Isabelle Pratlong – Groupe M6 : « W9 diffuse beaucoup plus de nouveautés francophones que les chaines musicales concurrentes »

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Isabelle Pratlong, Directrice de la musique a sein du groupe M6 et Directrice Générale de la chaine M6 Music

 L’exposition de la musique à la télévision est un sujet préoccupant la filière. En cause, la lente progression des courbes des abonnements famille et de la part de marché des genres comme la variété ou la chanson dans les volumes d’écoutes sur lestreaming, mais aussi le maintien de la part de marché du physique. Ces tendances observées sur le marché sont parmi les paramètres qui justifient l’offensive des producteurs pour maintenir les volumes horaires dédiés à la musique sur les chaines de télévision. Et ce notamment en raison de l’appétence des téléspectateurs pour la chanson et la variété. Le groupe M6 est dans le collimateur des producteurs en raison de l’abaissement de 50% à 37,64% de la part de programmes dédiés à la musique obtenu auprès CSA. Au-delà de l’appréciation des indicateurs relatifs à la diffusion de la musique sur ses antennes, la musique reste dans l’ADN du groupe M6. C’est ce que défend Isabelle Pratlong, Directrice de la musique a sein du groupe M6 et Directrice Générale de la chaine M6 Music dans un entretien accordé à CULTUREBIZ.

CULTUREBIZ : Pouvez-vous détailler les éléments qui caractérisent la place de la musique sur le groupe ?

Isabelle Pratlong : Les différentes chaines du groupe ont des obligations distinctes dans leur cahier des charges en matière de programmation de la musique. M6, W9 et M6 Music ont des engagements en termes de diffusion et de production de programmes musicaux, elles se doivent donc de diffuser et de proposer de la musique sous différents formats. M6 est tenue de dédier 20% de sa grille à des programmes musicaux. M6 Music est en tant que chaine 100% musicale doit diffuser un minimum de 40% de musique francophone. La chaine W9 est en train de faire évoluer sa convention avec le CSA. Les engagements liés à la musique ne sont plus stipulés de la même manière mais avec notamment avec un nombre d’heures minimum de musique et également des obligations d’ordre qualitatif. Il s’agit notamment de promouvoir les jeunes talents de la scène française. La chaine diffuse beaucoup plus nouveautés francophones que les chaines concurrentes. Nous avons aussi des programmes qui les mettent en avant comme ‘L’hebdo de la musique’, un format de 52’ qui combine reportages en coulisses, interviews et clips. W9 doit également programmer au moins 52 spectacles vivants ou concerts différents par an. Pour M6 et W9, au-delà du volume de musique, nous devons proposer un certain nombre d’émissions en prime-time.

La chaine M6 Music a récemment célébré ses 20 ans. En quoi se distingue-t-elle de ses concurrentes ?

M6 Music se positionne comme la chaine musicale généraliste qui propose des hits dans tous les styles musicaux, et ce pour un public relativement large. Les 15-34 ans sont notre première cible mais nous ciblons aussi les 35-49 ans en journée. Dans un paysage audiovisuel concurrentiel, riche de nombreuses chaines musicales, M6 Music va plus loin avec une programmation certes généraliste mais également composée de soirées thématisées par styles ou consacrées à des intégrales d’artistes.

Nous avons un service de catch-up, 6 Play M6 Music, qui vient répondre à des usages totalement différents de la consommation en linéaire. Plus de 150 playlists thématisées sont proposées et renouvelées en permanence pour permettre à tous les publics de retrouver les musiques qu’ils aiment sur une plateforme sans publicité. Les statistiques de consommation montrent que ces playlists attirent un autre public. C’est très intéressant de constater que les habitudes de consommation varient avec d’une part un public plus adulte qui a l’habitude de regarder les clips à la télévision et un public plus jeune qui lui va être encore plus intéressé par des playlists thématisées comme « Rap Français », « Kids Time », ou encore « Latino party ». Avec M6 Music, nous sommes capables de nous adresser de manière plus segmentée à un public plus jeune, spécifique, et qui n’est pas toujours le même public que celui qui regarde la chaine musicale en linéaire. Nous ambitionnons donc de nous adresser à toute la famille mais de manière différente en fonction des profils.

Pour célébrer son statut de chaîne musicale payante la plus connue des français, M6 Music a fêté ses 20 ans au Zénith d’Amiens, le 21 septembre dernier, avec 20 artistes français dont certains ont accompagné la chaîne depuis le début comme son parrain, MC Solaar. La soirée des 20 ans de M6 Music a été diffusée en prime time le 2 octobre sur W9, et elle a fait une très bonne performance sur les jeunes avec près de 7% de part d’audience sur les moins de 25 ans.

« Tous les programmes diffusés doivent trouver leur cible et justifier d’audiences suffisantes pour être viables »

Les professionnels de la filière musicale estiment que la musique doit être beaucoup mieux exposée à la télévision. L’an dernier, vous avez déclaré que « la musique doit être évènementielle pour faire de l’audience ». La musique fédère pourtant les français tout au long vu les records de fréquentation, de la fidélisation et du renouvellement des publics constatés dans les salles de concerts et les festivals. Quelle est votre analyse à ce propos ?

Tous les programmes diffusés sur les chaines doivent trouver leur cible, intéresser le public et justifier d’audiences suffisantes pour être viables. Le groupe M6 a la musique dans son ADN. Mais les publics et notamment les plus jeunes veulent cette liberté de consommer de la musique quand bon leur semble. Nous sommes confrontés à des usages qui évoluent sans cesse et les jeunes générations ne sont plus forcément intéressées par le fait de regarder un programme qu’on leur impose sauf si c’est un évènement. Diffuser un programme dédié à la musique à la télévision, cela signifie qu’il faut rassembler des centaines de milliers voire plusieurs millions de téléspectateurs à une heure précise. La moyenne d’âge des téléspectateurs en France est de 50 ans : c’est beaucoup plus élevé que celle des festivaliers. Certains festivals ont une moyenne d’âge autour de 25-30 ans, ce n’est pas le public principal de la télévision aujourd’hui. Les jeunes publics consomment de plus en plus la musique en ligne. Il faut donc pouvoir « événementialiser » les programmes musicaux sinon les spectateurs ne voient pas d’urgence à les regarder. Toute la question pour nous aujourd’hui est donc de trouver des formats qui racontent quelque chose de différent. Nous devons éditorialiser, marketer nos programmes pour arriver à avoir une proposition singulière et différente de ce qui existe à disposition de tous sur les plateformes.

 « La part des artistes produits et coproduits diffusés sur nos antennes est faible par rapport à l’ensemble des artistes que nous exposons »

Comment se déclinent les investissements et l’activité liés à la musique enregistrée au sein de M6 Interactions avec M6 Music Label ?

Nous ne communiquons pas la part des investissements financiers dédiés à la musique. Notre activité sur la musique enregistrée se déploie en fonction des opportunités. Il n’y a pas de règle, cela se précise en fonction des projets, de leur stade, des partenaires, de leurs équipes. Quand nous commençons à travailler sur un projet qui a déjà été bien développé, alors on fera généralement de la co-exploitation parce que le label a fait en amont un travail de production, d’image, de promotion. Quand nous intervenons sur un projet qui n’est pas encore développé, cela peut être de la licence, ou alors de la co-production si nous sommes en partenariat avec un label. La majorité des projets auxquels nous sommes associés, soit entre 20 et 30 par ans, portent sur de la co-exploitation. 

Le groupe M6 a renforcé ses activités liées à la musique enregistrée en s’associant avec le label Six et Sept en 2017. Le groupe TF1 a pris une participation au sein de Play Two. Thierry Chassagne, Président de Warner Music France, a déclaré dans une interview à CULTUREBIZ (édition Midem 2018) être vigilant à ce sujet compte tenu de l’exposition donnée à certaines têtes d’affiche, qui s’avère bien plus importante que quand ils étaient signés en majors. La diffusion l’été dernier du format ‘Audition secrète’ avec Pascal Nègre et Julien Creuzard, respectivement Président et Directeur de Six et Sept a confirmé leurs inquiétudes, bien qu’aucune promotion du label n’ait été faite. Les majors redoutent à terme une forme de distorsion de concurrence. Que répondez-vous à ces interrogations ?

Les modèles changent, il y a de plus en plus d’artistes qui s’autoproduisent et ne veulent pas forcément signer comme avant dans de grands labels où les signatures sont très nombreuses. Il y a donc de plus en plus d’artistes qui cherchent uniquement de la distribution et de la médiatisation, et qui sont autonomes en ce qui concerne la production. C’est une réalité qui justifie le développement d’un certain nombre de structures pour s’adapter aux mutations du marché de la musique. Aujourd’hui il y a aussi des artistes qui exigent des modes de rémunération qui leur soient plus favorables et le modèle d’« artist services » va en ce sens.

Nous communiquons chaque année au CSA la part des artistes produits et coproduits qui sont diffusés sur nos antennes, que soit pour les clips ou dans les émissions musicales. C’est totalement surveillé et nous sommes transparents. Nous ne communiquons pas sur ces indicateurs, mais je peux dire que cela reste à des niveaux très faibles par rapport à l’ensemble des artistes que nous exposons. Il n’y a donc rien d’alarmant. Deuxièmement, dans 95% des cas de productions ou coproductions, nous travaillons en partenariat avec des labels du marché. Nous participons donc également au développement de la scène musicale française. Le groupe M6 se positionne donc plus en tant que partenaire des acteurs de la filière musicale qu’en tant que « concurrent ».

 

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