La difficile convergence de la Culture contre le Front National

6
minutes

L’opposition ferme de la Culture envers Marine Le Pen ne va pas de pair avec une prise de position unanime en faveur d’Emmanuel Macron. Un problème de cohérence qui nuance la symbolique et la portée de l’alliance de la Culture contre le Front National. C’est une certitude, les hostilités de la grande famille de la Culture sont nombreuses, plus encore suite aux politiques menées dans certaines municipalités FN et aux actes et tentatives de censure pilotées par l’extrême-droite. Et confortées par un programme de Marine Le Pen en décalage avec ce que représentent les secteurs culturels dans l’économie.

L’absence de Marine Le Pen parmi les candidats représentés aux rencontres professionnelles de la musique et du spectacle en mars et avril était sans équivoque. Marine Le Pen, le Front National et les industries de la Culture sont antinomiques. D’où le refus de son équipe de confronter le programme culturel de la candidate. Un silence qui a également été de mise durant l’entre-deux-tours, Sébastien Chenu, Conseiller Culture de Marine Le Pen, ayant refusé de débattre avec Marc Schwartz (En Marche) au débat de France Musique à Musicora. Le programme de Marine Le Pen avait d’ailleurs été passé en revue et commenté par les représentants de Tous Pour La Musique et de la Spedidam. Les inquiétudes vis-à-vis des intentions de Marine Le Pen sont nombreuses. Il faut dire que la politique culturelle qui serait mise en œuvre par la candidate du Front National viserait à utiliser la Culture avant tout comme un outil de promotion de « la France qui créé et qui rayonne ». Or le Front National a, on le sait, une vision particulière de la création et de la culture, de leur expression et de leur diffusion. L’accent serait mis sur la préservation du patrimoine culturel français, aux dépens de la musique, du cinéma et de l’audiovisuel entre autres. Ce qui bouleverserait les écosystèmes des industries culturelles et créatives, créatrices de richesses pour l’économie française.

Incompatibilité

Marine Le Pen veut notamment réformer le statut de l’intermittence, supprimer Hadopi, et réformer le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Des orientations vivement critiquées par l’ensemble des acteurs de la musique, du spectacle, de l’audiovisuel et du cinéma, et par l’opposition. « Le programme du Front National contient des éléments étranges comme de remettre en ordre le statut d’intermittent du spectacle par la création d’une carte professionnelle, ou encore la création d’un Google d’Etat qui soit un moteur de recherche nationale. La question se pose de savoir si c’est le rôle de l’Etat. Le programme Culture de Marine Le Pen, c’est une culture officielle, un art officiel, qui ne correspondent pas à la vision des français » a expliqué Marc Schwartz. D’après le Conseiller Culture d’Emmanuel Macron, Sébastien Chenu aurait également l’intention de réorganiser le Ministère de la Culture, et de mettre en place une Direction de la Culture française à l’étranger. Pour Bruno Lion, Président de ‘Tous Pour La Musique’: « On ne peut pas considérer que la culture soit compatible avec l’esprit d’exclusion du Front National ». D’autant que certains éléments de la politique de Marine Le Pen en matière de Culture, comme la suppression de l’Hadopi, décupleraient les appréhensions des créateurs et ayants-droit concernant le droit d’auteur.

Droit d’auteur

L’unanimité de la filière musicale, rare, prévaut sur la protection du droit d’auteur et la lutte contre le piratage. « Le droit d’auteur, et tout ce qui fait la vivacité de la culture française avec, pourraient être remis en cause. Or la Culture repose sur l’intermittence et sur le droit d’auteur » a insisté Bruno Lion. Les acteurs de la musique s’accordent sur la nécessité de préserver Hadopi, bien que les avis soient nuancés du fait du débat sur son efficacité et son coût. Pour le Président de ‘Tous Pour La Musique’, « On a besoin d’un travail fait sur le piratage. On dit que l’Hadopi coûte cher et n’apporte pas de résultats, ce n’est pas vrai. Sur les millions de saisines et de recommandations par an, il y a eu un millier de transmissions à la Justice. Sur le plan de la répression c’est peu, mais il faut le voir sur le plan de la prévention, ça marche ! ». Une position également partagée par la Spedidam, malgré quelques réserves. « La Spedidam a des doutes sérieux sur l’efficacité de l’Hadopi. Mais il faut reconnaître qu’elle a des vertus pédagogiques. Pour autant son coût reste excessif par rapport aux résultats. Malgré tout, il faut réfléchir à deux fois avant d’opter pour sa suppression » a déclaré Xavier Blanc, Directeur des affaires juridiques. La Spedidam est également sceptique sur la licence globale voulue par Marine Le Pen en plus de la suppression de l’Hadopi. « Nous nous étions battus pour la licence globale il y a plusieurs années, concernant les échanges non-commerciaux sur internet (peer-to-peer). Nous avions proposé un dispositif selon lequel les utilisateurs paieraient un montant auprès des FAI qui reviendrait aux ayants-droit. Mais je ne suis pas certain qu’il y ait une vue très claire de la licence globale voulue par Marine Le Pen » expliquait Xavier Blanc au débat à Musicora.

Invectives au rassemblement de la Culture

Bien plus que du scepticisme, c’est une vague d’hostilités qui s’est exprimée au rassemblement de la Culture à la Cité de la Musique contre le Front National. « Toute cohabitation avec un Etat infiltré par le Front National est impensable. Nous ne concevons pas la Culture comme un ensemble de richesses dominatrices. Le Front National viendrait mettre à mal les labels, affaiblirait le tissu associatif, mettrait au pas l’ensemble de l’audiovisuel » a déclaré Laurent Bayle, Directeur Général de la Cité de la musique, qui a appelé explicitement à « voter pour le seul candidat républicain, Emmanuel Macron ». Les appels au vote en faveur d’Emmanuel Macron ont été multiples. Mais ils n’étaient pas les bienvenus. Des invectives ont été très majoritairement exprimées à trois reprises, notamment lors de l’intervention du metteur en scène et comédien Jérôme Deschamps qui s’était aventuré à vanter la « défense des droits des artistes » ou encore « l’excellence » du Ministère de la Culture qui seraient mises en œuvre avec Emmanuel Macron, et avait appelé à « surmonter les désaccords et irritations » pour se mettre en marche. Il faut le dire, la Culture semble refuser que l’expression d’une opposition au Front National s’accompagne d’une prise de position pour Emmanuel Macron. Le degré de convergence varie, rien qu’à la lecture déclarations respectives adressées à la presse par les organisations professionnelles, sans doute dans un souci de neutralité. Or, et c’est une réalité, les deux seront indissociables ce dimanche.

Partager cet article