Emmanuel de Buretel – Because Music : « Les plateformes devaient révolutionner le secteur mais elles ont en réalité concentré l’offre musicale »

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Emmanuel de Buretel, Président de Because Music

La diversité des genres, la multiplicité des artistes, l’émergence de nouveaux talents et le renouvellement de la scène musicale sont indissociables de la production indépendante. L’ère de l’instantanéité et des objectifs à court-terme ne fait pas dévier le producteur indépendant, dans le temps long, qui ne fait pas la même course que ses concurrents. Emmanuel de Buretel a une vision très claire de la route restant à accomplir pour garantir l’avenir de la production et des artistes indépendants. Dans une prise de parole rare, le Président de Because Music (Christine and the Queens, Selah Sue, Calypso Rose, Bjork…) étaye son positionnement vis-à-vis des tendances et mouvements observés sur le marché de la musique enregistrée. Emmanuel de Buretel, en parallèle Président de la SPPF, monte également au créneau concernant le crédit d’impôt ainsi que la rémunération équitable et la copie privée.

CULTUREBIZ : L’année 2017 a été celle de la confirmation de la croissance mais l’inversion de la courbe du marché n’est pas encore tout à fait garantie. Les abonnements aux plateformes de streaming n’augmentent pas de manière aussi rapide qu’attendu. Le physique fait de la résistance notamment en raison de l’appétence des français pour l’objet et des collectionneurs de vinyles. Est-ce que la structure actuelle du marché de la musique enregistrée n’est pas le modèle idéal pour la transition des labels indépendants vers un modèle qui sera plus porté sur le streaming ?

Emmanuel de Buretel : Il n’y a plus vraiment qu’un seul modèle et c’est le streaming. Aujourd’hui, le physique c’est une affirmation de l’objet d’art populaire qu’est le disque. Le physique existera toujours, mais le futur de la musique c’est le stream. Est-ce que le modèle du streaming actuel est le bon modèle ? Il a en tous cas le mérite d’exister et d’avoir donné un accès à tous les publics du Monde, un accès à la musique beaucoup plus large qu’auparavant. Mais est-ce que le streaming actuel n’est pas aussi un instrument de non-diversité ? Est-ce que l’on ne va pas nuire à des cultures entières en ne poussant qu’un seul format musical ? Il faut s’en soucier. Aujourd’hui, le partage entre l’artiste, le producteur et la plateforme est crucial. L’innovation technologique pour faire évoluer la consommation de la musique est importante. Mais le fait de savoir si la diversité est vraiment représentée et si le paysage musical n’est pas, comme certaines élections, influencé par du marketing ou figé par le fait qu’une frange du public n’est pas touchée par la nouveauté et n’y retrouve pas leur culture, leur musique, l’est tout autant. La nouveauté et la diversité dans la musique sont synonymes d’ouverture d’esprit et de progrès. C’est important à protéger mais il ne faut pas oublier les autres publics et leur histoire. Charles Aznavour a d’ailleurs été très écouté et streamé par les jeunes sur Spotify à cause de sa mort. Pourquoi pas avant sa mort ? Ses chansons existaient sur Spotify, l’outil est donc biaisé. Le public est ouvert, l’offre l’est techniquement moins. Il faut que les plateformes résolvent ce problème en investissant sur les différents publics sinon il y aura des révolutions et des changements d’usages. On est prêt. Mais je ne suis inquiet de rien parce que les solutions sont là et qu’il y a des révolutions quand les directions sont trop fortes dans un sens ou trop concentrées.

Une alternative aux majors s’est formée au niveau international avec de nouveaux services proposés aux artistes tels que Believe. Les trois majors ont riposté par une montée en gammes de leurs services avec Caroline pour Universal Music Group, RED MUSIC pour Sony Music Entertainment et Warner Music Artist Services. Les mêmes prises de position sont constatées sur le marché français avec Initial Artist Services (Universal) et A+LSO (Sony Music France). Comment se positionne Because ?

Les artistes ont effectivement toutes les disponibilités et ont même des outils « Do It Yourself » pour distribuer directement leur musique sur les plateformes. Because est une structure à géométrie variable. Nous répondons aux besoins et aux demandes des artistes en adaptant nos services tant en matière de musique enregistrée qu’en musique live, en image et en édition. Nous n’imposons pas aux artistes de se conformer à un courant ou un format. Et surtout, nous avons une vraie direction artistique, nous sommes concentrés sur peu d’artistes, nous travaillons dans la durée et nous essayons aussi de développer de nouveaux courants parce que ce qui nous intéresse c’est aussi la diversité et les nouveaux moyens de diffusion. Nous sommes un laboratoire. Cette recherche bénéficie à tous nos artistes et elle est présente dans le son, l’image, le live, mais aussi la distribution.

« YouTube et Spotify doivent travailler davantage avec les indépendants » 

Plus de 70 labels indépendants français ont fait leur marché début octobre à Paris. Des réflexions sont-elles en cours pour faire évoluer le format de l’évènement et le faire converger avec la structure actuelle du marché de la musique à l’aube d’une bascule vers le streaming ?

Le Marché des labels indépendants est une plateforme de contact avec le public qui va nous permettre de dessiner peut-être le futur modèle de distribution de la musique. L’évènement est pour l’instant porté sur le physique avec plusieurs dizaines de stands tenus par les équipes des labels eux-mêmes qui font découvrir leurs artistes en exposant leurs CD et vinyles. A l’heure où les magasins disparaissent, ce sont les labels qui deviennent leurs propres vendeurs. Le public peut échanger avec les professionnels et équipes des artistes. Le futur du Marché des labels indépendants est probablement d’organiser une conférence avec des professionnels et des chercheurs qui viendront parler de l’avenir de la distribution de la musique (Nous appartient-il ?) et l’avenir de la diversité (Quel est le prochain modèle ?). Le dialogue serait engagé avec le public, les producteurs, les artistes et les autres professionnels. Si ce modèle concentré ne permet pas la diversité nous créerons peut-être nous-mêmes notre propre avenir.

Peut-être que le meilleur moyen pour que les plateformes respectent la diversité sera de pouvoir avoir un outil de diversité alternatif à l’offre sur les plateformes de streaming actuelles. YouTube et Spotify doivent s’organiser pour travailler davantage avec les indépendants. Aujourd’hui, la musique est un produit d’appel pour certaines plateformes qui ne considèrent pas assez le contenu. Or, plus le contenu est bon et de qualité et plus il y a de la demande. Les plateformes devaient révolutionner le secteur et offrir un large choix aux consommateurs mais elles ont en réalité concentré l’offre musicale. Le Marché des labels indépendants est donc un acte symbolique. Nous sommes nos propres magasins. Mais pourquoi ne serait-on pas un jour nos propres diffuseurs en ligne ? Nous les indépendants ne sommes pas assez représentés sur ces grandes plateformes. On a besoin de la juste considération de la diversité sans pour autant qu’elle soit imposée. Si la musique est bonne et que certaines plateformes ne la mettent pas en avant, alors d’autres acteurs le feront. Dans tous les cas, nous ne faiblirons pas et nous devrions pouvoir les mettre en avant nous-mêmes, au final, s’il le faut.

Lors de votre intervention devant les acteurs de la filière musicale en juin dernier au Déjeuner de la filière organisé par le PRODISS, vous avez déclaré que « le crédit d’impôt a sauvé la production indépendante et que sans lui votre société n’existerait pas ». Les producteurs de phonogrammes comme les producteurs du live s’appliquent à faire valoir les effets vertueux du dispositif. Quelle interprétation faites-vous du fait que la profession doive monter au créneau pour défendre un dispositif considéré comme structurant pour le secteur ?

Le crédit d’impôt a d’abord sauvé la diversité. Nous savons tous qu’il a permis à l’industrie musicale française de progresser et aujourd’hui il y a des symboles incroyables de la vitalité du secteur que sont notamment la production française, les TPE et PME, l’emploi, l’export, mais aussi le fait que beaucoup de professionnels français réussissent à l’étranger. La qualité de la production française est reconnue et il n’y avait pas d’écoles il y a encore quelques années. Ce sont donc les entreprises françaises qui ont formé ces professionnels qui aujourd’hui sont parmi les meilleurs du secteur et qui ont développé de nouveaux artistes et labels en France et à l’étranger. Ils créent de l’emploi et de la valeur.

Je ne comprends pas que les politiques ne voient pas la pertinence évidente du crédit d’impôt dédié à la production phonographique. C’est un secteur qui était en perdition et ce dispositif est maintenant un exemple envié dans le Monde entier. C’est tout à fait légitime que le crédit d’impôt soit évalué périodiquement et nous en sommes à la 3ème évaluation pour cette année 2018. Mais par contre il doit être reconduit, développé, pérennisé à long terme. Nous travaillons sur la longueur, nous développons des carrières sur une dizaine d’années. Ces partenariats Public-Privé sont des symboles du retour et de la pérennité de la croissance, des investissements et de l’emploi dans le secteur de la musique. Ils aident la Culture française à se vitaliser et s’exporter. Je ne comprends pas cette hésitation, ce n’est pas possible d’être aussi lents dans un monde de la musique qui évolue rapidement. A l’heure actuelle, on finance une HADOPI qui coûte près d’une dizaine de millions d’euros par an pour lutter contre le piratage, parce que les politiques ont été incapables de mettre en place un véritable régime de responsabilité pour les hébergeurs au début des années 2000 au moment de l’adoption de la directive sur le commerce électronique. Ce sont encore et toujours des politiques de rattrapage avec dix ans de retard qui sont mises en place pour pallier ces manques de vision. Pour une fois l’état peut finalement écrire le futur d’une politique culturelle pour la musique.

« Il serait temps que nos droits soient davantage rémunérés dans le cadre de la rémunération équitable »

Lors de l’Assemblée Générale de la SPPF, que vous présidez, vous avez insisté sur l’érosion des droits voisins des producteurs indépendants. Quels pourraient être les relais de croissance pour consolider les perceptions de droits ? Pouvez-vous résumer vos priorités sur la rémunération équitable et sur la copie privée ?

Les droits voisins connaissent une stagnation relative depuis deux ans. La rémunération équitable perçue par la SPRE ne progresse plus car les recettes publicitaires des radios et des TV sont en recul et que le taux de diffusion de musique tend à baisser sur les grandes radios. En revanche nous avons réussi collectivement à préserver la rémunération pour copie privée qui était une fois de plus remise en cause par les importateurs et fabricants, au motif qu’avec le développement du streaming le niveau de la rémunération devait baisser drastiquement. Grâce à l’adoption de nouveaux barèmes, nous devrions maintenir le même niveau de perception qu’auparavant. A l’heure où les tablettes numériques sont assujetties et ce depuis 2011, il est parfaitement anachronique et inéquitable que les ordinateurs notamment les PC portables ne le soient pas. Il ne doit pas y avoir de distorsion de traitements entre les différentes familles de produits.

Il serait aussi temps que nos droits soient davantage rémunérés dans le cadre de la rémunération équitable car les niveaux de perceptions actuels ne reflètent pas la valeur économique de l’utilisation des phonogrammes. C’est un combat commun à mener avec les artistes. Je regrette par ailleurs que le précédent gouvernement ait étendu la licence légale aux webradios. Ce marché devrait décoller avec l’arrivée de la 5G en 2019-2020, la radio connectée au numérique et le développement de la radio numérique. Nous sommes la seule industrie culturelle qui soit soumise à la contrainte d’une négociation administrée.

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