Béatrice Macé – Les Trans : « Nous nous considérons comme des artisans du spectacle vivant, en amont de la chaine industrielle »

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Béatrice Macé, co-Directrice du festival Transmusicales

Précurseures des festivals lors de leur création en 1979, les Trans Musicales de Rennes s’imposent jusqu’à présent comme un festival avant-gardiste. A l’instar d’autres festivals emblématiques comme le Printemps de Bourges fondé la même année, son équipe de direction s’applique à conserver l’identité du festival en tant que lieu de rassemblement, de rencontres et de découvertes. Le tout non sans le faire évoluer. Échanges sur le positionnement des Trans avec Béatrice Macé, co-Directrice, qui exprime également son point de vue sur les sujets de la concentration ou encore de la parité.

CULTUREBIZ : Les festivals sont de manière globale définis comme des évènements permettant entre autres l’émergence de nouveaux talents et la découverte de nouveaux artistes. Quarante ans après sa création, quelles sont les spécificités du festival et comment parvient-t-il à se démarquer ?

Béatrice Macé : Avec les phénomènes d’industrialisation et de mondialisation, beaucoup d’évènements sont portés par des têtes d’affiche. Nous n’en présentons pas et c’est pour le coup une différenciation voulue dès le départ. L’une de nos base lines est de dire que « l’inconnu vaut la peine d’être vécu ». La curiosité et le goût de la découverte sont pour nous les deux moteurs essentiels des Trans. La programmation proposée par Jean-Louis Brossard poursuit la volonté de rendre visibles toutes les formes de création et toutes les formes d’émergences musicales qui se font jour actuellement, et vis-à-vis desquelles l’industrie n’est pas encore intéressée. L’idée portée avec le slogan « Nouveau depuis 1979 » est qu’il faut toujours se renouveler et évoluer si l’on veut garder une pertinence par rapport aux évolutions sociales, sociétales et musicales. Nous voulons montrer ce qui est en train de se faire et ce qui va se faire. La nouveauté, c’est intégrer une notion d’évolution, et l’évolution est à distinguer du changement. Je considère que Les Trans de 2018 ne sont pas différentes de la première période allant de 79 à 90. On le dit différemment, mais c’est le même message qui est envoyé au public : « intéressez-vous à ce que vous ne connaissez pas et soyez au courant que tel style musical, tel artiste ou tel groupe est en train de naître ». Pour rester fidèles à cette base de la première période, nous préférons défendre des singularités qui n’ont pas encore été expérimentées. Notre projet vise à rendre accessibles les artistes qui sont en émergence et les formes musicales en construction. Nous considérons les musiques comme un art avant de les considérer comme un commerce.

« La problématique ce n’est pas tant la concentration que de maintenir une capacité d’indépendance des projets »

Les professionnels sont nombreux à s’inquiéter des phénomènes de concentration. L’on constate une scission entre ceux qui se revendiquent comme des acteurs de la vie culturelle et ceux qui assument être des acteurs de l’entertainment. Ce débat rappelle la distinction entre majors et indépendants ou encore à l’opposition entre la musique mainstream et la musique qui n’est pas commerciale. Pouvez-vous exprimer votre approche du sujet ?

Nous sommes nés avant l’industrialisation de la culture et la mondialisation de cette industrie, à un moment où l’on était en période d’émergence sur l’esthétique rock et en amont de ce qu’on appelle aujourd’hui les musiques actuelles. Nous avons vécu cette industrialisation et la marchandisation de la musique comme tout le monde et nous en sommes rendus compte une fois que c’était établi. Nous nous considérons comme des artisans du spectacle vivant, en amont de la chaine industrielle. Et en tant qu’artisans, notre rôle est de plus travailler l’œuvre et non pas le produit. Et nous n’avons pas changé notre positionnement.

De mon point de vue, la problématique ce n’est pas tant la concentration que de maintenir une capacité d’indépendance des projets. C’est-à-dire comment l’indépendance des projets peut être préservée sans qu’il n’y ait instrumentalisation soit par l’argent privé, soit par l’argent public. Aujourd’hui on constate que les festivals et la musique rencontrent un engouement tel qu’ils sont utilisés à d’autres finalités que le simple fait de rencontrer un public.

L’art est aussi un commerce, bien que cela s’exprime différemment suivant les domaines. Toute forme d’art peut donc être perçue comme un commerce, mais ce que je voudrais défendre c’est que cette manière de voir les choses ne doit pas devenir la principale motivation d’intérêt pour l’art. L’art doit s’adresser au plus grand nombre et l’idée sous-jacente est que le développement quantitatif ne peut pas être le paramètre unique. Le principal doit rester de rendre accessibles des œuvres au public alors que la forme commerciale va être d’uniformiser les propositions pour faire en sorte qu’elles rapportent excédents et bénéfices.

Or il y a d’autres schémas qui peuvent induire que ces artistes ne vont pas toucher un large public et vont tout de même rester des artistes importants et intéressants. Il y a un certain nombre d’artistes qui jouent dans des circuits de petite et moyenne jauge et qui n’ont pas pour objectif de remplir des grandes salles et des stades. L’Histoire de l’art est jalonnée d’artistes reconnus bien après leur disparition. L’important est la diversité de schémas et de projets, de manière à ce que toute la création soit accessible et c’est au public de choisir vers laquelle il veut s’intéresser. On a le sentiment qu’il y a une binarisation entre les très petits projets et les très gros projets. L’idée est qu’il y ait des maillons différents qui soient moyens et petits, afin de rendre possibles tous les schémas économiques pour les différentes formes de création.

« Nous travaillons à une nouvelle stratégie en matière de sponsoring et de mécénat »

Quelles sont les composantes du modèle économique des Trans ?

Notre budget pour le festival est de 3,4 millions d’euros et se compose à 37% de recettes propres d’exploitation c’est-à-dire issues de la billetterie bar et restauration, de 25% de recettes annexes avec le sponsoring et le mécénat, et de 38% de subventions. Nous souhaitons arriver à un équilibre entre les trois, ce qui nous permettrait d’avoir moins d’inquiétudes. Augmenter les recettes annexes est un enjeu pour les Trans. Dans le secteur, il y a une baisse des subventions. Les Trans ont effectivement une reconnaissance qui permet de maintenir un niveau de subventions important. Mais on sent qu’il y a une fragilité, contrairement à d’autres années où l’on était sur une augmentation qui correspondait à celle des coûts. La stagnation des subventions publiques implique donc une baisse de notre budget dans la mesure où les charges continuent d’augmenter.

Pouvez-vous préciser les principaux postes de dépenses en augmentation ?

Les budgets de charges augmentent de manière constante. Notre budget est passé de 2,9 à 3,3 millions d’euros entre 2013 et 2017. Les principales hausses portent sur la technique, la sécurité et l’aménagement des sites avec des dépenses qui ont augmenté de plus de 120 000 euros pour atteindre 959 000 euros en 2017. Ce sont autant de charges liées à l’investissement et la création d’un site qui soit sécurisé et agréable. En raison de notre positionnement artistique, nous ne vivons pas la même hausse des cachets artistiques et le mode d’exclusivité des têtes d’affiches.

Il y a donc une volonté d’augmenter les recettes annexes. Le crédit d’impôt pour les festivals serait d’ailleurs intéressant. Il permettrait de contrebalancer l’érosion des subventions et pourrait être une composante de la solution.

Des orientations sont-elles en cours ou à venir pour agrémenter le sponsoring et le mécénat ?

Nous travaillons effectivement à une nouvelle stratégie en la matière que nous déploierons l’année prochaine. L’idée est vraiment d’avoir des relations plus durables et d’être plus attentifs aux attentes de nos partenaires actuels et potentiels. Nous souhaitons avoir une gamme de services beaucoup plus différentiés de sorte à être beaucoup plus utiles aux partenaires. Il s’agit également d’avoir des propositions qui correspondent à la manière dont les partenaires ont envie d’établir une relation avec le festival et les festivaliers. Ce qui est prévu est donc de diversifier le nombre et le type de partenaires. Et cette addition de partenaires viendrait stabiliser le budget du festival.

« La revendication des femmes à obtenir une place réelle et non de second plan est totalement légitime »

Comment se positionne le festival en matière de connaissance des publics ?

Depuis longtemps nous effectuons des enquêtes quantitatives et nous sommes associés à l’Université d’Avignon et des pays de Vaucluse ainsi que leur laboratoire de sociologie, précisément pour passer sur du qualitatif et avoir des analyses sociologiques des publics. Il y a un véritable enjeu à bien connaître les publics, ce qui n’est pas facile. Nous nous intéressons particulièrement à l’identification des points d’attention du public qui sont l’ambiance et l’accueil. Nous n’avons pas de point de focalisation sur le projet artistique. Les publics viennent en connaissance de cause, mais dans la mesure où on propose de passer beaucoup de temps, nous allons faire attention à répondre à leurs besoins et leurs attentes en termes d’expérience.

Le PRODISS porte l’initiative de développer la place des femmes dans la filière. Peu de femmes sont à la tête des principaux festivals du secteur. Qu’est-ce que cela représente pour vous, en 2018, le fait d’être une femme dans la filière musicale ?

Je n’ai jamais ressenti dans le regard ou l’attitude de Jean-Louis et Hervé avec qui j’ai démarré et évolué en tant que professionnelle, un jugement sur le fait que je sois une femme. Mais j’ai effectivement ressenti dans les regards extérieurs qu’il y avait une interrogation première sur mes compétences et plus globalement sur celles d’une femme à la tête de la direction d’un festival. J’ai vécu cette période comme une injustice réelle et avec une forme d’énervement. Je ne m’estime pas moins compétente. Je pense que l’on vit chacune cette expérience de manière intime. Je suis très sensible aux mouvements H/F et j’estime que la revendication des femmes à obtenir une place réelle et non de second plan est totalement légitime. Je pense qu’il y a encore beaucoup de mauvaises « habitudes » qui sont encore excessivement vivaces. La lutte n’est pas terminée et il y a encore beaucoup à faire. Cela doit commencer dès le départ, dès l’enfance, il faut être conscient qu’on a une forme de responsabilité plus importante que celle de son propre cas. Et en tant que directrice de structure, il faut assumer cette responsabilité. Les femmes ne déméritent pas, bien au contraire.

 

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