Aurélie Hannedouche – SMA : « Mieux soutenir la diversité permettrait de relativiser les effets de la concentration »

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Aurélie Hannedouche, Déléguée Générale du SMA

Diversité, attractivité, proximité, indépendance étant le cœur des métiers des acteurs indépendants de la musique live, ils s’attèlent à les valoriser auprès des publics et à les défendre auprès des pouvoirs publics. En 2019, le Syndicat des Musiques Actuelles est régulièrement monté au créneau sur la nécessité de « préserver la diversité et l’écosystème des festivals indépendants » notamment avec un manifeste et une charte d’objectifs cosignée avec la FNCC (Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture) et la FEDELIMA (Fédération des lieux de musiques actuelles). La lutte contre la concentration est la principale préoccupation des petits acteurs de la musique live. Dans une interview à CULTUREBIZ, la Déléguée Générale du SMA, Aurélie Hannedouche, détaille les indicateurs des activités des adhérents dans le secteur de la musique live et leurs priorités.

CULTUREBIZ : Est-ce que les objectifs fixés à la création du SMA il y a quinze ans sont pleinement remplis ? Quels sont les apports majeurs du syndicat pour ses adhérents ?

Aurélie Hannedouche : La volonté de départ était de créer un syndicat de filière, composé d’acteurs de l’ensemble de la filière des musiques actuelles. Quinze ans plus tard, l’objectif d’être dans une logique d’écosystème est atteint avec pas moins de 350 adhérents, dont la majorité a une pluriactivité. Il y a une belle complémentarité entre eux avec 150 salles de concerts, 80 festivals, 80 producteurs de spectacles, une cinquantaine de labels, une vingtaine de centres de formation, une dizaine de radios, et une vingtaine de fédérations et réseaux.

La motivation des structures à nous rejoindre est double. Il y a d’abord un aspect plus individuel pour les entreprises qui ont besoin d’un outillage juridique, social et fiscal, et d’être conseillées dans le cadre de développement de projets ou de délégation de service public, par exemple. C’est important pour les nouveaux adhérents d’être accompagnés dans leur activité. L’autre motivation consiste à rejoindre une force collective pour porter des demandes et positions au niveau politique et revendiquer un accompagnement des pouvoirs publics en faveur de nos entreprises pour qu’elles puissent pérenniser et développer leurs activités.

Quels sont les indices marquants de l’activité de vos adhérents dans le secteur du spectacle ?

Les adhérents au SMA entreprennent à des fins d’intérêt général, en déployant des projets au service des populations pour faire émerger des artistes ; ainsi notre mobile premier n’est pas l’enrichissement des porteurs de projets. Les structures adhérentes n’étant pas des entreprises commerciales mais en majorité des associations et des coopératives, elles se réclament d’une « lucrativité limitée ».

Concernant les festivals, nous sommes dans une période plutôt positive en termes d’intérêt du public. Les jauges des festivals adhérant au SMA varient de quelques milliers à 100 000 festivaliers, pour des budgets allant de 100 000 à 6 millions d’euros et un budget moyen de l’ordre d’1,2 million d’euros.

En revanche le modèle économique des festivals que l’on représente nécessite de remplir désormais quasiment à 100% les jauges pour équilibrer les budgets. Cela commence donc à devenir très risqué. Les cachets d’artistes de plus en plus élevés, la baisse des subventions publiques et la complexité des normes techniques et de sécurité font qu’il y a de plus en plus de charges à assumer, parallèlement à une raréfaction des ressources.

Du coté des producteurs de spectacles, les adhérents bénéficient d’un appel d’air avec la création du crédit d’impôt spectacle vivant et de l’aide à l’emploi dans les salles de moins de 300 places dans le cadre du FONPEPS (mesure 8). La quasi-totalité des producteurs de spectacles adhérents bénéficie du crédit d’impôt puisqu’ils rentrent totalement dans les critères en produisant des artistes émergents. Ces dispositifs leur permettent de consolider leur activité, de renforcer leurs équipes avec des emplois permanents ou encore de développer leur activité à l’export.

Concernant l’activité des salles, nous rassemblons la quasi-totalité des SMAC et aussi d’autres salles qui ne sont pas labellisées mais sont aidées par l’Etat et/ou les collectivités. Le cahier des charges des SMAC a été revu en 2017 dans le cadre de la loi LCAP avec une hausse des exigences. On leur demande de faire de la diffusion, de l’accompagnement d’artistes professionnels et amateurs, de travailler au renouvellement des publics, d’avoir un travail avec les jeunes musicien·ne·s, d’animer un écosystème local… Or, la dotation-plancher allouée par l’État qui attribue les labels est de 100 000 euros, soit une contrepartie très modeste. En raison des baisses de dotations de l’Etat aux collectivités territoriales, ces dernières ne sont hélas plus, non plus, dans des logiques d’augmenter leurs dotations aux SMAC.

Comment les festivals indépendants parviennent à adapter leur modèle économique dans un contexte de baisse de subventions, de concurrence, et compte tenu du plafonnement des entrées ?

La part des subventions attribuées aux festivals continue de diminuer, néanmoins comme elle est relativement faible cela a finalement une faible incidence.

En outre, les festivals membres du SMA travaillent davantage sur le mécénat que sur le sponsoring. Le don moyen des mécènes des adhérents au SMA se situe entre 3000 à 4 000 euros. Les entreprises locales sont surtout intéressées par les contreparties portées sur de l’expérience dans l’enceinte des festivals. Les mécènes sont intéressés par l’accès aux espaces privés, la rencontre avec les artistes, le fonctionnement d’un festival, et ils voient la valeur de leur apport pour valoriser l’offre culturelle sur un territoire. C’est évidemment plus facile pour des festivals comme le Cabaret vert à Charleville-Mézières ou Pause Guitare à Albi d’avoir accès au mécénat que pour des petits festivals qui n’ont pas de tête d’affiche ou encore que pour d’autres implantés là où il y a beaucoup de structures culturelles, également en recherche de mécènes, comme à Marseille, Nantes ou Rennes par exemple.

Le mécénat est aussi une vraie piste pour équilibrer les budgets dans les salles de concert, qui recrutent de plus en plus sur ce type de poste, pour développer cette source de financement.

La place de la diversité et de l’indépendance des festivals sont des priorités du SMA. Pour quelles raisons ?

Les festivals adhérents sont des indépendants qui n’ont que très peu de fonds propres et peuvent rencontrer rapidement des difficultés au moindre aléa au point de risquer de disparaitre. Ainsi, les adhérents ont souhaité impulser un travail de décryptage pour faire une photographie de ce qui se passe et identifier tous les facteurs qui ont un impact sur les festivals. C’est l’objet de notre étude publiée présentée au Printemps de Bourges 2019.

Quant au but de la campagne « vous n’êtes pas là par hasard » lancée pour la saison 2019, il était d’alerter et de sensibiliser les publics. Venir à l’un de ces festivals, c’est participer à un écosystème vertueux, s’associer à un projet de territoire qui fait travailler des fournisseurs locaux, œuvre à l’ancrage territorial et crée un maximum de retombées culturelles, sociales ou économiques.

Notre volonté est évidemment de sensibiliser les pouvoirs publics pour qu’ils prennent conscience des bouleversements qui s’opèrent au sein de notre secteur. L’arrivée des groupes n’est évidemment pas anodine pour les indépendants : associatifs ou TPE/PME. Les groupes détiennent une bonne partie de la chaine puisque l’on parle de concentration horizontale et verticale. Quand un groupe se positionne sur un festival et qu’il possède en outre des artistes et une plateforme de billetterie : on ne joue pas dans la même cour !

Un festival qui appartient à un groupe peut se permettre d’essuyer un échec pendant plusieurs années parce que derrière il y a des actionnaires. En revanche les fonds propres des festivals adhérents au SMA n’étant que de l’ordre de 100 000 euros en moyenne, en cas d’incident, l’entreprise ne pourra donc pas combler un éventuel déficit. L’arrivée des groupes perturbe donc naturellement l’écosystème des festivals. Et ces nouveaux festivals qui ont des moyens importants peuvent avoir des propositions artistiques qui attirent beaucoup plus de spectateurs avec des têtes d’affiche, notamment internationales, devenues inaccessibles pour les festivals indépendants.

Le sujet de la concentration est régulièrement abordé alors que les effets ne sont pas évidents à démontrer. La capacité des festivals organisés par Live Nation, AEG et Vivendi à capter des dizaines de milliers de spectateurs grâce aux têtes d’affiches pourrait certes à termes impacter la fréquentation des festivals indépendants. Mais en quoi la concentration, qui consiste en la pluralité d’activités au sein d’un groupe, nuit-elle actuellement au secteur ?

En 2019, ça s’est plutôt bien passé pour les festivals adhérents. Toutefois, l’arrivée de certains groupes sur le marché est encore très récente.

Aujourd’hui, le public répond présent. Qu’en sera-t-il si dans quelques années des artistes deviennent inaccessibles financièrement ou alors si étant propriété de ces groupes, ils jouent alors exclusivement dans les festivals également membres de ces grands groupes ?

La hausse des cachets d’artistes et des prix des billets nous préoccupent et sont de vrais effets de la concentration. Le prix des billets pour certains gros festivals augmente, et ce au détriment d’autres spectacles. A ce rythme-là, il y a fort à parier que les spectateurs n’auront plus de budget pour voir d’autres concerts le reste de l’année ou pour d’autres dépenses culturelles. Nous voulons alerter dès à présent sur les risques d’uniformisation de l’offre et de déséquilibre territorial.

Le Gouvernement et les parlementaires s’intéressent au sujet de la concentration et se questionnent sur les moyens de l’endiguer. Avez-vous des attentes particulières ?

Notre position est qu’il ne faut pas perdre de temps et que si l’on veut préserver toute cette diversité et faire en sorte que toutes les initiatives continuent d’exister, il faut agir vite. Le temps politique est souvent long et il n’est pas celui des entreprises ou du marché… Nous pensons qu’il faut commencer par analyser, décrypter, faire un état des lieux objectif. Nous attendons donc du Centre National de la Musique qu’il objective la situation avant que soient tirées des conclusions ad hoc. Mais surtout, il faut permettre aux initiatives indépendantes, qui vont dans les territoires ruraux et maintiennent des spectacles à des tarifs accessibles, d’être soutenues. Mieux soutenir la diversité permettrait de relativiser la concentration.

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