années. Ce serait le comble dans la mesure où sur le net, il n’y a pas de préoccupation de rareté quant à l’espace disponible.

« Hors de question de renégocier les taux de rémunération applicables au streaming »

Quelle lecture faite-vous de l’état actuel de l’exposition de la musique dans les médias ?

L’exposition dans les médias traditionnels reste un facteur de promotion déterminant. La renégociation de la convention qui lie le groupe M6 au CSA nous a laissé un goût amer. Même s’il faut se satisfaire du maintien du taux de 20% consacré à la musique sur M6, la baisse drastique du montant des investissements consacrés à la musique (19M€ au lieu de 26M€), assortie de leur mutualisation sur l’ensemble des chaînes de ce groupe, n’a pas été comprise par les syndicats des producteurs. Il y a une contradiction totale à demander à M6 et W9 de diffuser plus d’émissions de variétés en prime time et à baisser dans le même temps leurs obligations en matière d’investissements musicaux. Mais sur le service public de la télévision, il n’y a rien de très encourageant non plus. La filière musicale ne doit pas baisser les bras sur ce sujet.

L’accord du 6 juillet sur la rémunération minimale pourrait être abrogé. Comment la tournure donnée à cet accord par les syndicats d’artistes est-elle interprétée par les producteurs indépendants ?

Pour l’UPFI, comme pour le SNEP, l’accord du 6 juillet reste juridiquement valable. Nous attendons la publication de son arrêté d’extension. Aucune des parties signataires n’a été prise par surprise. Cela étant, nous avons bien compris qu’une disposition précise de cet accord pose un problème majeur pour les syndicats d’artistes. Elle porte sur les modalités de l’option alternative aux taux minimums de base. A ce stade, je ne peux pas m’exprimer davantage mais nous sommes disposés à réexaminer les modalités du régime optionnel. Pour autant, il est hors de question de renégocier les taux de 13% et 11% applicables pour le streaming qui sont des taux minima élevés, très proches des taux moyens figurant dans les contrats comme cela ressort de l’étude réalisée par Bearing Point pour le compte du Ministère de la Culture.

« Le crédit d’impôt permet d’accompagner le développement de plus de 70 PME et TPE »

L’étude BearingPoint a souligné le contexte de fragilité économique de la production phonographique. Quelles sont vos priorités et initiatives pour améliorer le financement de la production et la situation des entreprises ?

La prolongation de notre crédit d’impôt au-delà de 2018 est une priorité. Nous sommes satisfaits que le Ministère de la Culture ait pris l’engagement de le faire figurer dans le PLF 2018. C’est très important en termes de visibilité pour les entreprises de notre secteur qui ont besoin de se projeter dans leurs investissements futurs. Nous savons également que l’IFCIC travaille à la finalisation d’une refonte de ses dispositifs d’intervention en faveur des PME culturelles. Nous en espérons la mise en œuvre à compter de janvier 2018. Il est très important de disposer d’une gamme complète de niveau d’intervention dans le financement des PME culturelles que nous représentons. Aider leur investissement à la production d’un côté, accompagner d’un autre côté leurs besoins en financement (rachat de catalogues, développement à l’international, besoin en fonds de roulement, etc.). Saluons également le renforcement de la dotation du Ministère de la Culture au Bureau Export, en espérant qu’à terme, cet organisme disposera d’un budget de 10M€.

Le crédit d’impôt pour la production phonographique s’est élevé à 10 millions d’euros en 2016 et a été réparti en 409 agréments. Pourriez-vous préciser les effets de ce crédit d’impôt pour la production indépendante en termes de montant moyen, de nombre de structures bénéficiaires et de nombre d’albums financés ?

Il est tout simplement vital pour les PME et les TPE. Sans le crédit d’impôt créé en 2007, c’est-à-dire en plein milieu de la crise du disque, la production française aurait tout simplement connu un effondrement total. En nombre d’agréments provisoires comme définitifs, les projets défendus par les PME représentent plus de 80% de ce crédit d’impôt. Et en montant, cela doit représenter les 2/3. Aujourd’hui, cette mesure permet d’accompagner le développement d’un peu plus de 70 acteurs. Le SNEP et l’UPFI ont d’ailleurs confié à un cabinet d’études, XERFI, le soin de déterminer l’efficience de notre crédit d’impôt et sa profitabilité pour le budget de l’Etat en termes d’effets induits. Nous disposerons de cette étude très prochainement.

La prolongation du crédit d’impôt pour la production phonographique était une priorité pour la profession. Les pouvoirs publics semblent, au moins pour le crédit d’impôt spectacle, soucieux que les crédits d’impôt ne profitent qu’aux artistes en développement. Pourquoi faut-il reconsidérer les conditions du crédit d’impôt ?

La question du périmètre des artistes éligibles au crédit d’impôt phonographique est un sujet que nous abordons régulièrement avec les pouvoirs publics. Il faudra y revenir dans un proche avenir car entre 2007 et 2017, le marché a considérablement évolué. Un certain nombre d’artistes ne sont plus éligibles car ayant généré dans le passé 2 fois 100 000 ventes alors que leurs espérances de vente actuelles ne sont absolument plus les mêmes. Pourtant, la prise de risque est la même.

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