Charlotte Gaurichon – Caramba : « Notre structure nous permet d’être agiles et réactifs et c’est une force en tant qu’indépendants »

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Charlotte Gaurichon, Directrice Générale de Caramba

Dans un secteur en croissance maisempreint d’une très forte concurrence, Caramba fait partie des structures indépendantesimportantes qui font évoluer leurs stratégies pour conserver et renforcer leurpositionnement. Le tout en conciliant passion et business. Luc Gaurichon,ancien Président du PRODISS, rappelle régulièrement que le spectacle est uneindustrie culturelle dont les producteurs et organisateurs de festivals sont lesmoteurs, en tant qu’entrepreneurs. Un discours convergeant avec l’agendapolitique du secteur, mais indissociable de l’artistique qui reste le cœur dumétier pour le Président de Caramba Spectacles. Dans une interview àCULTUREBIZ, Charlotte Gaurichon, Directrice Générale de Caramba, précise leschangements opérés par la société et partage son point de vue sur les thèmesl’export, la billetterie et la parité.

CULTUREBIZ : Quelle a été la trajectoire prise par Caramba pour être résilient à la concurrence toujours plus importante dans le secteur ?

Charlotte Gaurichon : Caramba est une Maison de production faite de rencontres. Nous travaillons pour des aventures humaines, et les artistes nous choisissent aussi parce qu’ils se retrouvent dans ce que nous sommes et dans ce que nous faisons. Nous avons un catalogue hétéroclite avec des signatures reconnues qui nous permettent d’investir dans le développement de jeunes talents. Le postulat de départ était de se dire que nous avions besoin d’experts pour faire grandir Caramba. Notre équipe est donc composée d’experts avec des personnalités passionnées dans leur domaine comme Charlotte Prévost qui dirige le pôle Spectacles, repère et identifie les artistes que l’on va développer, Laurent Castanié qui dirige L.A Factory pour l’import de l’international, Claire Hénault au pôle Planet’A pour les musiques du monde. Nous venons d’ouvrir un pôle dédié à l’urbain avec Lucas Poligné et Lorenzo Graf qui nous apportent leur savoir sur cette esthétique. Notre toile repose sur le fait que nous avons des personnalités artistiques et des passionnés qui vont identifier les talents et à leurs côtés des profils plus gestionnaires qui vont mettre en place et construire les tournées.

Je pense que nous sommes l’une des sociétés de production indépendantes avec le plus gros back-office constitué de 15 personnes en charge des contrats, du marketing, la billetterie, de la production ou encore de la comptabilité. Si nous décidons de mettre en vente une date le lendemain, nous pouvons le faire. Notre structure nous permet d’être agiles et réactifs et c’est une vraie force en tant qu’acteur indépendant. Nous identifions et nous utilisons un certain nombre d’outils métiers qui nous permettent d’être plus réactifs et plus précis. Nous travaillons actuellement sur un nouveau système d’information pour être plus performants.

Comment se porte l’activité de Caramba en termes de chiffre d’affaires et d’artistes et de spectacles ?

La croissance de Caramba s’est développée de manière mécanique du fait de cette diversification avec notamment l’ouverture du pôle Spectacles il y a trois ans. Nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 18 millions sur l’exercice 2018 et nous continuons notre croissance.

Notre catalogue compte plus de 130 artistes, avec environ 1500 concerts par an dans le monde entier. Néanmoins notre activité reste très fragile, elle doit assumer pour partie la mutation de l’industrie musicale et peu de moyens lui sont accordés comparé à l’industrie cinématographique.

« Nous ne sommes pas fermés à l’entrée d’un groupe au sein du capital de Caramba, mais pas à n’importe quel prix »

Est-ce que vous êtes ouverts à l’entréed’un grand groupe à votre capital par un grand groupe pour plus de trésorerie et une marge de manœuvre plus grande pour le développement d’artistes ?

Pour avoir travaillé avec un certain nombre de grands groupes, c’est une équation compliquée parce que l’on perd très vite ses valeurs dans un groupe. Je pense que si nous avions une proposition d’un groupe qui souhaitait rentrer à notre capital nous ne serions pas fermés parce que cela nous donnerait plus de moyens c’est certain. Mais pas à n’importe quel prix.

Comment vous vous positionnez sur l’export et quelles sont les principales difficultés rencontrées en la matière ?

Faire voyager nos artistes et aller à la rencontre du public qui les attend est une vraie priorité. Nous avons développé une véritable expertise sur l’export qui concerne environ 5 de nos artistes chaque année. Par exemple, nous avons fait une très grosse tournée avec Zaz qui a parcouru le monde entier, et avons plus récemment bouclé une tournée importante avec Ibeyi et Ben l’Oncle Soul, notamment aux États-Unis. Nous avons fait un gros travail pour connaitre les promoteurs à l’étranger et avons d’ailleurs une personne en interne, Mélodie Blanchard, qui est experte sur le domaine de l’export.

C’est toutefois très chronophage. Les démarches administratives sont très lourdes, aux États-Unis notamment. Chaque pays est un cas unique tant les juridictions sont différentes d’un pays à un autre. Les taxes ne sont pas les mêmes, et aucune harmonisation n’aura lieu.

« La part de billets que nous vendons en auto-distribution peut aller jusqu’à 20% » 

Caramba se distingue aussi sur le terrain de la billetterie avec plusieurs personnes en charge de ce segment. A quel point est-ce un enjeu pour vous et quel est votre lecture de la désintermédiarisation et de la quête des données que mènent de plus en plus de producteurs et diffuseurs ?

L’envie de lancer un pôle billetterie venait de Luc Gaurichon parce qu’il y a quatre ans nous ne pouvions pas récupérer nos données auprès des distributeurs de billets. Nous sommes dans une situation où nous ne connaissons pas nos clients. Le cadre légal oblige les distributeurs à nous transmettre les données mais ils ne le font pas… L’idée de Luc était donc que l’on constitue notre base de données clients et que l’on vende des billets en direct. La part de billets que nous vendons en auto-distribution peut aller jusqu’à 20%. Nous travaillons notamment avec des sociétés comme Pim’s et Delight pour identifier et maîtriser nos données. A nouveau ce travail sur les données demande du temps et des moyens techniques et humains colossaux. Je ne suis pas convaincue qu’il faille à n’importe quel prix faire la guerre des données. Au vu des récents changements du cadre réglementaire notamment avec le RGPD, je pense qu’il faut être prudent. Peut-être qu’à l’avenir il y aura un renforcement de la confidentialité des données. Nous n’avons pas non plus la force de frappe des distributeurs traditionnels qui restent des vendeurs importants pour les spectacles produits par Caramba.

Je pense qu’il faut s’interroger sur des alternatives pour récupérer les informations de nos clients au moment où nous sommes au contact de nos spectateurs dans les salles de concerts. Nous déployons un certain nombre de moyens sur la communication. Il y a sûrement d’autres moyens pour toucher les publics. L’expérience spectateur et l’appartenance à un groupe peuvent peut-être se faire par autre chose, mais je ne sais pas encore quoi. Avec notre dimension artistique nous devrions être en mesure de proposer de nouvelles façons pour communiquer et toucher les publics.

Les femmes à la tête des sociétés de production sont très rares. Le PRODISS s’attèle à amplifier la voix des femmes et à évoluer leur présence dans le secteur de la musique. L’équipe de Caramba est composée à 80% de femmes. Est-ce que c’est aussi une des forces de Caramba ? Avez-vous identifié une ou deux priorités pour la filière sur le sujet de la parité ?

Je travaille main dans la main avec les Directrices des différents pôles. Peut-être que cela fonctionne parce que nous avons cette intelligence de faire confiance à chacune et chacun et d’avoir une organisation avec une vision et des objectifs communs. L’entraide fait partie des valeurs portées par Caramba et qui nous animent au quotidien, c’est une caractéristique très féminine…

Le plus évidentsur le sujet de parité porte sur les différences de salaires. Arrêtons de payerles femmes moins que les hommes. C’est tellement simple. Au-delà de ça, une autre priorité est que des femmes puissent accéder aux postes à responsabilité. Certaines n’y parviennent pas au sein même de la filière musicale.

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