Directive droit d’auteur : une avancée significative pour le partage de la valeur et la lutte contre les contenus illicites

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 Le projet de la directive sur le droit d’auteur été adopté en Commission des Affaires Juridiques du Parlement Européen le 20 juin dernier. En son sein, un certain nombre de dispositions visant à moderniser le cadre réglementaire afférent entre autres à l’exploitation des œuvres sur les plateformes. Des acquis indispensables à l’équilibre de l’écosystème des industries culturelles et créatives, mais qui doivent encore passer l’épreuve du vote en plénière et des discussions au Conseil de l’Europe. Décryptage du contenu du texte en l’état.

C’est une victoire particulièrement importante qu’ont remporté les représentants des intérêts de la Création suite à l’adoption du rapport d’Axel Voss en Commission des Affaires Juridiques du Parlement Européen. Un total de 14 députés européens dont les 5 français ont voté pour, 9 eurodéputés ont voté contre et 2 se sont abstenus. Plusieurs acquis résultent de ce vote pour les industries culturelles et créatives. Pour les identifier, il est nécessaire d’avoir une grille de lecture du contenu de la proposition de directive sur le droit d’auteur et des amendements de compromis. D’un point de vue global, les dispositions concernant les secteurs de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma se concentrent dans les « considérants » 37 à 43 puis dans les chapitres 2 et 3 comprenant les articles 13 à 15. Dans le détail, la responsabilité des plateformes est abordée dans les « considérants » 37 et 38, la lutte contre les contenus illicites dans le considérant 39 et dans l’article 13, tandis que la transparence en matière de rémunération des créateurs est l’objet des « considérants » 40 à 43 et des articles 14 et 15.

Responsabilité des plateformes et lutte contre les contenus illicites

La plupart des problématiques associées au développement de la consommation des œuvres musicales et audiovisuelles sur les plateformes trouvent des réponses dans le rapport d’Axel Voss adopté en Commission JURI. A commencer par la lutte contre les contenus illicites et le transfert de valeur lié à la question de la responsabilité des plateformes, préoccupations communes aux secteurs de la musique, du cinéma et de l’audiovisuel et faisant l’unanimité auprès des acteurs des filières respectives. L’amendement de compromis 48 va plus loin dans la définition des plateformes couvertes par la directive sur le droit d’auteur, en stipulant qu’elle se doit se « couvrir les services qui exposent et permettent au public l’accès et la consommation d’œuvres protégées par le droit d’auteur mises en ligne par les utilisateurs, et qui ont un rôle éditorial vis-à-vis de ces contenus ». De quoi élargir le spectre aux plateformes à l’instar de YouTube. Et en complément, l’amendement de compromis 49 vient clairement responsabiliser les plateformes : « Les services de mise à disposition de contenus en ligne font acte de communication au public et sont responsables pour leurs contenus. En conséquence, ils doivent conclure des contrats de licence avec les ayants-droit qui soient justes et appropriés. Ils ne peuvent donc pas bénéficier du principe d’exemption de responsabilité procuré par l’article 14 de la Directive e-commerce de 2000 ». L’affirmation de tels principe va bien évidemment dans le sens des demandes des acteurs de l’industrie musicale qui ont fait du transfert de valeur une priorité absolue dans leur quête de garanties pour la pérennité du marché de la musique enregistrée.

En matière de lutte contre le piratage, le projet de directive sur le droit d’auteur pourrait permettre, au vu des amendements de compromis adoptés, d’enrayer la mise en ligne continue des contenus sur des plateformes sans l’autorisation des ayants-droit avec le déploiement de technologies de reconnaissances des contenus. L’amendement de compromis 14, taillé sur mesure pour les plateformes de partage de contenus telles que YouTube, précise qu’« en l’absence de licences conclues avec les ayant-droit, les plateformes de partage de contenus doivent prendre, en coopération avec les ayant-droit, des mesures appropriées et proportionnelles pour permettre la non-disponibilité des œuvres protégées par le droit d’auteur, tandis que les œuvres non protégées doivent demeurer disponibles ». Le principe de coopération entre plateformes et ayants-droit concernant l’identification des contenus est aussi affirmé dans l’amendement de compromis 50.

Rémunération des auteurs et des artistes-interprètes

L’autre « acquis » majeur pour les industries culturelles et créatives suite au vote du rapport d’Axel Voss en Commission des Affaires Juridiques du Parlement Européen porte sur le partage de la valeur. Comme chacun le sait, les représentants des auteurs et des artistes-interprètes que sont les organismes de gestion collective et les syndicats revendiquent que les créateurs sont trop peu voire pas du tout rémunérés pour l’exploitation des œuvres sur les plateformes. En amont de la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique faite par la Commission Européenne en septembre 2016, puis tout au long des discussions à Bruxelles, les auteurs et artistes-interprètes ont formulé des demandes et propositions quasi-identiques, portant sur un droit « inaliénable » à percevoir une rémunération proportionnelle à l’exploitation des œuvres sur les plateformes. Les artistes-interprètes, représentés au niveau européen par AEPO-Artis qui fédère 36 organisations, demandent la possibilité d’aller collecter cette rémunération directement auprès des plateformes. Ce que n’octroyait pas la proposition de la Commission Européenne mettant surtout l’accent sur la transparence dans les contrats entre producteurs et auteurs et artistes-interprètes. Dans un entretien accordé par la Commissaire à l’Économie et la Société numériques à CULTUREBIZ (magazine hors-série spécial musique sorti au Midem début juin), Mariya Gabriel avait totalement assumé cette position. Le vote des amendements de compromis en Commission des Affaires Juridiques a permis de trancher sur la question. Bien que les auteurs et les artistes-interprètes n’aient pas obtenu ce « droit inaliénable », le principe d’une rémunération proportionnelle a été instauré par l’amendement de compromis 15 ter. « Les États membres s’assurent que les auteurs et artistes-interprètes reçoivent une rémunération juste et proportionnelle pour l’exploitation de leurs œuvres sur les plateformes. Cela doit être atteint dans chaque secteur par le biais d’une combinaison d’accords, y compris d’accords collectifs, et des mécanismes de rémunération statutaire » peut-on lire dans le texte du rapporteur. L’amendement 51 ajoute que « cette rémunération doit être mentionnée explicitement dans les contrats selon chaque mode d’exploitation y compris l’exploitation en ligne ». La transparence entre producteurs et auteurs / artistes-interprètes reste bien entendu un aspect majeur dans le projet de directive. Elle est renforcée à plusieurs niveaux. D’abord par l’amendement de compromis 16 relatif à la communication aux créateurs des informations relatives à l’exploitation des œuvres sur les plateformes, puis par la possibilité d’ajuster les contrats lorsque la rémunération initialement prévue est relativement faible par rapport à l’exploitation des œuvres. Autant de dispositions qui viennent ancrer la juste rémunération des auteurs et artistes-interprètes parmi les composantes indispensables de l’écosystème de la musique pour qu’il soit le plus équilibré possible, certes entre les plateformes et les ayants-droit mais également entre les ayants-droit eux-mêmes.

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